Louise F. 01/12/2021

3/4 Je suis étudiante, pas manageuse !

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À côté de ses études, Louise s'est retrouvée à gérer le restaurant où elle bossait. Une responsabilité bien trop importante pour son poste.

« Bon, je te fais confiance, tu gères la close ? » La close, c’est ce moment en restauration où on doit faire partir les dernier·e·s client·e·s et où le sale boulot commence : ménage, rangement, décrassage de la cuisine huileuse de la journée. Moi, je travaillais dix heures par semaine en contrat étudiant, pour arrondir mes fins de mois. J’étais payée le minimum, alors gérer la close, la première fois, ça m’a fait peur.

Compter la caisse, manager l’équipe (en sous-effectif), s’assurer de bien fermer le restaurant : un statut et des responsabilités bien plus importantes que celles pour lesquelles j’avais été embauchée, à savoir « équipière polyvalente ».

Moi, j’étais toujours là

Quand le Covid est arrivé, les aides de l’État ont été mises en place, et le terme de « chômage partiel » s’est imposé. Le restaurant est resté ouvert durant toute la pandémie, car on fonctionnait avec les livraisons à domicile. Alors, quand on a vu pour la première fois « indemnités liées à l’activité partielle » sur nos fiches de paie, on s’est posé des questions. La première fois qu’on a abordé le sujet avec notre directrice, elle nous a rassuré·e·s : « Oui, moi aussi j’ai la même chose sur ma fiche de paie. Vous en faites pas, c’est la comptable qui gère ça, ça ne change rien. Vous avez été payé·e·s, non ? » Alors oui, on avait été payé·e·s. Ce qu’on ne savait pas, c’est qu’on cotisait beaucoup moins, que nos périodes d’essai étaient repoussées, et que la Sécurité sociale ne pouvait pas nous assurer l’arrêt maladie, puisqu’on était censé·e·s être chez nous.

Ces tensions ont causé le départ de beaucoup d’entre nous. L’équipe n’a cessé de se renouveler, sans jamais se stabiliser. Moi, j’étais toujours là, parce que retrouver du travail en pleine pandémie et gérer une classe prépa en même temps paraissait impossible. Et puis, dix heures par semaine, c’est peu. Je me suis retrouvée rapidement une des plus anciennes de l’équipe. Celle qui connaissait tout (ou presque), qui gérait les situations exceptionnelles, les rushs en livraison, les livreurs énervés par la lenteur du service (sous-effectif oblige). Bref, j’assurais vraiment, mais j’avais aussi beaucoup de pression.

Cette tension a fini par devenir insupportable et, de plus en plus, on se rendait compte de l’illégalité de la chose. Nous (moi et d’autres) avons décidé de saisir l’inspection du travail, qui nous a tout de suite pris au sérieux, et surtout assuré que ce qui se passait dans notre restaurant n’était pas normal. La directrice a été mise en courant, évidemment. Elle pensait que c’était un contrôle de routine.

D’une équipe de potes, à un climat de méfiance

On a tous été convoqués dans des entretiens individuels au bureau de l’inspection. La directrice nous a convoqué·e·s un par un juste avant, pour en savoir plus sur ce que nous allions dire : « Bon, tu as bien compris que si on avait fait ça, c’était pour ne virer personne. Si tu n’es pas d’accord avec cette méthode, tu me le dis, et on trouve un arrangement pour rompre ton contrat. Par contre, auprès des inspecteur·trice·s, tu joues le jeu, on est d’accord ? » « Jouer le jeu », c’était en fait mentir, et dire que les heures déclarées au partiel, on les avait bien passées chez nous.

Au lieu d’améliorer les choses, la procédure administrative a empiré les tensions. Entre nous, on ne savait plus qui avait dit quoi à qui. « Alors, t’as parlé ? », devenait une question récurrente dès que quelqu’un partait à l’inspection. La directrice nous sondait, nous montait les un·e·s contre les autres, pour semer le doute. Lorsque les propriétaires du restaurant venaient, c’était encore une autre histoire. « On a de l’argent, les inspecteur·trice·s, on n’en a rien à faire. Par contre, une taupe dans l’équipe, ça ne passe pas. »

Ma vie au restaurant

Une pression permanente. Des horaires fatigantes. Une prise de tête constante, qui a rapidement pris le pas sur le reste, à savoir mes cours et ma vie sociale. Car travailler dans de telles conditions en semaine avait beaucoup plus d’impact que je ne l’aurais pensé. Arriver à minuit en soirée, lorsque tout le monde est déjà bourré. Se mettre à travailler le partiel du lendemain à minuit, alors que la seule chose dont on a envie, c’est une bonne douche et se mettre au lit. Louper les fins de cours car pas question d’arriver en retard au début du service.

Lorsque mes cours se sont terminés, j’ai persisté et augmenté mon contrat à vingt heures par semaine, car je voulais économiser. Le restaurant est devenu toute ma vie, je faisais des heures supplémentaires, toujours payées au chômage partiel. J’ai noué une relation d’hypocrisie avec ma patronne, qui faisait semblant (je pense) d’être amie avec moi, car j’étais une des seules sur qui elle pouvait compter quand quelqu’un démissionnait, puisque je connaissais toutes les procédures. Je voyais tou·te·s mes ami·e·s partir en vacances entre eux·elles, enchaîner les soirées, fêter la fin des concours.

Avec mes collègues, un écart s’est creusé

Le rythme effréné s’est intensifié, je passais quatre à cinq soirs par semaine au restaurant. Je suis devenue l’élément essentiel de la directrice, qui me laissait seule à former des nouvelles équipes. Pour moi, c’était une pression considérable, surtout lorsque j’ai eu la mission de compter les caisses. Au lieu d’aider mes collègues à nettoyer le restaurant, je faisais les comptes dans le bureau. Un écart s’est creusé entre nous. Les nouveaux·elles me prenaient pour une responsable. Pourtant, je ne ressentais aucune légitimité à donner des ordres, surtout à ceux·celles qui travaillaient en trente-cinq heures.

Série 4/4 – En étant serveur dans un fast-food, le plus dur pour Arthur n’était ni les horaires, ni le salaire… mais les client·e·s. Une expérience qui l’a conduit à se forger une conscience de classe.

Illustration d'un jeune homme se tenant la tête, dégoûté par les clients du restaurant.

J’ai fini par démissionner. J’ai fait en sorte d’être payée de tous mes congés et je suis partie. Après un an et demi de travail chaque semaine, sans vacances (j’avais dû prendre deux semaines en tout), arrêter ce rythme interminable m’a fait bizarre, mais m’a permis de prendre du recul. Je ne sais pas ce que l’enquête de l’inspection du travail a donné, je ne le saurais peut-être jamais ! Cette expérience m’a beaucoup appris, mais elle m’a surtout dégoutée de la restauration.

J’ai aujourd’hui la chance d’être en alternance dans une entreprise qui me correspond, je n’ai donc plus besoin de travailler à coté. Je me sens stupide d’avoir été exploitée, de m’être laissée faire sous le prétexte de gagner de l’argent, mais aussi fière d’avoir tout de même réussi mon année de prépa avec ce rythme. Et puis, comme disait ma si chère patronne : « La restauration, c’est une bonne école de la vie. »

Louise, 22 ans, étudiante, Paris

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

 

La restauration, travailler plus pour gagner moins

237 000 salarié·e·s en moins en un an

Entre février 2020 et février 2021, le secteur de l’hôtellerie-restauration a perdu 237 000 employé·e·s, notamment à cause des fermetures d’établissements liées à la crise sanitaire. Mais depuis leur réouverture, le secteur peine à recruter : plus de 100 000 emplois sont actuellement à pourvoir.

1 432 euros nets par mois pour un·e serveur·euse

L’une des raisons de ce désamour : des salaires (trop) bas, qui dépassent rarement le Smic en début de carrière. Un serveur qui débute et qui travaille trente-neuf heures par semaine (en théorie, car en pratique le nombre d’heures supplémentaires explose) gagne 1 432 euros nets par mois. Même chose pour un·e plongeur·euse ou un·e cuisinier·e.

Des conditions de travail infernales

Les nombreuses contraintes imposées par le secteur participent à cette crise de vocation : horaires à rallonge, travail le soir, les week-ends et les jours fériés, stress, pression, rapidité et tâches répétitives. Les cuisinier·e·s et les employé·e·s de l’hôtellerie-restauration occupent respectivement les places une et deux du classement des dix métiers les plus pénibles en France.

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