Emma C. 17/11/2021

1/4 Avec mon père, on vivait la peur au ventre

tags :

Jusqu'au divorce de ses parents, son père buvait et était violent. Depuis qu'il a perdu ses droits parentaux, elle se sent beaucoup mieux, malgré les séquelles.

À chaque fois que l’on me demande « pourquoi tes parents ont divorcé ? » je n’ose pas répondre ou je mens. En fait, je voudrais dire : « Mes parents ont divorcé parce que mon père est alcoolique. » Mais j’ai toujours eu peur de l’avouer. Pourquoi ? Je ne saurais pas le dire. Peut-être par peur du regard des gens ou de me l’avouer à moi-même. L’alcoolisme est une maladie.

À l’époque, on a essayé plusieurs fois d’en parler avec notre médecin traitant mais, devant lui, notre père niait. Il disait qu’il n’était pas alcoolique. Cette maladie reste « taboue » alors que les proches en souffrent aussi. Presque jusqu’à mes 12 ans, j’ai vécu avec mon père et ma mère, tous les trois. Depuis que je suis née, ça a toujours été comme ça, alors j’étais habituée à ce que mon père soit assez violent.

Quand il buvait, ça pouvait aller des insultes aux menaces de mort. Cette violence était toujours dirigée contre ma mère. Une fois, j’en ai été victime : juste après que ma mère ait demandé le divorce. J’étais à moitié endormie, mon père est venu me réveiller pour avoir mon avis. Je lui ai dit que je souhaitais aussi qu’il parte et que j’avais poussé ma mère à ce qu’elle le veuille aussi. C’est là qu’il m’a insultée. J’avais du répondant et ce jour-là, ça ne lui a pas plu.

Petite, je me suis interposée pour protéger ma mère

Même si mon père ne s’en est jamais pris à nous physiquement, il cassait parfois des objets donc on avait peur. Dans ces moments, j’étais habituée à rester avec ma mère et à la serrer très fort. J’avais constamment peur qu’il lui fasse du mal. Surtout qu’une fois ma mère a voulu dire stop à tout ça et mon père a très mal réagi : il a essayé de la planter avec un couteau. En voyant ça, je me suis mise au milieu en le suppliant de ne rien lui faire.

Après la demande de divorce, mon père disait que j’étais une mauvaise fille, que j’étais méchante… Il a commencé à boire de grosses quantités tous les jours, donc il était de plus en plus violent. Il disait qu’il voulait tuer ma mère et me prendre avec lui. Il disait qu’elle ne lui enlèverait jamais sa fille, que tout le monde me montait la tête contre lui. Il ne pouvait juste pas comprendre que j’avais grandi et compris la situation ! Tout ce que je voulais, c’était vivre normalement et sans peur.

Mon père a perdu ses droits parentaux

À la séparation, le juge a ordonné que mon père quitte le domicile. Je me suis vite sentie soulagée, même si j’étais stressée de ne pas savoir comment il allait s’en sortir. Aujourd’hui, je suis heureuse avec ma mère. On est très complice. J’appelle mon père tous les deux jours… C’est lui qui m’appelle, moi j’envoie juste des textos. Je le vois très rarement. Il a perdu ses droits parentaux donc il n’a pas le droit de venir chez nous, et moi j’ai pas le droit d’aller seule chez lui. Les rares fois où je le vois, c’est dehors et ma mère n’est jamais loin.

Et j’avoue que je me sens beaucoup mieux. Même si j’ai des séquelles : je suis stressée très souvent et pour rien. J’ai peu confiance en moi et j’ai l’impression d’être nulle. Mais je profite de la vie et je suis toujours souriante, avec un vrai sourire cette fois-ci.

Série 2/4 – Pour Hachem, se libérer de l’emprise psychologique de son père a été difficile. Son chantage était tenace et son emprise a persisté, jusqu’à ce qu’elle coupe toute relation.

Illustration sur laquelle on voit deux silhouettes d'hommes dos à dos, l'un qui crie, l'autre qui sourit. Dans le fond de l'image, une silhouette géante d'un homme qui semble sous l'eau.

Ce qui m’a aidée à surmonter ça, c’est le soutien de la famille de ma mère. Au début, elle cachait la situation mais, une fois, elle avait fui chez ses parents et elle leur avait tout avoué. Aujourd’hui encore, j’ai du mal à en parler à mes copines mais je sais que je peux en parler à ma famille, mes cousines et ça me fait du bien.

J’ai pardonné les violences de mon père parce qu’il est alcoolique, donc malade. Sans cette maladie, je ne lui aurais pas pardonné tout ce qu’il a fait. Maintenant, je n’attends pas qu’il change. Moi, je n’ai jamais espéré que les gens changent. Quoi qu’il en soit, ce sujet ne devrait pas être tabou. Et les enfants ne doivent pas avoir honte.

Emma, 14 ans, collégienne, Marseille

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

 

Les enfants, grand·e·s oublié·e·s des violences conjugales

Des chiffres sous-estimés

143 000 enfants vivent dans un foyer où une femme a déclaré des violences sexuelles et/ou physiques au sein de son couple. Mais si l’on tenait compte des violences psychologiques et des violences non déclarées par les victimes, le nombre d’enfants concerné·e·s par l’exposition aux violences conjugales en France serait de 4 millions selon la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF).

Les enfants exposé·e·s présentent tou·te·s des troubles psychologiques  

La quasi-totalité des mères appelant le 3919 rapportent que leurs enfants présentent des sentiments de peur, d’anxiété, d’angoisse et de stress. Un quart d’entre elles relèvent également une perte d’estime de soi et un sentiment de culpabilité chez elles et eux, et pour 10 % d’entre elles des signes de dépression, de lassitude et de fatigue. 

La loi ne reconnaît pas aux enfants le statut de victime  

Les enfants exposé·e·s aux violences au sein du couple ne sont pas considéré·e·s comme victimes au regard de la loi. En plus de ne pas obtenir cette reconnaissance symbolique, cela les empêche de se constituer partie civile lors d’un procès et d’obtenir des dommages et intérêts pour les préjudices et les traumatismes subis.

Partager

Commenter