Tomy I. 17/11/2022

3/5 La dysphorie ne m’a jamais quitté

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Tomy mène une double vie : out au lycée, mais pas en famille. Après la dysphorie, c'est une délivrance d'être enfin vu comme un garçon.

La salle de bain. Le mur pâle. Le miroir accroché. Mon regard qui se perd. Il n’y a aucun bruit, sauf ma respiration qui soulève ma poitrine. Cette pièce est devenue une phobie. Être transgenre est une souffrance. Vivre avec un corps qui n’est pas le sien n’est pas chose aisée. Et la douleur de la dysphorie est dure à exprimer avec des mots.

Transgenre, moi ? Je ne me doutais de rien. Très tôt, j’ai étouffé mon mal-être, refoulé cette partie de moi, rejeté mon corps. Je n’ai rien dit. J’étais renfermé. Mes proches disaient : « Elle est toujours dans les nuages cette petite ! » Ils expliquaient ce rejet par les agressions, les crimes même, que j’avais subis avant.

Du rose, uniquement du rose

Mais la même question me revenait en boucle : pourquoi « elle » ? Je l’ai posée à la maîtresse en CM1, comme si c’était une évidence. D’un air stupéfait, elle avait répondu : « Les filles c’est “elles” et les garçons c’est “ils” ! C’est comme ça, c’est la nature. » Alors la nature peut se tromper ? Cette question m’a traversé l’esprit mais je n’ai rien dit. Même si, au fond, mon cœur d’enfant a loupé un battement. Je voulais être un garçon.

J’ai fini par grandir. J’avais le droit à des millions de compliments : « Qu’elle est belle, cette petite ! » Je souriais comme la bonne petite adolescente qu’on avait dressée, de façon à ce que mes envies d’être ce que je suis ne se voient pas. La féminité était mon premier critère pour m’habiller : les cheveux longs, du rose et uniquement du rose. Il fallait que je sois une fille.

Supporter cette image qui n’était pas la mienne a rendu le regard des gens insoutenable pour moi. Alors j’ai arrêté de sortir. Puis, je suis tombé malade et j’ai été hospitalisé plusieurs fois. J’étais seul dans une chambre, confronté à moi-même et terrifié. En plus, ma puberté est arrivée au même titre que la dysphorie : mes seins ont commencé à pousser, et je ne le supportais pas.

Après la dysphorie, une bouffée d’air

À mon grand étonnement, après cette maladie, j’ai enfin eu la force d’affronter mes problèmes. J’ai puni mon père pour les crimes qu’il m’avait fait subir. J’ai décidé, également, de changer physiquement.

J’avais comme l’impression de prendre une bouffée d’air frais. Après une longue apnée, ma tête a recommencé à être oxygénée, j’ai repris goût aux choses simples de la vie.

J’ai rencontré la personne la plus importante de ma vie (à l’époque mon meilleur ami, qui à ce jour est mon copain). Il m’a poussé à m’assumer et je lui en serai à jamais reconnaissant. Mes amis se sont mis à utiliser le pronom « il ». J’ai enfin commencé à me sentir comme un garçon à part entière et traiter ma dysphorie.

Ma double vie

Sauf que j’ai une famille très peu ouverte d’esprit, notamment ma mère. Un soir, j’ai craché le morceau et la dispute a éclaté. Je ne l’avais jamais vu pleurer avant. Elle a dit : « Tu nous fais souffrir, moi et ton frère ! » Mon corps a été paralysé par la culpabilité. J’ai tant pleuré que j’ai cru que mes poumons allaient se noyer dans mes larmes. Est-ce que je devais me sacrifier pour elle ? J’y ai songé. Mais c’en était trop… j’avais trop baigné dans la souffrance de ma dysphorie. Maintenant que je m’étais réveillé de ce long sommeil, je ne voulais plus me rendormir.

Je me suis créé une sorte de double vie pour que plus jamais le sujet ne dépasse de mes lèvres devant ma mère. C’est au lycée que se passe ma nouvelle délivrance. Enfin, ma vie d’adolescent commence. Je me sens à ma place de garçon et je comprends que je ne suis pas moins légitime qu’un autre. Mes ambitions sont plus grandes.

SÉRIE 4/5 – Az a changé de style pour explorer son identité de genre. Iel envisage aussi une réduction mammaire pour se sentir mieux dans son corps.

Je n’ai pas grandi en compagnie des réseaux sociaux alors les aides extérieures, les modèles, je n’en avais pas. Voilà pourquoi je veux prendre la parole aujourd’hui. À mes yeux, les personnes transgenres sont des modèles de courage et de témérité. Et même à mon pire ennemi, je ne lui souhaiterais pas de naître dans un corps qui n’est pas le sien.

Tomy, 16 ans, lycéen, Marignane

Illustration © Léa Ciesco (@oscael_)

 

 

Tu te poses des questions sur ton identité de genre ?

Et/ou tu es une personne transgenre à la recherche d’infos ou d’assos ?

 

Voici quelques liens utiles :

 

Des groupes de parole pour personnes trans et/ou en questionnement

→ Trajectoires Trans, organisé par Espace Santé Trans, en ligne.

→ Les groupes de parole organisés par OUTrans, à Paris ou en ligne. L’association en organise également avec des proches (famille, ami·es…).

 

Des infos sur tes droits et ta santé, sur le site d’Acceptess-T.

 

Des personnes à qui s’adresser en cas de violences

Les actes anti-LGBTQIA+ ont doublé en cinq ans et 58 % des victimes sont des mineur·es. Si tu es concerné·e et que tu as besoin d’aide, SOS Homophobie a fait un document récap avec quelques numéros et liens utiles :

 

infographie SOS Homophobie

 

L’Existransinter, une marche des personnes trans, intersexes et de celles et ceux qui les soutiennent est également organisée chaque année depuis 1997. Cette année, elle aura lieu le 23 mai 2023.

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