Pauline A. 26/01/2022

3/4 Mon corps s’est figé

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Agressée dans les transports, Pauline a senti son corps se paralyser. Cet état de sidération, elle l’a vécu plusieurs fois. Depuis, elle voyage la boule au ventre, en hypervigilance.

Je n’ai jamais autant mal vécu d’être une femme que depuis ces derniers mois. Agressée six fois en l’espace de cinq mois, je ne me sens plus du tout en sécurité quand je sors.

Sortir dans la rue pour aller faire des courses, voir des amies, au travail, c’était si simple avant. Je travaille depuis six mois dans plusieurs villes et donc je suis amenée, n’ayant pas le permis de conduire, à emprunter les transports. Je suis, de base, quelqu’un qui ne sort que très occasionnellement, mais tout s’était jusque-là toujours bien passé.

Un combat entre mon corps et mon esprit

Comme chaque jour à la même heure, je prenais le bus. Mais, ce jour-là, un homme que je croisais à l’arrêt très fréquemment s’est mis étrangement à me suivre d’un bout à l’autre de la rue. Plusieurs minutes ont passé avant que je m’en rende compte – je n’étais pas du genre à me méfier de chaque passant que je croisais. Sauf que là, ce n’était plus un simple passant. Cet homme, je le connaissais. De vue, mais je le connaissais. Ce soir-là, je suis rentrée saine et sauve mais perturbée.

Le lendemain, j’ai vu ce même homme, mais cette fois dans le bus. Il s’est collé à moi. Il y avait énormément de monde, les gens se bousculaient. Je peinais à trouver un espace où me glisser, quand l’impensable s’est produit. L’homme s’est mis à me toucher, à passer ses mains là où il ne devrait pas. Dans un premier temps, mon corps ne réagissait pas. Un combat entre mon corps et mon esprit s’est mis en marche.

Mon corps a fini par me laisser me défendre. Par réflexe, je me suis retournée avec mon bras au plus haut de mon corps, l’homme s’est pris un coup de coude et a rétorqué en essayant de mettre la faute sur moi : « Madame, vous n’allez pas bien ? Qu’est-ce-qui vous prend de me frapper ? » Je suis allée m’adresser au chauffeur du bus pour lui expliquer ma situation. Il a invité les personnes à se munir de leur téléphone pour prendre l’individu en photo. Je lui ai demandé de m’ouvrir la porte pour m’en aller. Je ne l’ai plus jamais revu.

« Pourquoi tu t’es laissée faire ? »

Arrivée chez moi, c’était comme écrit sur mon visage qu’il s’était passé quelque chose de grave. Alors, pour trouver refuge, j’en ai parlé à ma mère. Elle était en colère, mais pas contre moi. Elle sait ce que c’est, d’être une femme. Mon père, lui, me tenait pour responsable : « Pourquoi tu n’as pas appelé la police ? » ; « Pourquoi tu t’es laissée faire ? » ; « Est-ce que tu l’avais regardé avant qu’il s’approche de toi ? » C’est vrai que, dans la vie de tous les jours, j’ai du caractère, et ça il le sait. Mais quand il m’est arrivé cette chose-là, c’est mon corps qui a parlé pour moi et je n’ai rien pu faire.

J’ai eu des regrets. J’ai retourné la chose dans tous les sens pour essayer de comprendre, et même d’apprendre si jamais ça m’arrivait encore. Et puis, c’est arrivé. Encore une fois, c’est mon corps et lui seul qui a pris les décisions. Lui qui m’a paralysée et qui m’a fait m’en aller le plus loin possible. Qui m’a empêché de prononcer les mots qui m’auraient peut-être coûté la vie la fois où je suis tombée sur un fou. Cette fois-ci, mon corps avait décidé d’arrêter de répondre à cet homme parce qu’il me bousculait violemment et me demandait si j’avais un souci avec lui, alors que je ne lui avais jamais adressé le moindre regard.

Je me retourne à chaque personne qui effleure mon épaule

Mon corps a pris les décisions qui, pour lui, étaient les plus adaptées, même si j’aurais aimé pouvoir me défendre, être soutenue par les passants, appeler la police et faire arrêter ces individus – car ils continueront d’agir. J’aurais aimé être plus forte et les affronter. Mais, toutes les fois où je me suis fait agresser, physiquement, sexuellement, ou même verbalement, aucun passant n’a daigné réagir. Ce n’est pas faute d’avoir demandé de l’aide à maintes et maintes reprises, sans jamais de retour.

Depuis, je me retourne à chaque personne qui effleure mon épaule. Dans les transports, je me place de sorte à ce que personne ne puisse se mettre derrière moi. Mon sac est toujours placé devant pour qu’il y ait un « obstacle » entre la personne et moi-même. Je continue à ne mettre qu’un écouteur sans jamais écouter de musique pour être à l’affût de ce qu’il se passe autour de moi. Il m’arrive de sursauter quand j’ai une absence et que je réalise que quelqu’un est proche de moi.

Série 4/4 – À force d’être harcelée et de se trouver seule face au danger, Sephora a fait un choix. Elle ne prendra plus les transports sans avoir de quoi se défendre : une bombe au poivre.

Illustration en couleurs, au premier plan à droite plusieurs mains tiennent des objets du quotidien (clés de voiture, briquet, téléphone), au second plan toujours à droite un visage de femme tourmentée de profil, en arrière plan une foule dans les couloirs du métro.

Je suis traumatisée par ces événements, mais je ne suis pas la seule. Le sujet fait encore souvent débat à table avec ma mère, on essaie de réfléchir ensemble pour trouver des solutions. Elle m’envoie des messages tous les jours pour savoir où j’en suis pendant mes trajets jusqu’au travail, chose qu’elle ne faisait pas avant. Elle le vit presque aussi mal que moi. À mon père, je n’en ai plus jamais parlé : je ne le vois pas souvent et cette idée ne me vient plus à l’esprit.

Inévitablement, après toutes ces agressions, j’appréhende donc de prendre les transports et de me retrouver encore une fois livrée à moi-même. Si agression il y a, j’appréhende les futures réactions que pourrait avoir mon corps.

Pauline, 22 ans, volontaire en service civique, Romainville

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

 

Le harcèlement dans les transports

Une situation bien connue

D’après une enquête menée par la Fnaut (fédération nationale des associations d’usagers des transports) en 2016, neuf femmes sur dix ont déjà été victimes de harcèlement dans les transports. La plupart des cas concernent des regards insistants, une présence envahissante, des commentaires et des sifflements sexistes. Dans 89 % des cas, aucun·e témoin n’a réagi.

Quand le corps empêche de réagir

Il n’est pas rare que les victimes de violences sexuelles culpabilisent de n’avoir pas pu se défendre face à leurs agresseurs. Lors de situations violentes, il arrive que l’esprit soit plongé dans une forme de « brouillard », un état de sidération empêchant la personne de réagir comme elle le souhaiterait.

Porter plainte, une double peine ?

Depuis novembre 2021, des centaines de femmes victimes d’agressions témoignent des difficultés rencontrées au moment de porter plainte. Derrière le hashtag #DoublePeine, elles racontent l’incompréhension, les maladresses sexistes et parfois le mépris des policier·e·s. Une initiative qui relance le débat sur le manque de formation des agent·e·s.

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