2/4 Le coût de la santé mentale
« Je sais pourquoi vous aimez tant l’Angleterre, c’est parce que pour s’y rendre, il faut traverser… la mère. » Quand le psychanalyste m’a sorti ça, je me suis demandée s’il plaisantait. Mais non. Impossible ensuite de le prendre au sérieux. Quand je parlais de lui en dehors de nos séances, je l’appelais « Jean-Michel Blague ». Une manière de tourner en dérision un constat déprimant : j’avais attendu neuf mois qu’on m’attribue un thérapeute, et j’étais tombée sur un clown.
En plus d’être inadapté, ce psychanalyste n’arrêtait pas de me demander des dons en cash et me répétait que je n’irai pas mieux si je ne payais pas mes séances de ma poche.
À l’époque, je vivais sous le seuil de pauvreté. Je m’étais adressée à un CMP (centre médico-psychologique) où les rendez-vous sont pris en charge par la Sécurité sociale. J’avais attendu neuf mois pour enfin accéder à une équipe thérapeutique : une psychiatre et mon thérapeute, Jean-Michel Blague.
L’ALD pour être mieux remboursée
Dès notre première rencontre, la psychiatre m’a prévenue que ma prise en charge serait limitée dans le temps et que je devrais, à terme, trouver une alternative à mes frais. Elle ne m’a pas posé de diagnostic, pour ne pas « m’enfermer » dans un trouble spécifique. Une démarche répandue en France, sauf que sans diagnostic, impossible que mon trouble soit considéré comme une ALD (affection longue durée).
Dans la liste des maladies qui permettent d’en bénéficier, on retrouve les diabètes, les AVC, la maladie de Parkinson et divers cancers. Ce dispositif me permet d’être mieux remboursée pour les séances de psychiatrie et les médicaments. Désormais l’ALD prend intégralement en charge mes traitements médicamenteux et une partie de mes séances de psychiatrie. Mais la reconnaissance de mon trouble comme étant une ALD a mis du temps.
La santé mentale est mon deuxième budget mensuel après mon loyer (850 euros) et avant la nourriture (environ 300 euros par mois). Aujourd’hui, je suis suivie par un psychiatre une fois par mois, ainsi que par une psychologue et une thérapeute spécialisée en EMDR, une méthode pour le traitement spécifique des traumatismes, à raison d’une séance tous les quinze jours. En tout, je dépense exactement 407,50 euros par mois pour me soigner, après remboursement de 62,50 euros par la Sécurité sociale (prise en charge de base et ALD).
Des TCC et un diagnostic
Quand j’ai compris que la solution offerte par le CMP était sans issue pour moi, j’ai commencé à faire des recherches pour identifier une forme de thérapie qui me conviendrait mieux que la psychanalyse. C’est là que j’ai découvert les thérapies cognitivo-comportementales, les TCC. Dès ma première séance, ma psy TCC a décelé le trouble que je pouvais avoir. Elle m’a orientée vers un psychiatre qui a posé le diagnostic en une séance. Je cernais mieux mes besoins en termes de soins, mais le problème restait le même : comment financer tout cela ?
En France, seuls les rendez-vous en psychiatrie sont remboursés par la Sécurité sociale (à hauteur de 31,69 euros exactement). Ainsi, pour espérer être aidée au financement des séances chez un·e psychologue, psychothérapeuthe ou psychanalyste, il faut avoir recours à une mutuelle. La mienne me rembourse cinq séances par an, à hauteur de 60 euros. Une séance chez ma psychologue, c’est 70 euros. Une séance chez ma thérapeute EMDR 100 euros. On est loin d’une compensation intégrale. Peu importe son prix, je n’ai pas trouvé de mutuelle remboursant mieux les frais psy. Ses remboursements ramènent mon budget santé mentale annuel d’environ 4 900 euros à 4 600 euros. Seulement.
Remplir le fameux dossier MDPH
Travailleuse indépendante, je n’ai pas droit aux arrêts maladie. Alors j’ai mis de côté ma phobie des acronymes barbares et j’ai rempli le fameux dossier MDPH (maison départementale des personnes handicapées) pour obtenir la reconnaissance de ma qualité de travailleuse handicapée. RQTH. Encore un acronyme.
Cette reconnaissance me permettrait d’aménager mon poste si je décidais de trouver un travail salarié, ou de toucher l’AAH, c’est-à-dire l’allocation adultes handicapés. Un filet de sécurité. Si du jour au lendemain, je me retrouvais sans revenus, je toucherais un peu moins de 1 000 euros nets par mois… quand mes frais de logement, de nourriture et de soins représentent plus de 1 500 euros par mois.
Difficile pour moi, après avoir dressé un tel bilan, de croire en l’amélioration de la prise en charge de la santé mentale en France. C’est l’un des pays champions du monde de la consommation d’antidépresseurs et d’anxiolytiques. C’est aussi un pays où la cure thermale est mieux remboursée que les soins les plus basiques en santé mentale. Cherchez l’erreur !
Pauline, 36 ans, travailleuse indépendante, Paris
Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)
Série Vivre avec des troubles psy, récit 3/4 : Le trouble anxieux, un combat au quotidien
Le trouble anxieux généralisé (TAG), dont souffre Erwan, lui a pourri la vie en l’isolant. Aujourd’hui sous traitement, il entend redonner espoir à celles et ceux qui en souffrent.