Alissia P. 26/08/2021

2/2 J’appelle les Grands, pas la police

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Ils ont le rôle de gardiens, de conseillers, parfois même de policiers. Les Grands veillent sur les plus jeunes et cimentent le quartier. Ils ont remarqué le rap de Sidy et l'ont fait signer dans un label. Ils ont aussi défendu Alissia contre un harceleur sexuel.

Les Grands ont entre 17 et 24 ans. Ils habitent dans la cité. Ils parlent. Ils jouent au foot. Font des batailles d’eau avec les plus petits. C’est tous des Algériens et des Marocains, habillés pareils avec des survêt’ Nike. On les trouve souvent en bas de ma tour, près de la mairie ou au stade. Toujours en bande de six ou huit. Si on n’est pas du quartier, en les voyant tous ensemble comme ça, on pourrait avoir peur. Mais nous, on sait qu’ils sont gentils. T’en as un, c’est un vrai Grand. Il fait plus d’1 m 90 et nos parents l’adorent. C’est lui qui joue le plus avec les petits. Qui aide ma mère quand elle a des courses en les portant pour elle. Qui discute avec mon père de tout, et surtout de la vie dans la cité.

J’habite à Nanterre au quartier de la mairie. Plus précisément dans une cité qu’on appelle Casino. Il y a deux grandes tours de quinze étages. Elles sont beiges, avec des petites touches de bleu et de rose orangé. J’habite dans l’une de ces tours. Dans une cité, presque tout le monde se connaît et s’entraide, et les Grands sont là pour protéger les plus petits.

Au Casino, les Grands ont un rôle de grands frères et sont là pour nous. Notre cité est comme une grande famille. Les parents savent qu’ils peuvent compter sur eux pour nous surveiller et nous aider si on a un problème. Quand il y a des embrouilles entre des petits de 14 ou 15 ans qui veulent se battre, ils interviennent et essaient de régler ça. C’est un peu la police du quartier. En plus cool. Ils nous ont vu grandir.

J’ai plus confiance en les grands que dans la police

La preuve il y a quatre ans, pendant les vacances. J’étais dans un petit parc en bas de chez moi avec ma copine Emma. On était en août, il y avait beaucoup de gens dehors. Des mamans avec leurs enfants. Des jeunes qui jouaient au foot. Et sur le banc du parc, un homme petit, corpulent avec une peau mate, des cheveux noirs, une barbe et une voix grave. Je ne l’avais jamais vu auparavant. Il nous a appelés et nous a demandé si on avait vu une jeune fille métisse qui promenait un chien blanc. Ensuite, il nous a demandé notre âge. On lui a répondu de manière réticente qu’on avait 12 ans. Il nous a dit qu’il avait 16 ans alors qu’on voyait très bien qu’il avait presque la trentaine.

Après, il nous a demandé si on avait un copain. Que lui, il voulait devenir notre copain. Emma et moi on s’est regardées et notre regard voulait clairement dire « viens on bouge ». On a commencé à marcher pour aller rejoindre nos potes et là il nous a dit : « On fera l’amour comme des lapins ! » On était super gênées. On est parties en courant et en rigolant chez moi. Je n’étais pas très à l’aise pour raconter ça à ma mère, mais je l’ai fait.

Elle est allée au commissariat, mais les flics ne l’ont pas trouvé. L’histoire est arrivée jusqu’aux oreilles des Grands. Ils ont commencé à chercher ce type avec nous, à mener leur enquête. Ils l’avaient déjà vu, mais ne le connaissaient pas vraiment. Tout ce qu’ils savaient, c’est qu’il avait déjà eu des problèmes avec d’autres gens de la cité.

Au final, personne ne l’a retrouvé, mais apparemment ce n’était pas la première fois qu’il avait un comportement bizarre avec des jeunes filles. Les Grands se donnent toujours à fond pour les petits. Pour régler ce genre de problèmes, j’ai plus confiance en eux que dans la police.

Alissia, 15 ans, lycéenne, Nanterre

Crédit photo Unsplash // CC Papaioannou Kostas

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