3/3 Où sont les équipes féminines ?
Depuis mes 5 ans, je rêvais de pratiquer du foot dans un club, dans des équipes féminines, peu importe… mais cela n’était pas possible. Dans ma famille, on me disait souvent que c’était un sport de garçon. Alors, j’ai décidé d’économiser et d’aller me payer ma licence à mes 16 ans dans le club le plus proche chez moi. Je suis sortie un soir en disant : « Je pars à l’entraînement. »
Après tant d’années de lutte, j’ai donc commencé le foot en club en octobre 2019, un peu après le début de la saison. Finalement, mes parents ne semblaient pas être contre. Je pense qu’ils avaient eu envie de me préserver des regards.
Je suis actuellement dans un club de football masculin avec quelques équipes féminines. Ce club a ouvert sa section féminine il n’y a même pas cinq ans. C’est le seul club féminin autour de chez moi. Mais il n’a pas été difficile à trouver, car il est à vingt minutes à pied.
L’amour du football
L’intégration s’est plutôt bien passée car, lorsque je suis arrivée, je n’avais pas le niveau d’une débutante. Je m’entendais très bien avec les autres joueuses. J’ai toujours joué au foot et c’est peut-être ce qui m’a permis de m’intégrer.
J’ai grandi avec un frère assez sportif. Nous avons deux ans d’écart et nous étions donc dans la même maternelle, la même école et le même collège. La cour était majoritairement animée par le foot, que ce soit à la récréation, à la pause du midi, ou à l’aide aux devoirs du soir. J’y ai développé mon amour pour ce sport.
Ça devenait limite de la hagra
Tout allait bien jusqu’à la pandémie du Covid et que l’on soit confinés. Pendant le confinement, j’ai invité une amie à venir pratiquer le foot en club avec moi. Elle avait pratiqué quelques années auparavant mais avait dû arrêter par manque de temps. Tout a commencé crescendo. Nous n’étions pas dans une équipe avec des filles de nos âges, nous étions avec des joueuses de 15-16 ans… alors que nous en avions 17-18. Je ne sais toujours pas pourquoi.
Les cadres connaissent leur travail mieux que nous, alors nous avons laissé couler. Nous n’aurions pas dû car nous avons vraiment tout laisser couler : les moqueries, les insultes, etc. Les filles de l’équipe nous répétaient souvent qu’on était nulles, qu’on ne servait à rien. Elles critiquaient notre manière de jouer, imitaient les gestes techniques qu’on employait sur le terrain. Ça devenait limite de la hagra, de l’acharnement.
En septembre, nous avons enfin intégré la bonne équipe, mais mon amie n’était plus convoquée sur les matchs, qu’ils soient importants ou non. Pourtant, les coachs nous disaient souvent qu’on avait des capacités et qu’on était capables de beaucoup de choses. On a décidé de faire les indifférentes, mais ça m’empêchait de prendre du plaisir à jouer et ça l’empêchait, elle, de s’améliorer. Et les filles de l’équipe avaient décidé de se mettre à l’écart et de former « un noyau dur » lors des entraînements ou des sorties.
Temps de trajet et listes d’attente à rallonge
Au début du mois d’octobre, j’ai rencontré un coach de haut niveau à la maison de quartier de ma ville. Je lui ai raconté ce qui se passait dans le club. Il était surpris et m’a dit que c’était la première fois qu’il entendait ça, et qu’on devrait songer à changer.
Nous avions pensé à changer pour d’autres équipes féminines mais c’est compliqué, car là où je vis il est difficile de trouver un club de foot féminin. Les détections existent mais les clubs reprennent les mêmes joueuses. Les autres plus grands obstacles sont le temps de trajet (une heure minimum dans les alentours… ce qui est impossible pour nous car nous ne sommes pas véhiculées), le nombre de joueuses qui essaient d’intégrer ces équipes féminines (donc la liste d’attente est assez longue), et il y a aussi le manque de temps avec les études.
Je lui en ai parlé. Il m’a dit que le problème était que le football féminin n’était pas assez développé, du coup les clubs autour négligeaient les équipes féminines. Il a aussi dit que c’était du gâchis de nous laisser sans rien faire, qu’on était la future génération, et qu’on ne devait pas baisser les bras.
On nous appelait « les traîtres »
Il a décidé de prendre mon numéro, celui de mon amie et de nous coacher pour les vacances. Il nous a donc entraînées pendant les vacances de la Toussaint dans une ville non loin de la nôtre et nous a appris énormément de choses en deux semaines.
À la rentrée, je ne sais pas comment, mais nos coachs étaient au courant qu’on était allées s’entraîner ailleurs. Ils n’ont pas manqué de le raconter aux autres filles de l’équipe. Les coachs et les filles se sont alors permis de nous appeler « les traîtres », alors qu’on cherchait seulement à enrichir notre apprentissage. C’était la fois de trop. Le président du club a organisé une réunion avec les coachs. Ils ont arrêté de nous appeler « les traîtres », mais pas les filles.
Une affiche de détection au Red Star
Début 2022, il y a eu une affiche de détection au Red Star, un club installé dans la banlieue nord de la capitale. C’est à trois heures de chez moi, mais il y a une disposition qui nous permettrait d’arriver à l’heure : un car du club vient nous chercher à notre adresse et nous dépose. Mais il est payant. C’est rare qu’il y ait des détections dans des clubs quand on est une fille et, quand il y en a, c’est une grande occasion pour toutes les passionnées de football.
SÉRIE 1/3 – Le foot, Evelyne et Binta adorent ça. Mais elles ont du relever de nombreux défis pour pouvoir le pratiquer librement.
C’est un ami qui y joue qui nous a proposé de venir. Mais les conditions sont délicates. Il faut être sans club et, étant donné que nous sommes bel et bien licenciées, c’est à nos risques et périls d’y aller. Si mon club actuel apprend que je pars à une détection au cours de la saison alors que je suis licenciée, il risque de bloquer ma licence. Ce qui veut dire que je ne pourrais pas aller m’inscrire dans d’autres équipes féminines. Et le club des Red Star risque de me désinscrire de la détection. Mais nous allons y aller et tenter notre chance. Qui ne tente rien n’a rien.
Niyah, 19 ans, étudiante, Île-de-France
Crédit photo Pexels // CC Anastasia Shuraeva
Gagner ou perdre du terrain
Des débuts compliqués
– Le 7 mai 1881, la presse vient assister pour la première fois à un match de foot féminin, à Edimbourg. Les journalistes parlent des tenues des joueuses, le public quitte les tribunes avant la fin du match. Les rencontres suivantes susciteront même des émeutes.
– En 1912, le premier club de foot féminin français (Fémina Sport) est créé par deux profs d’éducation physique. Puis, ça s’enchaîne : en 1919, constitution d’une équipe de France. En 1921, création du championnat de France féminin. Mais pendant la Seconde Guerre mondiale, énorme coup de frein du régime de Vichy : interdiction du foot pour les femmes.
Cinquante ans seulement de reconnaissance
– C’est seulement dans les années 60 que le foot féminin refait son apparition dans des fêtes de village. En 1969, des footballeuses déterminées créent une équipe de France et participent à une coupe d’Europe pirate. Ce coup de force mène à la reconnaissance du football féminin par la FFF (Fédération française de football) en 1970.
– Aujourd’hui, le championnat de France féminin de football est appelé Division 1. C’est l’équivalent de la Ligue 1, sauf que chez les femmes, ce championnat n’est pas professionnel.
Pas professionnelles et mal payées
– Pour les joueuses, ça signifie un statut amateur ou semi-professionnel, des contrats hybrides, et surtout des salaires très bas. En moyenne, 2 494 euros par mois contre 108 422 euros pour les footballeurs professionnels.
– Le salaire de la joueuse de foot la mieux payée au monde, l’attaquante de Chelsea Samantha Kerr, frôle les 480 000 euros par an. Son homologue masculin, Lionel Messi, au PSG, a touché 125 millions d’euros cette saison.