Alisa N. 05/12/2022

4/5 Voilée, et jamais embauchée

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Depuis qu’elle porte le voile, Alisa a vu sa vie professionnelle bouleversée, entre entretiens écourtés et demandes frontales de le retirer.

Dans ma recherche d’emploi, je vois clairement une différence entre avant et après le voile. Le porter ne m’empêche pas de penser, ni d’apprendre… Pourtant, en me voyant, les recruteurs ne me laissent aucune chance.

Vous avez déjà ressenti ce stress, avant un entretien, en vous demandant si on vous acceptera avec ? Un jour, on ne m’a même pas laissée me présenter. J’ai eu seulement le temps de dire « Bonjour, je m’appelle… » et on m’a coupée directement. Le recruteur m’a simplement dit qu’on allait arrêter l’entretien. Selon lui, je ne correspondais pas à ses attentes. J’ai directement compris le problème : mon voile. J’ai préféré ne pas répliquer et partir.

Depuis le premier jour, on me demande de l’enlever. À l’école, je devais le retirer avant d’entrer dans l’établissement (je faisais mon BTS dans un lycée). Dans un IUT, je n’aurais pas eu ce problème, mais aucune des formations proposées ne m’intéressaient.

« Tu ne trouveras jamais de travail avec »

Dans ma famille, la première chose que mon père m’a dite c’est : « Pourquoi tu fais ça ? », en me prenant de haut. Ma mère, elle, a attendu deux mois pour me poser la question : « Tu es sûre, c’est un peu tôt, non ? » Le reste de ma famille ne m’a pas particulièrement soutenue non plus : « Tu ne trouveras jamais de travail avec, tu devrais l’enlever… » 

Maintenant, à chaque entretien, j’entends : « Ça va se passer comment avec le voile ? » C’est là que mon cœur commence à accélérer. Généralement, la suite c’est : « Tu serais prête à l’enlever ? » Après ma réponse, on se dit adieu. Pour le moment, j’ai toujours répondu non.

Un jour, j’ai décroché un stage en tant qu’assistante administrative dans un centre de formation. Lors de l’entretien, je n’étais pas encore officiellement voilée. Le premier jour, je décide d’arriver avec… Là, les employés me regardent d’une drôle de manière, mais je n’ai le droit à aucune réflexion. Je me sens soulagée.

Sans, je me renferme sur moi-même

Malheureusement, j’ai crié victoire trop tôt. À la fin de la journée, je suis convoquée dans le bureau de la responsable des ressources humaines. Ce que je redoute le plus arrive : « Tu dois l’enlever, notre règlement ne te permet pas de le porter. » À ce moment, je n’ai pas d’autre choix, sinon je ne valide pas mon stage et je n’ai pas mon BTS !

Tout au long du stage, je me sentais nue. Je n’étais pas moi-même. Cela m’a renfermée sur moi-même, car le matin en l’enlevant je n’attendais qu’une chose : le remettre.

Le plus impressionnant dans cette histoire, c’est que sans mon voile, mais sans expérience non plus, j’avais pourtant décroché ce stage et d’autres contrats professionnels. Alors qu’aujourd’hui, malgré un CV plus rempli qu’avant, avec des formations et des expériences, je rencontre énormément de difficultés.

Renoncer à mes rêves ?

J’ai été contrainte de faire une pause dans mes études. J’étais tellement fatiguée des refus que je voulais simplement arrêter les entretiens. J’ai donc décidé de prendre une année sabbatique. Pendant cette année, j’ai pu travailler dans différentes structures. Mais il fallait que je m’adapte à ces lieux : turban un jour, voile le lendemain.

SÉRIE 5/5 – Face au harcèlement que subit sa petite sœur voilée, Oun se sent impuissant et inquiet. Il se demande si elle doit l’enlever, ou se battre pour le garder.

Un jour, j’ai réussi à trouver une entreprise prête à m’accepter telle que j’étais. J’étais reconnaissante mais ce n’était ni mon métier de rêve, ni un endroit de rêve. En plein milieu de l’entretien, qui avait lieu dans un sous-sol, je me suis dit : « Mais qu’est-ce que tu fais là ? Tu t’apprêtes à accepter un boulot qui n’est pas fait pour toi. » J’espère que, plus tard, je ne baisserai pas les bras, que je continuerai à me battre pour pouvoir le porter.

Aujourd’hui, je cherche encore l’entreprise où je pourrai être moi-même. J’aimerais encore essayer de travailler dans les ressources humaines. Je me demande où je vais trouver ma place. Devrais-je toujours choisir les offres d’emploi en fonction de leurs valeurs de diversité ? Chercher un directeur avec un nom à consonance maghrébine pour me présenter avec le voile ? Changer de carrière ? Changer de ville ? De pays ? Pour être honnête, je n’ai pas encore la réponse !

Alisa, 20 ans, volontaire en service civique, Drancy

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

 

 

Peut-on porter le voile en entreprise ? 

Les agentes du service public ne peuvent pas porter de foulard sur leur lieu de travail au nom de la neutralité. Mais, dans le privé, c’est plus compliqué. Une entreprise ne peut pas interdire le port du voile, sauf si le patron a fait rajouter une clause spécifique dans son règlement intérieur (pour des questions d’hygiène ou de sécurité, par exemple).

Sur YouTube, Safaa et toi donne des conseils à celles qui portent le hijab et qui cherchent du travail.

Et à l’école ? 

De l’école au lycée public, les élèves n’ont pas le droit de porter le foulard, ni un autre signe religieux, depuis 2004. Dans le privé, ça dépend du règlement de chaque établissement. Dans l’enseignement supérieur, les étudiant·es sont considéré·es comme des adultes et sont donc libres de leurs tenues, n’en déplaise à quelques politiques et enseignant·es.

Comment se défendre ? 

Refuser d’embaucher quelqu’un à cause de sa religion ou de son foulard, c’est illégal mais ça ne veut pas dire que les patrons ne le font pas. Si tu estimes être victime de discrimination au travail comme ailleurs, les juristes de la plateforme antidiscriminations.fr proposent une aide gratuite pour te défendre et être accompagné·e par le Défenseur des droits.

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