Alexandre D. 31/03/2022

2/2 Remettre les pieds à la fac m’a sauvé

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Quand tout a fermé à cause du Covid, Alexandre a ressenti une grande solitude, le soir. Il reste aujourd'hui marqué psychologiquement.

Je passais mes soirées seul. Avec cette solitude, mes pensées étaient devenues de plus en plus noires, jusqu’à être suicidaires. Je me blessais et je ne savais même pas pourquoi.

L’année dernière, la situation sanitaire a tout fait fermer. À cause des places limitées en master, des conditions d’évaluation des dossiers modifiées, et sûrement de mon dossier perfectible, je n’ai pas pu continuer mes études. J’ai dû déménager à Tours pour commencer un service civique dans le sport pour les jeunes professionnels.

À cause des restrictions, aucune animation n’était organisée. Pas de spectacle, pas de club de sport, pas de bar ouvert, rien. De plus, mon travail me demandait beaucoup d’actions en solo, donc je ne voyais pas beaucoup mes collègues. Je travaillais avec des enfants, ce qui rendait compliquées les interactions. Je ne connaissais personne. Lorsque je rentrais du travail, la nuit était déjà tombée et les lampadaires illuminaient la ville. « Pourquoi font-ils cela ? Il n’y a personne dehors », me disais-je.

C’était le début de mes incessantes pensées absurdes. Au départ, je me sentais un peu triste mais j’arrivais, en jouant aux jeux vidéo en ligne, à recréer un semblant de sociabilité qui ne m’a très rapidement plus suffi.

Trouver un moyen de faire sortir toutes ces réflexions

Je voyais de moins en moins le plaisir que l’on pouvait avoir, puisque je n’en avais plus. J’ai donc essayé de m’investir encore plus dans mon travail. Que ce soit la journée ou la nuit, je me cassais la tête à trouver des solutions, à faire du montage vidéo pour les jeunes, à essayer de trouver du plaisir là où il n’y en avait pas, et finalement : je n’aimais pas ce boulot. « À quoi je sers exactement ? À rien. »

J’ai fini par déplacer ces pensées négatives sur ma personne. Je m’étais dit qu’une manière simple de ne pas penser était de noyer ma solitude dans l’alcool. Mais je m’y refusais catégoriquement. J’ai perdu ma confiance et mon estime de moi et il me fallait trouver un moyen de faire sortir toutes ces réflexions. C’est comme ça que j’ai commencé à me scarifier. J’imitais Joji en dansant dans le noir Slow dancing in the dark, avec un couteau de cuisine à la main. Je me faisais des marques sur les bras en espérant que quelqu’un puisse les remarquer et me parler. Tout en les cachant, par honte et par peur de choquer. « Mais qu’est-ce que je suis en train de faire exactement ? »

J’ai commencé à en parler

Deux mois plus tard, je ne savais même plus pourquoi je faisais ça et pourquoi j’étais triste. Tout ce que je savais c’est que je l’étais. Au départ, je ne voulais pas en parler à ma famille ou à mes amis, alors j’ai décidé d’appeler une ligne d’aide par téléphone pour parler. J’ai eu l’impression de m’ouvrir autrement que par les bras. Ce n’était pas vraiment plus agréable mais c’était fait.

J’ai pu ensuite en parler à un collègue qui me mentorait et qui m’a proposé des adresses trouvées en ligne pour que je sois suivi, mais c’était trop cher pour moi (entre 50 et 70 euros par séance). Il m’a alors dit d’essayer de passer par la fac de Tours, bien que je n’y sois pas étudiant. Le gouvernement venait de sortir la mesure des « chèques psy » pour proposer aux étudiants trois séances gratuites. J’ai donc commencé à échanger des mails avec un service de la fac pour expliquer ma situation et mon état.

Il faut vraiment le vouloir

L’administration française, vous connaissez ? J’ai d’abord attendu plusieurs semaines pour avoir ma première réponse à un mail où j’évoquais clairement mon envie d’en finir. Il ne faudrait pas que ce soit trop vrai, on dirait… On a ensuite échangé des paroles inutiles pour débattre de mon statut et de mon droit à avoir ces chèques. On m’a finalement redirigé vers un site où des psychologues sont répertoriés et où j’ai pu prendre contact avec une professionnelle pas loin de chez moi.

L’argent est finalement à avancer, j’ai donc dû en parler à mes parents qui m’ont soutenu dans cette démarche. J’ai enfin pu commencer un suivi. J’ai utilisé les trois séances remboursées par l’État et j’ai utilisé la mutuelle de mon père pour continuer à y aller. Cette mutuelle donne le droit à cinq séances par an remboursées (ce qui est bien plus que la majeure partie des mutuelles) et je n’ai même pas eu le temps de toutes les utiliser.

À ce moment-là, je stagnais. Je n’avançais pas forcément mais je ne sombrais pas non plus. J’ai cessé de me blesser, mais je pleurais toujours et j’aimais passer mes doigts sur les reliefs que créaient les cicatrices. Et cela uniquement en en parlant. Je n’aimais pas vraiment cette situation, ça me contraignait à sortir de chez moi mais je le faisais parce que je savais que c’était la bonne chose à faire.

Je peux enfin sortir de ma solitude

Heureusement, j’ai pu reprendre mes études et déménager loin de toute cette négativité, cette situation s’est donc terminée. J’ai arrêté le suivi en déménageant et n’ai pas souhaité reprendre depuis. J’ai fait en tout six séances.

Maintenant, je suis à Paris et les solutions pour sortir et se divertir sont nombreuses. On peut rencontrer qui on veut, faire (presque) ce que l’on veut. Je peux avoir des interactions avec ma famille qui n’est pas loin, sortir voir des amis grâce à la levée du confinement, ou rencontrer de nouvelles personnes si j’en ai envie, tout simplement. J’ai découvert les spectacles d’improvisation : je vais dans les cafés théâtre, je prends une bière (ou deux) avec des amis et je rigole une heure entière sur une prestation hilarante et non prévue à l’avance. Mes soirées sont joyeuses, festives et je suis bien entouré.

Cela m’a tout de même laissé des marques, littéralement. Les pensées sont toujours là, mais mon attention est focalisée sur mes études, mes amis et les nouvelles activités nocturnes. Je suis finalement devenu plus ouvert que je ne l’étais avant mais j’ai parfois l’impression de rester dans des interactions superficielles pour éviter de me prendre trop la tête. Je pense peut-être reprendre un suivi pour apprendre à développer des stratégies et être moins dépendant de mon environnement et des interactions avec d’autres personnes avant que cela ne revienne. La fac de Nanterre propose un accompagnement psychologique que je crois être gratuit. Je me suis inscrit mais il y a un délai d’attente d’un mois.

Alexandre, 23 ans, étudiant, Nanterre

Crédit photo Unsplash // CC Alexander Popov

 

Deux ans d’isolement et d’incertitudes

Dès 2020, la crise sanitaire a fait exploser les chiffres de la détresse mentale chez les étudiant·e·s : en quelques mois, la prévalence des états dépressifs a plus que doublé. Deux ans après le confinement, les indicateurs de santé mentale n’ont toujours pas retrouvé leurs proportions d’avant l’épidémie. En cause, la précarisation des jeunes, mais aussi « la dissolution du lien social », selon la psychiatre Dominique Monchablon.

En réaction, le gouvernement a lancé début 2021 le système de « chèque psy » pour les étudiant·e·s. Sur le papier, il devrait donner droit à huit séances gratuites avec un·e psychologue. Dans la pratique, le dispositif est critiqué pour son manque de clarté et le retard avec lequel il est arrivé. Bien avant la crise, les organisations étudiantes alertaient sur le manque de psychologues disponibles sur les campus : 1 pour 30 000 étudiant·e·s.

Plusieurs initiatives ont vu le jour pour inciter les jeunes à prendre soin de leur santé mentale et à consulter. Sur Youtube, Cerise Daily explique concrètement en quoi voir un psy l’a aidée à se sentir mieux. Sur son site, l’association Nightline recense tous les dispositifs existants pour mieux s’y retrouver. De leur côté, les mutuelles se sont engagées à rembourser une partie des consultations en psychologie à partir d’avril 2022.

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