1/4 Tout ça parce qu’on s’ennuie dans mon quartier
On était dans une gare : nous sur un quai et eux sur l’autre. Suite à leurs regards, on a décidé de les rejoindre pour leur demander pourquoi ils nous fixaient. Automatiquement, sans raison valable, on les a tapés à cinq. C’était ma première guerre de quartier.
Les guerres de cité peuvent commencer pour tout ou rien. On suit les règles bêtes de nos quartiers, ça a toujours été comme ça. Depuis mon plus jeune âge, je suis dans ce genre de conflit.
J’ai toujours un petit couteau sur moi
Leur quartier a voulu répliquer, puis c’est toute la ville qui s’y est mise. Plus les guettes [ndlr guet-apens] avancent, plus la violence augmente. On passe des bâtons aux armes blanches, puis aux armes à feu qu’on achète ou que nos grands nous passent. Moi, j’ai toujours un petit couteau sur moi et j’ai déjà dû me servir d’un poing américain.
Les plus petits nous voient faire, donc ils se mettent à entrer en guerre avec leur génération. Le pire dans tout ça, c’est que même si tu veux arrêter la guerre… tu ne peux pas. Ou alors il faut se faire discret. Je ne décide pas. Si un de mes amis se fait taper, je serai obligé d’aller le venger. Je l’ai déjà fait. C’est une des règles débiles que je dois suivre. Et encore, ce n’est rien…
Cette guerre m’empêche d’aller en cours
Les guerres peuvent se calmer, mais ne s’arrêtent jamais. Je l’accepte et je vis avec au quotidien : on est obligés d’aller faire les magasins à quinze pour éviter que l’un de nous se fasse sauter dessus par les mecs d’à côté. Je me dis que si je meurs ou si je finis en prison à cause de ça, c’est normal. Parce que j’ai su défendre mes potes et parce qu’ils auraient fait la même chose pour moi.
Le rappeur Adama Camara, plus connu sous le nom de Sansan, s’est vengé de la mort de son frère, Sada, tué dans une rixe. Depuis sa sortie de prison, il lutte contre les violences inter-quartiers grâce à la musique, notamment dans son dernier son :
On ne se mélange pas avec les mecs d’autres villes. Au lycée, on ne se calcule pas. On est très fermés. Dernièrement, je me suis mis dans une histoire sans le vouloir, sans m’y attendre, car j’ai parlé avec une fille. Ses frères ont décidé d’aller frapper tous les garçons qui ont parlé avec leur sœur et ces garçons en question ne sont que des Noirs. Ça a encore créé un conflit entre les Noirs et les Arabes. Ça m’empêche d’aller en cours et mes parents n’ont absolument aucune idée de tout ce que j’endure en dehors de la maison. C’est mieux ainsi. Je gère mon année comme je peux et les profs connaissent ma situation.
J’ai l’impression d’être bloqué dans le noir
Personne n’essaie de comprendre ce que l’on vit au quotidien. On nous colle une étiquette de délinquants sans savoir pourquoi on fait tout ça. On est dans tout ça parce qu’on s’ennuie dans nos quartiers, on n’a pas de parc, pas de jeux pour les plus petits… donc on s’occupe comme on peut : on vend de la drogue, on rentre en guerre de cité.
La peur n’existe plus. Il y a onze ans, je sortais pour jouer au ballon, maintenant je sors pour abattre l’ennemi d’à côté. Cette vie-là, je n’en peux plus, je n’en veux plus. Ça me manque l’époque où l’on n’avait aucun souci, mais comme on le dit souvent chez nous : c’est la street donc on fait avec et on avance malgré tout.
Une bagarre, puis une autre… Imane a fini par s’habituer. Elle n’a jamais participé à une rixe, mais en connaît bien les conséquences : les marches et le deuil.
Le quartier, pour moi, c’est comme une prison… avec plus de liberté, mais ça restera une prison à mes yeux. S’en sortir, c’est plus facile à dire qu’à faire. Je n’ai pas envie de finir ma vie derrière ce mur. Je suis entre mes rêves et mes espoirs, j’ai l’impression d’être bloqué dans le noir. J’aimerais changer de vie, mais le passé fait mal… comme les coups.
Scott, 18 ans, lycéen, Melun
Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)