4/5 Si seulement on nous parlait d’asexualité
« On peut travailler dessus si tu le souhaites. »
Ça devait être la troisième fois que la psy me posait la question. Je refusais à chaque fois, mais elle revenait à la charge un peu plus tard ou lors de la séance suivante. « Travailler là-dessus », c’était « travailler sur mon asexualité ». Elle était persuadée que ça me faisait du mal et que c’était la conséquence directe de mes traumatismes. Alors que mes relations platoniques me convenaient parfaitement.
Du haut de mes 21 ans, je vois le sexe comme quelque chose d’anecdotique, quelque chose qui peut être agréable seul ou en couple, mais qui ne me tente pas plus que ça. C’est de la curiosité, pas de l’attirance. Mais je suis forcé d’admettre que ça n’a pas toujours été le cas.
J’en veux au système éducatif pour tout ça : les cours d’éducation sexuelle sont très cishétérocentré. On ne parle pas des hommes gays, encore moins des femmes lesbiennes. Et surtout pas de genre évidemment, ni d’asexualité. Si j’avais pu retrouver de la représentation dans les personnalités lesbiennes / bisexuelles (Virginia Woolf), non-binaires (Claude Cahun) ou asexuelles (Edward Gorey), j’aurais pu me découvrir beaucoup plus tôt et ça m’aurait empêché de tout faire pour rentrer dans des cases qu’on avait décidées pour moi avant même ma naissance.
Mettre un mot sur ce que je vivais
À 16 ans, quand j’ai commencé à sortir avec mon premier petit ami, j’ai vite compris comment la société fonctionnait : si tu l’aimes, si tu veux être normal et si tu veux qu’il reste, couche avec lui. C’est ce que j’avais remarqué et compris à demi-mot chez mes amis. C’est ce que j’avais lu dans les livres et fictions que je dévorais à l’époque.
Je n’avais jamais eu de modèle de relation platonique où le sexe était une option et pas une obligation. Même si je n’en avais pas envie, que ça me faisait mal et que ça finissait par me dégoûter, j’ai accepté plein de rapports sexuels. Ils n’étaient, au fond, pas si consentis. Mon copain de l’époque ne le savait pas, parce que je n’ai pas souhaité lui en parler. À même pas 18 ans, il n’était pas très déconstruit sur ces sujets et j’ai vécu chaque rapport que j’acceptais comme un viol.
Ça n’a duré que quelques mois heureusement. On a fini par rompre et j’ai pu prendre du temps pour moi. Je me suis renseigné. J’ai pu discuter avec des gens comme moi sur des groupes Facebook, lire des définitions et des témoignages, et mettre un mot sur ce que je vivais : j’étais asexuel. Ce n’était pas grave. Je n’étais pas anormal. Je pourrai quand même tomber amoureux et avoir des relations amoureuses sans avoir à coucher pour faire rester mes partenaires.
« On peut te soigner »
À 18 ans, je suis sorti avec un autre garçon. Je lui ai dit d’emblée : « Je suis asexuel. Il ne se passera peut-être jamais rien, je ne me forcerai pas pour toi ni pour personne. » Il a dit que ça ne posait pas de problèmes et qu’il m’aimait. Pourtant, inconsciemment, il m’a mis la pression quelquefois : il était en manque. J’en ai parlé à ma mère. J’ai cru qu’elle me défendrait, me dirait que je n’aurai jamais à me forcer à coucher, que ce n’était pas grave s’il partait et que je trouverai mieux, mais non : « Tu ne garderas jamais aucun mec si tu couches pas, Noah ! On peut te soigner. On peut aller voir un sexologue pour régler ça. »
Il faut dire que ma mère a intériorisé beaucoup de misogynie et n’est absolument pas déconstruite. Elle pense que le viol en couple, c’est rare, et que si ça arrive la victime n’a qu’à partir. Elle est persuadée qu’une mini-jupe ou de l’alcool justifie un viol. Concernant la cause LGBTQIA+, elle lâche des « encore des PD / gouines » quand elle voit un couple homo à la télévision. Elle a totalement refusé mon coming-out non-binaire et a longtemps pensé que ma bisexualité n’était qu’une phase.
Ses mots sont restés. Quand j’ai eu une nouvelle relation, je me suis forcé à nouveau. Pendant plusieurs mois, j’ai cédé pour lui faire plaisir, pour le satisfaire, pour lui prouver ma valeur. J’ai accepté des pratiques même si j’avais dit « non » et qu’il avait outrepassé mon consentement. Chaque rapport fut, à nouveau, vécu comme un viol (certains d’entre eux en étaient, d’ailleurs).
On discute longuement de nos limites
Durant toute ma vie amoureuse, on m’a fait comprendre que le fait que je ne couche pas était un problème. Que j’étais un problème. Mais c’est faux : entouré de personnes capables de comprendre, d’accepter et de respecter, les choses se passent bien. Rien que de traîner un peu plus dans le milieu militant LGBT / féministe ! J’ai lu des témoignages de personnes de mon âge sur le compte Twitter « Pensée libérée » ou sur ceux de militant·es. J’ai pris conscience des limites que j’avais posées et qui avaient été largement dépassées. J’ai plus été soutenu par des personnes qui ne me connaissaient pas que par ma famille.
SÉRIE 5/5 – De sa première fois, Alexa s’en souvient avec intensité. Depuis, elle continue à explorer ces nouvelles sensations avec enthousiasme et légèreté. Et toujours bien informée.
Ça fait maintenant un an et demi que je suis en couple avec mon fiancé. Quand on s’est mis ensemble, il avait des doutes, et moi j’avais un peu occulté cette possibilité d’être asexuel. Bah oui, j’avais couché avec mon ex, c’était bien que j’en avais envie au fond, non ? Au fil des discussions, avec lui ou des personnes concernées, j’ai fini par me redéfinir ainsi. L’asexualité, c’est un spectre énorme, une personne asexuelle n’est pas forcément abstinente ou frigide.
On discute longuement de nos limites. Quel endroit je peux toucher ? Comment ? Est-ce que cet endroit sera toujours OK ou est-ce que c’est mieux que je demande avant ? On ne couchera peut-être jamais ensemble. Ou peut-être que si. Si ça vient à arriver, ce sera par curiosité, pour partager un moment ensemble. Pas par simple recherche du plaisir sexuel. Et on ne s’attendra pas à ce que ça se reproduise forcément un jour. Le sexe, dans notre couple, c’est simplement une option, une éventualité.
Noah, 21 ans, volontaire en service civique, Toulouse
Illustration © Léa Ciesco (@oscael_)
L’asexualité
C’est une orientation sexuelle, pas une maladie
Jusqu’en 2013, l’asexualité était considérée comme une pathologie (comme l’homosexualité jusqu’en 1992). Il s’agit en réalité d’une orientation sexuelle qui concerne environ 1 % de la population mondiale. Les personnes asexuelles ne ressentent tout simplement pas (ou peu) de désir sexuel.
L’asexualité n’est pas synonyme d’abstinence
Certaines personnes asexuelles ressentent du dégoût vis-à-vis de la sexualité, d’autres pas. Certaines sont en couple et d’autres pas, certaines ont des relations sexuelles sans désir et d’autres pas. Comme pour toute orientation sexuelle, il existe autant d’individus que de manière de la vivre.
La culture populaire invisibilise l’asexualité
Dans les films, les livres, la publicité… le sexe fait vendre ! Les médias jouent sans cesse avec la notion de désir sexuel, ce qui invisibilise voire décrédibilise les gens qui n’en ressentent pas.