Beverly C. 13/09/2024

2/4 Se défaire de la honte et parler

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Beverly, 24 ans, a longtemps minimisé les violences familiales qu’elle a subies. Depuis trois ans, elle regarde ses traumatismes en face et s’occupe de sa santé mentale.

Je n’ai qu’une flamme qui m’anime, celle de la vérité et de la justice. Admettre que j’ai été une enfant maltraitée n’a pas été facile. C’est un processus de déconstruction de tous les schémas familiaux qui m’ont été inculqués. Une remise en question. Au début, on se répète naïvement que l’on n’est pas une môme battue. Qu’il ne faut pas dramatiser. Lorsque l’on grandit et se construit dans un environnement qui a banalisé les violences, il est difficile de pouvoir les repérer. On intègre ce qu’on subit comme une normalité. On finit par se dire aussi qu’on le mérite.

J’ai toujours entendu dans mon enfance des propos tels que : « Une claque ou un coup de pied au cul n’a jamais fait de mal à personne »« Je me prenais des torgnoles et j’en suis pas mort. » Mort peut-être pas, mais ce n’est pas le cas de tous. Mort peut-être pas, mais aujourd’hui ça laisse des traces.

Prise de conscience 

C’est en sortant de l’adolescence que j’ai pu, petit à petit, conscientiser tous les abus que j’avais subis. Avoir été expulsée par mon père à 17 ans et récupérer mon dossier de l’Aide sociale à l’enfance (ASE)… ça m’a permis de réaliser tout ça. Et, probablement, de réveiller ma mémoire traumatique. J’ai des souvenirs des maltraitances que j’ai vécues, mais certains sont passés à la trappe. 

Grandir, évoluer hors de ma famille et hors de ma petite province, a eu son importance pour accepter cela. Je suis arrivée à Paris quand j’avais 17 ans. J’étais SDF. J’ai découvert ce que c’était la grande ville. Le milieu queer, le milieu militant. Des courants de pensée qui s’éloignaient totalement de tout ce que j’avais connu. Je suis devenue très militante. Je participais à énormément de manifestations, de soirées queer… Baigner dans un nouveau milieu, conscient des violences systémiques, ça change la donne. J’ai aussi pu découvrir des comptes Instagram qui parlent des violences infantiles.

Mais je crois que ce qui a tout changé, c’est mon dossier de l’ASE. C’était en 2021. J’avais 21 ans. J’ai contacté les services sociaux de ma ville d’origine pour demander à récupérer mon dossier. Une amie éducatrice spécialisée m’avait dit que je pouvais le faire. J’y suis allée accompagnée de mon thérapeute du centre LGBT car je ne me sentais pas d’y aller seule. Quand je l’ai récupéré, je l’ai feuilleté mais je n’étais pas encore prête à le lire.

« Pas une drama queen »

J’ai attendu très longtemps pour le lire en intégralité. Je suis revenue dessus en mai 2023, avec un ami dont j’étais proche et qui a également connu des violences familiales. On a tout lu ensemble un soir, sur mon lit. Des choses nous ont mis mal et d’autres nous ont fait rire. J’ai découvert des choses écrites dans des rapports dont je ne me souviens pas, puis d’autres choses qui m’ont marquées et que je trouve badass, surtout pour l’âge que j’avais. J’ai lu des rapports rédigés quand j’avais 3-4 ans. À l’école maternelle, les institutrices faisaient déjà des signalements parce que j’avais des cheveux arrachés et des traces de brûlures de cigarette. Ça m’a profondément choquée. Et là je ne pouvais pas me dire que je l’avais mérité, j’avais 3 ans. Quel bébé mériterait ça ?

Voir tout ça écrit noir sur blanc, de la main d’autres personnes, m’a fait un choc. Que des personnes extérieures conscientisent et dénoncent ce qui se passait derrière la porte de ma maison m’a fait réaliser que je n’étais pas folle. Que je n’étais pas une drama queen. Que ce que j’ai vécu est grave et anormal. Ce sont des violences, qui sont désormais punies par la loi. 

J’ai commencé à prendre en charge ma santé mentale quand j’avais 21 ans. J’ai vu des psys, ça ne donnait pas grand chose. Désormais, j’en vois une spécialisée dans les psychotraumatismes, notamment de l’enfance. C’est une décision que j’ai prise seule. J’ai de la chance d’avoir une psychologue très humaine et compréhensive qui me laisse continuer mon suivi même si je ne peux pas forcément la payer pour le moment. 

Ne pas avoir honte

Aujourd’hui, j’ai 24 ans et je dois prendre un régulateur d’humeur à cause de personnes qui n’ont jamais été en thérapie. À cause de mes parents qui n’ont jamais pris en charge leur santé mentale et leurs traumatismes. Je refuse de perpétuer les traumatismes générationnels. Alors j’essaie de recoller les morceaux du puzzle de ma vie.

J’admets et je parle publiquement des violences que j’ai subies. C’est dur. Tout ce que j’ai vécu m’a laissé des séquelles à vie. J’ai énormément de mal à gérer la dépression, mon trouble de l’anxiété, la somatisation et mes carences affectives. 

La honte doit changer de camp. Ce n’est pas à moi d’avoir honte, ni d’avoir peur, mais à mes bourreaux. Je voudrais dire à tous les enfants qui ont subi des violences intrafamiliales qu’ils ne sont pas seuls. Que des gens ont vécu la même chose. Que des gens les croient. Qu’ils ne doivent pas culpabiliser. Que ce n’est pas eux qui sont en tort. Que la vie ne sera pas facile mais que l’avenir peut leur réserver de belles choses. Et qu’ils doivent garder espoir. 

Beverly, 24 ans, Paris

 

Série Après l’enfance maltraitée, récit 3/4 : Le dégoût du sentiment amoureux 

Quand Alma était enfant, son beau-père l’a agressée sexuellement. Sa mère a ajouté à sa douleur en ne la croyant pas. Aujourd’hui adolescente, elle éprouve des blocages dans son quotidien et son rapport au sentiment amoureux.

 

Tu es ou as été témoin ou victime de violences ? 

Tu es en danger ? Appelle le 17 ou le 112 (police et gendarmerie).
Tu as des difficultés pour parler ou entendre ? Tu peux contacter par SMS le 114 pour solliciter les secours.

Tu es mineur·e et victime de violences ? Contacte le 119. Le service est ouvert 24h/24, 7j/7. Tu peux aussi contacter ce numéro en langue des signes française du lundi au vendredi de 8h30 à 19 heures et le samedi de 9 heures à 12 heures.

Tu peux retrouver l’ensemble des outils nécessaires pour t’aider en cas de violences sur le site du gouvernement arretonslesviolences.gouv.fr.

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