Pauline S. 25/09/2023

2/2 Mes séquelles sont plus longues que sa peine

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À 10 ans, Pauline assistait au procès de l'homme qui l'avait agressée sexuellement. Aujourd'hui, il est libre, après cinq années de prison. Pauline, elle, vit toujours avec ses cauchemars et ses peurs.

Quand j’avais 9 ans, un homme m’a agressée sexuellement. Ma mère, mon frère et moi étions sortis à la plaine des jeux de Tujac, à Brive. C’est un endroit où les gens se promènent et les enfants jouent. J’ai dit à ma mère que j’allais aux toilettes. La porte ne se fermait pas, donc je tenais la poignée avec la main. Un homme a tenté de rentrer. J’ai dit que c’était occupé, mais il a forcé la porte. Il m’a agressée sexuellement, puis m’a poussée contre le mur granuleux. Il est sorti avec mon téléphone et m’a laissée pleine de bleus. Je suis sortie et je l’ai dit à ma mère. Je n’arrivais pas à réaliser ce qu’il s’était passé…

Ma mère a prévenu des jeunes à proximité. Deux hommes lui ont donc couru après, mais ils croyaient qu’il m’avait juste volé mon téléphone et l’ont récupéré. Deux femmes ont appelé les pompiers et la gendarmerie. C’est au moment où je suis rentrée dans le camion des pompiers que j’ai compris ce qui m’arrivait. J’étais confuse et choquée. Je me demandais : pourquoi moi ? Je suis restée trois jours à l’hôpital. La police est venue me poser des questions, j’y ai répondu. J’ai vu des psychologues. Ma mère était triste, mon père en colère. Moi, j’essayais de leur montrer que tout allait bien pour ne pas leur rajouter un poids.

Un procès et une condamnation

Une semaine après, je suis revenue à l’école. Tout le monde était au courant. Les élèves de CM1 – mon niveau – ont commencé à se moquer de moi par rapport à ce qui m’était arrivé. Certains ont commencé à me harceler en me tapant et m’insultant dans la cour ou les couloirs de l’école. Je voulais avancer, alors j’ai subi sans rien dire.

Il y a eu une enquête. Ma mère s’est occupée de la plainte. Elle a pris une avocate, qui a transmis mes paroles aux magistrats. Je sais que l’enquête n’a pas pris beaucoup de temps. Ils ont juste vérifié si les éléments que j’avais indiqués étaient justes. Et ils l’étaient.

Lorsque le procès a eu lieu, j’avais 10 ans. J’étais présente, mais je n’y ai qu’en partie assisté. En fait, j’étais dans une autre salle, toute seule. Ce n’était pas facile, donc mon avocate et ma mère ont parlé à ma place et ont attendu la décision du juge. L’homme a été condamné à cinq ans de prison et une amende. Récemment, il est sorti. On le sait parce que ma mère a été prévenue. L’imaginer libre, ça me met en colère. Mais je ne sais pas si c’est juste. Je laisse la justice faire son travail.

Y penser sans cesse

Lui c’est bon, il est libre, il a payé pour ses actes. Mais à moi, il m’a laissé des séquelles. Devant les gens, je fais genre que tout va bien, alors qu’à tout moment, je repense à ce qui s’est passé. Je souris, je montre que j’ai confiance en moi, mais dans ma chambre, tout s’effondre. Toute l’histoire refait surface. Je me mets à pleurer et j’ai aussi un tic : je me griffe. Après cette affaire, je ne comprenais pas. Je me disais que je n’avais pas de chance, que le bonheur n’était pas fait pour moi.

Je pense que cela ira mieux avec le temps, mais pour l’instant les cauchemars ne cessent pas. J’en ai depuis mes 9 ans. J’ai peur de dormir… Cet homme m’a enlevé le repos, il m’a rajouté une peur constante. J’ai peur de le croiser. Si je le vois, je pense que je vais partir en courant ou appeler ma sœur ou ma mère ! J’ai vu une psychologue pendant un an. J’ai détesté ! Elle faisait semblant d’essayer de comprendre. À chaque séance, elle me posait les mêmes questions. Je ne lui ai jamais parlé, je trouvais ça glauque.

J’ai décidé d’avancer par mes propres moyens. Ma solution c’est de charger mon emploi du temps pour occuper mon esprit. J’ai pris l’option jeune sapeur-pompier, je fais de l’équitation et de la boxe. J’aide ma mère à toutes les tâches ménagères : la cuisine, les papiers administratifs, les courses, les repas…

C’est important de porter plainte pour éviter que la personne s’en prenne à quelqu’un d’autre mais, pour moi, c’est difficile de passer à autre chose. J’aurai beau aller au bout du monde, je continuerai à y penser. J’aimerais que cela cesse, car je veux me reposer.

S’accrocher à la vie

Je n’ai pas de rêve, je ne sais pas quoi faire plus tard. Je ne sais pas si c’est lié à cette histoire ou si je suis juste une ado paumée. Je fais comme je peux pour m’accrocher à la vie, pour prendre du recul sur mon passé. J’essaie de plus m’intégrer à la société, car j’ai du mal à faire confiance aux gens. Surtout aux hommes.

Mes amies ne sont pas au courant. J’ai décidé de ne pas leur dire, car sinon, peut-être qu’elles auront pitié ou se moqueront de moi. Je préfère qu’elles me regardent sous un angle normal. Mes enseignants du collège non plus, car j’ai préféré repartir sur de nouvelles bases. À l’époque, il y avait eu un article dans La Montagne. Ma mère ne me l’a pas montré, elle me l’a dit quelques années plus tard. Ça m’a gênée de le savoir. Heureusement, il n’y a pas mon prénom. Sinon, j’aurais été en colère, car tout le monde serait au courant.

Au début, ma mère essayait de comprendre le pourquoi du comment. Aujourd’hui, on n’en parle plus avec mes parents. Je leur ai demandé pour me permettre d’avancer. Je ne veux pas oublier cette histoire, car elle me caractérise, mais ça ne doit pas m’empêcher de vivre.

Pauline, 15 ans, collégienne, Brive-la-Gaillarde

Crédit photo Pexels // CC Angela Roma

 

La justice restaurative, c’est quoi ?

La justice restaurative ou réparatrice considère que le système pénal ne répond pas à tous les besoins des personnes victimes, comme le besoin de vérité et de reconnaissance par les auteur·es de leur responsabilité. Elle vient donc compléter la justice punitive, voire se poser en alternative, et pose des questions que cette dernière n’aborde pas : « Qui souffre ? » ; « Comment guérir ? »

En pratique, cela donne lieu par exemple à des rencontres entre des auteur·es et des victimes d’infractions. Ces dispositifs peuvent permettre :

– aux victimes de « se réparer » par le dialogue, de favoriser le sentiment d’empathie, d’apaisement, de réparation et de rompre l’isolement ;
– de s’exprimer sans contrainte, alors que la parole n’est pas libre lors d’un procès ;
– aux auteur·es de comprendre que leur acte n’est pas qu’une entorse à la loi, mais qu’il a des conséquences sur la vie des victimes ;
– de faire baisser le taux de récidive.

Le Canada est pionnier en matière de justice restaurative. Les premières expérimentations datent des années 70, et leur efficacité est aujourd’hui reconnue.

En France, il faut attendre les années 2010 pour qu’elle commence à trouver un écho et soit intégrée au code pénal. Selon les derniers chiffres, elle ne bénéficie pour l’instant qu’à une cinquantaine de personnes par an, contre plus de 20 000 au Canada.

Dans l’épisode « Que faire des hommes violents ? » d’Un podcast à soi, la journaliste Charlotte Bienaimé a ainsi enregistré un cercle restauratif au centre de détention de Melun, en Seine-et-Marne, qui a réuni des victimes et auteur·es de viol (non-concern·ées par les mêmes affaires), mais aussi des médiatrices et des personnes de la société civile.

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