Rachel D. 14/06/2022

1/2 Sexisme au travail : toujours discréditée

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Depuis qu'elle est entraîneuse de natation, Rachel voit constamment ses compétences remises en question. Parce qu'elle est une femme.

J’ai 5 ans lorsque je débute la natation. Ce sport est ma passion. Je suis spectatrice des championnats de France depuis mes 12 ans. J’y regarde nager les membres de ma famille.

Je rêvais de devenir comme les meilleurs nageurs, ceux que je vois à la télé. Mais j’ai vite compris que je n’allais pas briller dans la natation, faute de rapidité. Je suis cachée derrière ma sœur. C’est certain, je ne serais jamais aussi forte qu’elle. Elle est l’une des meilleures de son âge.

Finalement, à 10 ans, je trouve ma place : je m’implique en tant qu’entraîneur. Je deviens bénévole et j’assiste les entraîneurs des tout-petits. Je ne fais pas grand-chose : je tiens les perches, je guide les enfants, je les amène aux toilettes et je fais le lien entre les parents et les entraîneurs diplômés. Mais je suis heureuse, je me sens utile et intégrée.

Je vis et dors natation

À 15 ans, j’entre au lycée, mais ce n’est pas ce qui est le plus important dans ma vie.

Je continue le bénévolat, je persévère. Mon club me fait passer des diplômes. Je suis en formation un week-end sur trois et parfois pendant les vacances scolaires. Je suis une bonne élève. Je vis et dors natation. Je deviens la plus jeune diplômée de l’histoire du club.

Généralement, dans un club de natation, il y a une équipe pédagogique : les entraîneurs, un directeur technique, lui-même entraîneur, et une présidente. Au début, ils sont là, présents, m’accompagnent et me soutiennent. Je ne suis pas mauvaise. Je commence, doucement, avec les petits, puis j’évolue dans les diplômes et donc dans les âges et les niveaux. Les groupes sont mixtes, je suis autant appréciée par les filles que par les garçons. Les week-ends, quand je ne suis pas en formation, j’aide à l’organisation des compétitions où je vais voir ma sœur nager. Les mercredis, c’est la meilleure journée car j’entraîne toute la journée. Je suis toujours à la piscine.

Ils parlent entre eux, sans moi

J’ai 18 ans, mon bac, la fac… Et surtout, j’entre dans mon dernier niveau de diplôme d’entraîneur de natation. Maintenant, je m’occupe de l’entraînement des groupes de compétition.

Mais la décadence commence… Mes anciens piliers ne sont plus là, car ils ont évolué vers d’autres horizons. Le club constitue une nouvelle équipe, avec un nouveau directeur technique. Maintenant, il n’y a plus que des hommes. En plus, le club n’a plus de bons résultats sportifs et sa renommée en prend un sacré coup.

Je suis seule face aux hommes, face à l’équipe pédagogique et à la direction. Je le remarque car ils me le font remarquer. Ils parlent de natation entre eux, sans m’inclure dans la discussion. Mais je m’y connais donc j’interviens. Ils s’opposent à tout ce que je dis.

Par exemple, je parle de préparation mentale. J’ai appris ça en formation et je l’ai vu dans un gros club. Mon directeur rigole. Pour lui, c’est n’importe quoi. Mais, quelque temps plus tard, il prend une stagiaire dans ce domaine. Évidemment, c’est son idée et ça n’a rien à voir avec ce que moi, j’expliquais.

Je suis sa cible privilégiée

Mon directeur technique sait tout sur tout. Mes nageurs réussissent, mais comme il le dit si bien, ce n’est pas grâce à moi. C’est la fin de ma formation, arrive le bilan en rendez-vous que le nouveau directeur technique a instauré. Je suis irréprochable à tout point de vue.

Mais je suis sa cible privilégiée : la jeune du club, la jeune femme, la marionnette, je m’investis, un peu trop. Ce directeur pense qu’il doit légitimer son statut en réduisant les autres.

Alors, je vis ce rendez-vous de bilan comme un combat de boxe où le boxeur, mon directeur technique, m’achève, me rabaisse, me dit que mon travail est mauvais, que les résultats de mes nageurs ne lui conviennent pas. Il y a des problèmes. Et c’est ma faute, car je fais attention à la santé de mes nageurs, mais ce n’est pas mon rôle. Je m’entends bien avec mes nageurs, alors que ce n’est pas ma place. Selon lui, je suis mauvaise. Je reste silencieuse face à lui. Totalement abasourdie.

Un monde d’hommes, et alors ?

Je finis par craquer, quelques heures après ce rendez-vous, pendant un entraînement. Je suis en pleurs. Mon directeur technique, lui, considère cette réaction comme un comportement de fille. Selon lui, un garçon aurait accepté de se faire rabaisser pendant trente minutes.

Le lendemain, il me cherche, de nouveau. Il me dit que je ne suis pas assez mature, trop jeune. Que je suis une fille et que j’ai un comportement de gamine. C’est trop. Je suis à bout. Les insultes fusent.

Mon plaisir est devenu une torture.  Alors, j’en parle à une amie qui ne trouve pas ça si anormal. « Tu sais, c’est un monde d’hommes. Trouve la force de prouver que tu es à la hauteur », me dit-elle. Un monde d’hommes, et alors ?

Plus aucune envie

J’ai besoin d’argent alors je continue à entraîner dans ce club pendant deux ans. Le plaisir et l’envie ne sont plus au rendez-vous. Un entraîneur, moins diplômé que moi, est mis en avant car « plus apte ». Bien sûr, c’est un homme.

Pendant ce temps,  je suis mise à l’écart : on change mes nageurs de groupe sans m’en parler, on discute avec les parents sans me consulter. Et les réflexions sont quotidiennes : « Tu fais la même taille que tes nageurs, comment tu veux qu’ils te respectent ? » ; « En même temps, t’es une fille, si lui il décide ça, il aura raison » ; « Il y a peu d’entraîneuses car elles sont moins légitimes que nous  ; « Je ne croyais pas en tes nageurs, mais ils ont réussi, c’est sûrement parce que je les ai entraînés pendant les vacances de Toussaint. »

Le lieu où je me sentais chez moi est devenu l’endroit de toutes mes angoisses.

Toujours un pied dans le bassin

À 21 ans, je les ai quittés. Il y a d’autres métiers, d’autres choses que la natation… Je garde un pied dans le bassin, je nage, j’interviens, j’observe… mais plus dans ce club.

Le Covid, avec la fermeture des piscines, m’a sauvée psychologiquement. Je suis devenue hôtesse d’accueil en Ehpad le week-end. J’ai des responsabilités et je suis dans de bonnes équipes. Ça m’a permis de me sentir plus légitime dans mes actions.

Lorsque j’entends que la société a changé, qu’il y aurait une égalité entre les filles et les garçons dans tous les domaines, je trouve que ce ne sont que des paroles… Dans la réalité, il manque des actes. À mon niveau, peut-être que je peux essayer d’inculquer des valeurs aux jeunes ? Ce que je sais, c’est que je veux parler pour impacter. Je veux laisser une trace.

Rachel, 21 ans, étudiante, Marcq-en-Barœul

Crédit photo Pexels // CC Tima Miroshnichenko

 

Être une femme au travail

 

Plus diplômées mais moins payées

– Les femmes sont plus diplômées que les hommes et, pourtant, ils sont plus nombreux à occuper les postes qualifiés (57 % des cadres). Au niveau de la rémunération, les femmes gagnent en moyenne 429 euros par mois de moins que les hommes, pour un temps de travail équivalent. 

 

Une atmosphère lourde…

Six femmes sur dix ont déjà été confrontées à des violences sexistes ou sexuelles au cours de leur carrière professionnelle. 

– En 2019, 40 % des Européennes ont fait l’objet d’attitudes grossières au travail (sifflements, clins d’œil, regards libidineux, commentaires, gestes grossiers…).  

 

… jusqu’aux agressions sexuelles 

– 18 % ont subi au moins une agression sexuelle lors de leur carrière via des attouchements sur une zone génitale ou érogène (par exemple, main aux fesses).

– 9 % d’entre elles ont déjà subi au moins une fois des pressions afin d’obtenir de leur part un acte de nature sexuelle (en échange par exemple d’une embauche ou d’une promotion).

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