1/4 « C’est bon ! Tes amies peuvent attendre »
Chez moi, tous les jours, je m’occupe des tâches ménagères : le ménage, la cuisine. Même en ayant trois frères. Ils ont entre 16 et 26 ans, je suis la plus petite de la famille. Et c’est à moi de tout faire ! C’est comme ça depuis quatre ans, depuis que j’ai 10 ans. Cela s’est fait d’un seul coup, dès mon arrivée en France. En Côte d’Ivoire, il y avait des gens qui faisaient le ménage à la maison. Quand je suis arrivée chez mon oncle et ma tante (que j’appelle mes parents), j’ai commencé à le faire pour être polie, sauf qu’au fur et à mesure, je me suis retrouvée à tout faire toute seule.
Pour moi, quel que soit le sexe, on devrait tous être élevés de la même manière. Par exemple, mes frères ont plus le droit de sortir que moi, et plus tard aussi, parce que ce sont des hommes. S’il leur arrive quelque chose, ils pourront plus se défendre que moi. Eux, ils peuvent dormir chez leurs amis. Moi, en quatre ans, je n’ai dormi que deux fois chez les miens. La raison, c’est que je suis une fille et que, d’après mon oncle, je n’en ai pas besoin : je dois rester à la maison. Des fois, je suis obligée de le supplier pour pouvoir y aller.
On me rappelle toujours que je suis une fille
Contrairement à moi, mes frères ont des copines. Cela ne me dérange pas, mais des fois, je demande à mon frère de m’aider à faire le ménage. Il me dit oui, mais comme il passe plus de la moitié de sa journée au téléphone avec sa copine, il oublie. Quand je l’explique à ma mère et qu’elle lui demande, il répond : « Mais si, j’ai fait le ménage ! » Sauf qu’il a fait sa vaisselle, celle avec laquelle il a mangé, et c’est tout. Entre-temps, moi j’ai fait toutes les tâches ménagères (aspirateur, serpillière, etc.).
Série 2/4 – Depuis qu’elle a 17 ans, Sophia est la secrétaire de sa famille. À la maison, c’est elle qui s’occupe des démarches administratives.
J’en ai marre de toujours tout faire quand je rentre chez moi. Quelle que soit l’heure, je dois constamment faire le ménage. Je balaie, je fais la vaisselle, j’étends le linge, je me douche, je fais mes devoirs, je fais à manger… Quand des fois j’essaie de ne pas le faire, on me rappelle toujours que je suis une fille et que si je ne le fais pas, personne ne le fera. Et que ça ne sert à rien de compter sur les autres.
Trop de tâches ménagères, pas de temps pour moi
Je veux que cela change. J’ai une vie moi aussi ! On vit tous dans la même maison. Pourquoi c’est toujours à moi de tout faire ? Quand je l’explique à mes parents, ils me disent : « Fais ce que tu veux. » Et dès que je veux sortir, ils me demandent quelque chose, comme aller faire quelques courses ou étendre le linge. Et quand je dis que je vais être en retard, ils me disent : « Mais c’est bon ! Tes amies peuvent attendre. » J’ai le temps de faire mes devoirs, mais j’aimerais aussi avoir plus de temps pour voir mes amies. Je vis cette situation pesante au quotidien.
Que je sois une fille ou pas, j’ai le droit d’avoir du temps pour moi ! J’aimerais bien pouvoir inviter des amies (c’est arrivé une seule fois !) sans avoir à me soucier de savoir si le ménage est fait ou pas. Peut-être que si mes frères m’aidaient dans mon quotidien, je ne serais pas dans cette situation. Et ce serait bien aussi pour eux, pour pouvoir être de meilleurs maris plus tard, sans compter sur leurs femmes.
Mary-Kate, 14 ans, collégienne, Floirac
Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)
À bas l’éducation genrée !
Les filles ont moins de temps libre que les garçons
Selon une étude réalisée en France en 2015, les jeunes filles et femmes entre 15 et 24 ans consacrent en moyenne 44 minutes de plus par jour aux tâches domestiques que leurs homologues masculins. Et la pandémie n’a fait qu’aggraver ces disparités. En 2021, une étude britannique a révélé que 66 % des filles et femmes de cet âge affirment passer plus de temps à cuisiner depuis la crise sanitaire, contre 31 % des garçons. Un temps qu’elles pourraient allouer à leur vie personnelle… et à leurs études.
Jouer les stéréotypes
Depuis 2019, les acteurs de la filière du jouet s’engagent chaque année à favoriser la représentation mixte des jouets à travers la signature d’une charte. Cette prise de conscience tardive a notamment été impulsée par des associations comme Pépite Sexiste, qui dénonce les stéréotypes sexistes diffusés par le marketing. Car, dès le plus jeune âge, les jouets participent à la reproduction des rôles traditionnels de genre.
Vers une éducation non-genrée ?
Encourager une éducation égalitaire, notamment à l’école, permettrait aux enfants de se construire hors des stéréotypes de genre. Mais l’institution scolaire fait face à des levées de boucliers. On se rappelle notamment de l’abandon de l’ABCD de l’égalité en 2014, suite à des pressions de groupes réactionnaires. Ce programme d’enseignement, proposé par l’ancienne ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem, était pourtant seulement destiné à « transmettre des valeurs d’égalité et de respect entre les filles et les garçons ». Pas gagné…
bonjour Mary-Kate,
lis le témoignage écrit par Gisèle Halimi et Annick Cojean , intitulé « Une farouche liberté ».
Tu le trouveras en édition poche.
Prends conscience de ce que tu es, et de ce que tu es en droit de refuser.
Ta place est à l’école ou aux études pour être indépendante un jour.
C’est une lecture urgente. Crois moi.
Claire (51 ans)