Coralie A. 01/06/2021

3/3 23 ans après, je porte plainte contre mon violeur

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Longtemps après avoir été violée, Coralie a eu le courage de saisir la justice. Un an après sa plainte, elle attend toujours des nouvelles du tribunal.

J’ai récupéré ma meilleure amie en morceaux. Elle était partie en Pologne donner une conférence et y avait été violée par un des conférenciers. Je l’ai emmenée faire des tests à l’hôpital et je l’ai invitée à aller porter plainte. Pour moi, c’était la meilleure chose à faire. Mais elle était réticente. Elle disait que ça n’allait mener nulle part. J’avais conscience que cela n’aurait probablement aucune répercussion sur la vie de cet homme. Mais pour moi, un viol doit être enregistré, mémorisé et comptabilisé.

Ce soir-là, je suis rentrée chez moi pensive. Moi aussi, j’ai été violée. Toutes ces années de silence n’effacent rien. Mon propre silence luisant de honte. Le silence de mes parents pour épargner notre famille. Alors pourquoi ne pas suivre mes propres conseils et porter plainte pour viol ?

Le viol. Un mot violent, dur, tranchant, honteux. Franchement, j’ai presque peur de le dire à voix haute. Je me demande si c’est parce que j’ai été violée ou si c’est comme ça pour tout le monde. Et s’il y avait prescription ? J’ai vérifié sur internet et, pour un viol, le délai de prescription est de vingt ans ; trente ans à partir de la majorité pour un viol sur mineur. Donc j’ai jusqu’à mes 48 ans pour porter plainte.

Le terme « abus sexuel » est minimisant

Rassurée par ces informations, mais les mains moites et malgré tout tendue, j’ai rédigé mon expérience et décidé d’appeler le Collectif féministe contre le viol (CFCV) pour être guidée dans mes démarches administratives. Ce jour-là, j’ai été mise en attente pendant une dizaine de minutes et puis ça a raccroché. Il faut vraiment le vouloir pour se lancer dans ces démarches. Était-ce un signe du destin ou un bug téléphonique ?

Non, je ressentais le besoin de suivre mes propres conseils. Le lendemain, j’ai rappelé le CFCV et on m’a présenté les recours possibles. Je pouvais aller au commissariat pour porter plainte. Je devrais raconter mon histoire oralement et il était possible que ma plainte ne soit pas reçue avec bienveillance de la part des policiers. J’avais moi-même déjà entendu ce genre d’histoires de femmes qui allaient au commissariat porter plainte pour viol. Les policiers pouvaient leur demander en retour : « Mais vous étiez habillée comment ce soir-là ? », « Vous aviez bu ? », « Je ne comprends pas, ce n’est pas vous qui êtes rentrée avec lui ? » L’alternative était d’envoyer une lettre au procureur de la République via le tribunal de grande instance, idéalement celui du département où les faits ont eu lieu.

Le CFVC est une association qui propose une permanence téléphonique gratuite et anonyme afin d’accompagner les personnes qui ont subi des violences sexuelles. La ligne est ouverte de 10 heures à 17 heures du lundi au vendredi. Le numéro est le 0 800 05 95 95.

Je n’avais pas le courage de parler de mon histoire à voix haute et préférais me lancer dans la rédaction de ma lettre au procureur. Pendant un appel téléphonique, le CFCV m’a conseillée sur le vocabulaire à privilégier. Ils m’ont fait comprendre que le terme « abus sexuel » est minimisant. On peut abuser de chocolat, de café, mais quand il s’agit d’une personne, il serait plus exact de parler d’agression. J’étais sensibilisée sur les rouages et les stratégies de l’agresseur. J’ai compris, peut-être pour la première fois, que ce n’était pas ma faute. Et que ce n’était pas à moi de porter la honte des agissements illégaux d’autrui.

Toujours pas de nouvelles du tribunal

J’ai mis deux ans à trouver le courage de rédiger et d’envoyer cette lettre. Deux ans à procrastiner. J’avais commencé le fichier sur mon ordinateur, une partie de la charge mentale était partie. Mais tout était bon pour ne pas finir. Aller boire une bière avec des amis ? J’accours ! Tu veux venir grimper ? De suite ! Et les moments où j’étais sur mon ordinateur, je préférais regarder une bonne série qu’avancer sur ma lettre.

L’association m’avait parlé de la suite des démarches. Le procureur allait prendre rendez-vous avec moi et avec mon agresseur pour entendre nos témoignages. Il allait aussi prendre rendez-vous avec toutes les personnes que j’avais citées dans ma lettre. Ma mère, mon frère. Peut-être que j’avais peur de ce moment où j’allais devoir leur dire que j’avais porté plainte. Si je n’attendais pas simplement qu’ils l’apprennent par La Poste. Après ces différents entretiens, suivant la décision du procureur, un procès aurait lieu. Je décidais de ne pas me projeter aussi loin. J’irais étape par étape. D’abord, je poste ma lettre.

L’adresse des tribunaux se trouve facilement sur internet. Il faut envoyer un recommandé avec accusé de réception.

J’ai envoyé ma lettre en février 2020.

J’ai reçu mon accusé de réception en février 2020.

Plus d’un an après, je n’ai toujours pas de nouvelles du tribunal de grande instance. L’asso qui me suit m’a dit d’appeler le tribunal de grande instance, mais ils m’ont raccroché au nez. Sinon, le mois prochain, un an après la réception de l’accusé de mon courrier, je pourrai intenter une action en justice contre le tribunal.

Je décide de rappeler le tribunal de grande instance. Le téléphone sonne deux fois. Puis ça raccroche. Je range mon courage dans sa mallette. J’espère que j’aurais la force de rappeler plus tard. Ou demain. Ou dans quelques mois. D’habitude, ma philosophie est de faire tout tout de suite pour me libérer de la charge mentale. Mais ce sujet me demande tellement d’énergie en amont et pendant les démarches que tout est bon pour reporter.

Coralie, 31 ans, Lunéville

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

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9 réactions

  1. Salut,
    Merci pour ton commentaire poignant. Tu traverses une période difficile, mais tu n’es pas seule, et c’est important de te tourner vers des personnes qui te croient, qui t’écoutent et qui t’aident. Tu peux contacter des associations pour parler de ta situation et pour essayer de trouver des solutions :
    – Le Collectif féministe contre le viol (CFCV) : numéro gratuit d’écoute/conseils gratuit (0 800 05 95 95).
    – Des groupes de paroles pour les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles (tapes “groupe de paroles violences sexuelles” + le nom de l’endroit où tu habites sur Google).
    – L’association Nous Toutes a créé un annuaire qui répertorie toutes les associations d’aide par départements : https://docs.google.com/document/d/1lAa25mqVYlPWnkOwb2xJUyrqT1VCwZdR9kV1FVVbkqE/edit

    On te souhaite beaucoup de courage,

    L’équipe de la ZEP

  2. Bonjour, hier vendredi 27 octobre 2023 je eu rdv avec un homme il ma proposée de venir chez lui histoires de connaître sa maison, a 18h il est passé me chercher devant mon avenue, en arrivant chez lui au début nous avons discuté calmement, a 21h je lui dit que je devrais déjà rentré, cet homme me prend par force pour me dire qu’il a besoin de moi, je lui dit que je ne peux pas j’avais besoin des règles j’étais pas venu pour ça, il refusa catégoriquement à m’écouter , il me cru dessus, il m’insulte, il ma lancée une bouteille d’eau, il ma menacé qu’il me laissera jamais partir, j’ai eu la peur de ma vie très peur, je me suis laissé faire sans le vouloir avec des pleure, il est 6h chez moi , je vous dit je retrouve pas le sommeil je suis traumatisée, que faire ? De plus c’est un homme politique je très peur que cela se retourne contre moi

  3. Bonjour Sylvie,
    Merci pour votre commentaire poignant. Effectivement, vous ne pourrez pas porter plainte si l’homme est mort aujourd’hui. Vous traversez une épreuve difficile, mais vous n’êtes pas seule, et c’est important de vous tourner vers des personnes qui vous écoutent et qui vous croient. Parler de ces événements ou vous rapprocher d’associations pourrait peut-être vous aider à vous sentir mieux :
    – Le Collectif féministe contre le viol (CFCV) : numéro gratuit d’écoute/conseils gratuit (0 800 05 95 95).
    – Des groupes de paroles pour les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles (tapes “groupe de paroles violences sexuelles” + le nom de ton département sur Google).
    – L’association Nous Toutes a créé un annuaire qui répertorie toutes les associations d’aide par départements : https://docs.google.com/document/d/1lAa25mqVYlPWnkOwb2xJUyrqT1VCwZdR9kV1FVVbkqE/edit
    Vous pouvez aussi prendre rendez-vous avec des professionnel·les de santé : médecin généraliste, psychologue (gratuits dans les Centre médicopsychologique) N’hésitez pas à demander de l’aide extérieure, c’est normal d’en avoir besoin. On vous souhaite beaucoup de courage.
    L’équipe de la ZEP

  4. J ai été violé a 6 ans par un.ami de mes parents .bien sûr mes parents ne m ont pas cru .et depuis cet homme est mort aujourd hui j en 63 ans je suis marquée au fer rouge .la colère est toujours en moi tous mes problème psychologiques viennent de là j en suis sur .je porte cette souffrance en moi et toute ma vie n a été qu échec du a ça ..le pire s est que j ai su par ma mère que ce type était un pédophile alors qu elle même ne m a jamais cru .je pensais ces derniers temps de porter quand même plainte pour que justice soit faite mais je sais que ,50 ans plus tard s est trops tard .mais déjà le faite de l écrire ce soir sur ce site me fait du bien .j ai l impression d être entendu

  5. Merci pour vos réactions ! Je suis désolée pour ce que vous avez subit. C’est terriblement injuste que la justice soit du coté des agresseurs. Demander à des gens de prouver qu’ils ont été violés quand ils avaient 5 ans est tellement impossible que la demande en devient ridicule et presque insultante. Je crois que garder le silence est plus toxique que risquer de se faire poursuivre pour diffamation. En tous cas moi depuis que j’ai parlé et porté plainte, quoi qu’il arrive, je me sens plus légère et j’ai avancé dans mon chemin de vie. Le système et l’entourage nous pousse à nous taire parce que c’est plus confortable pour eux. Mais il faut penser à nous, ce qu’on a la force de faire ou pas et avancer. Le silence reproduit le viol. Un petit conseil de podcast : https://louiemedia.com/injustices-2/ou-peut-etre-une-nuit

  6. je suis avec vous quand j’ai voulu de parler de ça on ma regardé et fais comprendre que cela n’étais plus la peine car 30 ans avait passé
    pendant des anneés j’ai côtoyé la personne donc je devais garder tout ça en moi et me taire car cette personne étais mon pere et depuis l’age de 6 ans je subissais

  7. Bonjour moi je suis agresse quand 17 ans et maintenant j’ai 40 ans on m’a dit de me taire et maintenant veut m’imposer c’est personne que rien demandé je soucis pour un enfant qui c’est personne est je tiens cœur maintenant grand combat

  8. J’ai toujours du mal avec ce genre de situation ! Car quand on accuse il faut prouver, hors comment prouver quoi que soit tant d’année après ? Et il y’a le risque que le mis en cause porte lui même plainte pour diffamation !

  9. Bravo pour votre courage!

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