Arthur L. 03/05/2017

4/4 Le client est roi, et moi j’encaisse

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Arthur a travaillé dans un fast-food pour financer ses études. Il a été révolté par les comportements des client·e·s et le mépris de classe.

Mon premier emploi, c’était dans la restauration rapide. Un boulot à temps partiel pour financer mes études et subvenir à mes besoins quotidiens. Passons outre les conditions de travail, les conditions salariales et les conséquences sur la vie quotidienne en termes de temps, d’horaires… Elles dissimulent la première plaie de cette usine contemporaine : le comportement de la clientèle.

Parce qu’on vous a appris à l’école qu’il ne fallait pas finir caissier en restauration rapide – ce qui signifierait avoir raté sa vie – et que la menace est souvent répétée par vos riches parents, vous affichez votre mesquinerie et votre mépris avec grandiloquence en étant assurés – et satisfaits – que nous sommes obligés de vous sourire et de vous servir avec amabilité et rapidité. Le client est roi ?

Est-ce parce que nous pianotons à longueur de journée sur nos écrans et que vous pouvez commander à une borne que vous vous donnez le droit de me traiter comme un robot, une boîte de conserve ? Oui, j’étais mécanisé et automatisé derrière ce comptoir où je prenais vos commandes tout en m’assurant de la bonne régulation des minuteurs de cuisson et du fonctionnement des machines à glace, café et boissons. Cela ne m’ôtait en rien mon statut d’humain et ne vous donnait aucunement le droit de me le soutirer.

Défilé des boulets

Je finissais mes journées de cours entre 17 et 19 heures, puis me rendais immédiatement au restaurant pour enfiler ma tenue, avaler un morceau et me relancer dans le rythme du travail. Pour un shift de 4 h 45 à 9 h 55 selon le planning, terminant tous les soirs à la clôture vers 1 h 30 ou 2 h 30. Des horaires où l’on voit de tout, et surtout du pire. Heureusement qu’un vigile montait la garde.

Entre l’excité qui me hurle dans les oreilles « enculé » après que je lui ai demandé d’attendre son tour pour effectuer sa commande, le martyr qui s’amuse à renverser sa boisson devant moi sur le bar pendant que je nettoie la salle (pourquoi l’avoir achetée me direz-vous…), les femmes qui bloquent les toilettes avec leurs tampons balancés dans la cuvette et non dans la poubelle prévus à cet effet (provoquant l’inondation du lieu), les hommes qui bouchent les urinoirs avec du papier mâché, les parents qui permettent à leurs enfants de dégueulasser tout l’environnement (après tout, nous sommes là pour nettoyer et non pas pour garantir l’hygiène du lieu de restauration), les faux caïds qui s’arrogent le pouvoir de nous menacer de violence, les crétins qui s’amusent à me filmer en train de passer la balayette pour la publier sur les réseaux sociaux (et mon droit à l’image, tu veux que je t’attaque en justice ?), ceux qui cherchent à te ridiculiser par tous les moyens, à se fighter et même à voler, donnent du fil à retordre à la concentration et à l’attention nécessaire pour remplir les cases de ton poste… avant de rencontrer le lâche qui t’agresse sur ton trajet du retour pour te racketter.

Apprendre à respecter les travailleurs

Dans notre univers monétaire, entre l’envie de manger et l’impératif de la rapidité, on en oublie le simple fait de patienter ou de discuter pendant le temps de cuisson. Merci aux films, aux publicités et aux rêves d’immédiateté.

C’est sans doute à mettre sur le compte d’un manque d’éducation. Nous pourrions d’ailleurs apprendre à l’école à respecter cette classe de travailleurs plutôt qu’à s’en servir de bâton. Il fut un temps où je recevais le quolibet d’« intello à lunettes ». J’ai obtenu mon baccalauréat général mention bien et me suis lancé dans le monde professionnel au moment même de ma majorité.

Série 1/4 – En bossant en restauration, Jeannette a dû faire une croix sur sa vie sociale. À cause de ses conditions de travail, ses relations se limitaient à ses collègues et aux client·e·s.

Illustration d'une femme assise sur une chaise ne peut pas répondre au téléphone.

L’argent ne fait pas tout, la conscience de classe que j’ai acquise dans ce métier m’a consolidé dans la perspective de se soutenir dans la diversité et de se serrer les coudes avec fraternité pour avancer. Je ne regrette rien. C’est désormais une ligne sur mes impôts comme sur mon CV, que je ne manquerai pas de rappeler aux moments opportuns.

Arthur, 20 ans, étudiant, Paris

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

 

La restauration, travailler plus pour gagner moins

237 000 salarié·e·s en moins en un an

Entre février 2020 et février 2021, le secteur de l’hôtellerie-restauration a perdu 237 000 employé·e·s, notamment à cause des fermetures d’établissements liées à la crise sanitaire. Mais depuis leur réouverture, le secteur peine à recruter : plus de 100 000 emplois sont actuellement à pourvoir.

1 432 euros nets par mois pour un·e serveur·euse

L’une des raisons de ce désamour : des salaires (trop) bas, qui dépassent rarement le Smic en début de carrière. Un serveur qui débute et qui travaille trente-neuf heures par semaine (en théorie, car en pratique le nombre d’heures supplémentaires explose) gagne 1 432 euros nets par mois. Même chose pour un·e plongeur·euse ou un·e cuisinier·e.

Des conditions de travail infernales

Les nombreuses contraintes imposées par le secteur participent à cette crise de vocation : horaires à rallonge, travail le soir, les week-ends et les jours fériés, stress, pression, rapidité et tâches répétitives. Les cuisinier·e·s et les employé·e·s de l’hôtellerie-restauration occupent respectivement les places une et deux du classement des dix métiers les plus pénibles en France.

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