3/4 Fille d’agriculteurs, je n’ai pas une voie toute tracée
Avoir des parents agriculteurs, c’est cool : à la ferme, on a du lait gratuit, on fait des tours de tracteurs quand on veut, on a un grand espace de jeu à la campagne, on trait les vaches et on donne le biberon aux veaux qui viennent tout juste de naître… L’été, on fait la moisson du blé. Quand vient l’automne, c’est la saison des ensilages et des repas qui n’en finissent jamais, où on rigole. Mais ce n’est pas que ça.
J’ai toujours vu mes parents travailler jusqu’à s’en rendre malades, ne pas savoir comment ils allaient finir le mois, à quel prix le lait serait le mois prochain, ou se soucier d’un animal malade. Ils n’avaient jamais de week-ends ou de journées de repos comme des personnes salariées. Seulement dix jours de vacances par an. C’est une petite ferme familiale, qui s’est développée au fil du temps. Il fallait faire constamment des investissements pour être aux normes, et pour celui qui prendra la suite. Aujourd’hui, dans le troupeau, on peut compter en moyenne entre 70 et 80 vaches, plus les génisses et les veaux.
La ferme, je ne m’y voyais pas plus tard
J’ai toujours aimé aider à la ferme mais cela n’a jamais été ma passion. Je ne m’y suis jamais plus intéressée que ça, je me suis toujours dit que je n’en ferai pas mon métier plus tard. Le domaine qui m’intéressait, c’était le social. À la fin de la troisième, je suis allée aux portes ouvertes d’un lycée qui proposait des formations dans le social. Le soir, j’en ai parlé à mes parents. Ma mère m’a écoutée. Mon père s’est vaguement intéressé… J’ai toujours eu l’habitude qu’il ne se penche pas trop sur nos études. Mais pour moi, là, c’était quelque chose d’important : mon avenir se décidait.
Le seul métier que mon père a connu, c’est agriculteur. C’est ce qu’il a fait toute sa vie et me voir me destiner à un métier qu’il ne connaissait pas, c’était quelque chose de nouveau. Autant pour moi que pour lui. Je lui en ai un peu voulu, pendant longtemps, de ne pas me soutenir autant que je l’aurais aimé.
Pour mon frère, c’était déjà tout tracé
Pour mon frère, la question ne se posait même pas. Il voulait faire des études dans l’agriculture, sa voie était toute tracée : il devait reprendre l’exploitation agricole et être la quatrième génération de notre famille dans cette ferme. C’est une fierté de transmettre son exploitation. Ses études, c’était le sujet de discussion à table le soir. Moi, je n’existais plus, j’étais toujours aussi perdue dans mes choix, dans ce que je voulais faire. Cela me blessait énormément.
Finalement, j’ai fait un bac pro SPVL (service de proximité et vie locale), destiné aux métiers du social. J’ai rencontré des personnes formidables qui ont su m’intégrer, j’ai aussi pris une énorme confiance en moi et j’ai surtout trouvé ma voie, celle dans laquelle je veux travailler plus tard.
Je reviendrai toujours à la source, la ferme
Aujourd’hui, je suis en BTS et mon père s’intéresse un peu plus à ce que je fais. Je sais qu’il ne me le dira pas mais je sais qu’au fond de lui, il est fier de ce que j’ai pu accomplir. Il n’est pas autant investi que je pourrais l’espérer mais nous arrivons quand même à avoir des débats sur certains sujets, à ne pas être d’accord et à en discuter.
Je continue toujours à aller à la ferme quand ils ont besoin, pour les transferts de vaches, pour faire la traite ou même par plaisir. Mon frère a fini ses études, il travaille avec mes parents tout son temps libre, tous les week-ends. Mes parents comptent sur lui. C’est la fierté de mon grand-père, la relève. Grâce à lui, la ferme reste dans la famille. Moi, je vois bien que ce que je fais, ça ne va pas les aider. Je ne suis pas là autant que lui, et je ne sais faire que les choses basiques.
Série 4/4 – À l’école, Marie était mise à l’écart à cause du métier de ses parents, agriculteurs·trices. Aujourd’hui, en lycée agricole, elle se sent enfin à sa place.
Mais même si je ne me dirige pas vers ce milieu-là, j’aurai toujours une part de moi qui restera accrochée. J’aime vivre à la campagne, avoir des champs et des vaches autour de moi. Je pense que je reviendrai toujours aux sources, comme on dit. Je suis très fière du métier de mes parents, c’est un des plus beaux qui puisse exister.
Ludivine, 21 ans, étudiante, Brest
Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)
L’agriculture en pleine transformation
Une profession qui se meurt
Dans moins de dix ans, la moitié des agriculteurs·trices partiront à la retraite. Un départ sur trois seulement sera remplacé. Il y a quatre fois moins d’agriculteurs·trices qu’il y a quarante ans, et 100 000 exploitations agricoles ont disparu depuis 2010. En cause, la pénibilité, les infrastructures trop chères, les salaires trop faibles, mais aussi le changement climatique et ses conséquences…
Objectif, attirer les jeunes
Le ministère de l’Agriculture mise tout sur les jeunes. Via sa campagne « Entrepreneurs du vivant », il sponsorise des influenceurs·euses pour dépoussiérer l’image de ces métiers : Amixem passe une journée à la ferme et Juste Zoé plante un potager. Un tournoi sur le jeu Farming Simulator a même été organisé en décembre sur Twitch.
Féminisme agricole
À l’heure où la profession se féminise, les agricultrices sont de plus en plus nombreuses à lutter pour une meilleure reconnaissance et les mêmes droits que les hommes, longtemps considérés comme seuls chefs des exploitations. « [Elles] ont longtemps été des travailleuses invisibles, absentes des statistiques ; elles ne travaillaient pas, elles aidaient leurs maris », reconnaît un rapport du Sénat en 2017.