Carlotta 23/10/2020

Pendant 40 ans, j’ai fait un déni d’autisme

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Il a fallu attendre la quarantaine pour mettre un mot sur mes maux : l'autisme. Un diagnostic tardif... parce que je suis une femme. Je l'ai vécu comme une libération.

C’est un psychiatre spécialisé qui, après quasi deux ans de séances, a délivré son diagnostic… Ça a été un tsunami dans ma tête, dans ma vie. Il m’a fallu tout déconstruire. C’est flippant à un point… C’est au-delà du réel cette violence. C’est un mélange de « je ne me reconnais plus » et de « ah mais oui bien sûr ça a toujours été là ». J’ai la sensation d’un monstre intérieur qui serait sorti de sa tanière pour m’envelopper toute entière. Il m’a d’abord fait peur, puis je l’ai apprivoisé. Maintenant j’en prends soin, j’essaie de faire corps. Je lis, je prends le temps de respirer et comme j’en ai marre de m’excuser, je le laisse vivre. Tant pis ! C’est toujours moins dur que de le cacher !

J’ai été diagnostiquée à 40 ans, après toute une vie de souffrance muette. La forme d’autisme dont je « souffre » est particulière car détectée très tôt chez les garçons et souvent sur le tard chez les filles qui, à force de résilience et de capacités d’adaptation, arrivent à le cacher. C’est ce qu’on appelait jusqu’ici l’autisme Asperger mais cette appellation n’est plus utilisée, on parle aujourd’hui de TSA – Trouble du spectre autistique.

Dans le meilleur des cas, le mien, tu es « originale »

Nous apprenons nos aptitudes sociales par observation et mimétisme ! C’est pas inné chez nous. On s’adapte H24, tout le temps, toute notre vie. J’ai toujours beaucoup observé les filles de mon âge. Je ne sais pas comment mais j’ai toujours senti que j’étais différente. Je passais des heures devant le miroir à tenter des mimiques ou des manières de parler que j’avais observées chez les autres ou même à la télé. Et à les faire miennes. Je le fais encore, je ne sais pas pourquoi j’écris au passé en fait… Le peu de fois où tu te laisses un peu aller… on dit de toi que tu es folle, chelou ou dans le meilleur des cas, le mien, que tu es « originale »

Tu te sens différente, au fond tu le sais, mais tu finis par croire que c’est dans ta tête. 

 

Carlotta a crée le compte Instagram @un_autiste_dans_la_ville. Ce blog permet de mieux comprendre l’autisme, de donner de la visibilité aux personnes concernées, et de lutter contre le validisme – qui consiste en de préjugés et des discriminations envers les personnes vivant un handicap.

Cette résilience se traduit par des efforts permanents pour ne pas être démasquée, pour que personne ne comprenne ton secret. Faire comme les autres. Quoi qu’il en coûte ! 

J’ai démissionné deux fois par « inadvertance »

Quand tu te rends compte que tu réagis différemment, mais que tu es la seule, le premier réflexe est de penser que c’est toi qui as un problème. Comme tu veux appartenir au groupe, tu t’adaptes en permanence, jusqu’à l’épuisement. « Y a pas trop de bruit là ? Non. Ah d’accord, y a pas de bruit, autant pour moi. » Tu te nies. Le nombre de fois où je n’ai pas compris une blague ou une réflexion ! Je peux rester bloquée des années sur une phrase dont je n’ai pas compris le sens ou un conflit, un reproche…

Dans le travail, c’est hyper dur de ne pas comprendre l’implicite, ce qui « coule de source », le premier degré. Par exemple, j’ai démissionné deux fois par « inadvertance » parce qu’on m’avait dit : « Si vous n’êtes pas contente, vous pouvez partir. » J’ai pris mes affaires et je me suis cassée ! « Mais vous faites quoi lààà ? » « Ben… vous m’avez dit que je pouvais partir ! » Et je passais pour une insolente. 

Je parle de déni d’autisme car c’est seulement après mon diagnostic que beaucoup de choses sont apparues, des caractéristiques dont je n’avais même pas conscience se sont révélées, de plus en plus souvent et de plus en plus intensément. Je me sens plus en phase avec moi-même mais pour mon entourage c’est très violent. Pour ma mère, mes enfants, mon mari. J’ai changé. Même si je ne le voulais pas, ça a été inéluctable… J’ai eu peur qu’ils ne m’aiment plus pareil mais, après quelques ajustements, on y arrive ! Depuis que j’ai pris conscience du nombre d’efforts que j’ai eu à faire ou de situations de souffrances que j’ai vécues, clairement j’ai plus envie, plus la force ! Donc je dis non. Grande nouvelle, le non est acceptable ! Champagne ! 

Si les filles étaient diagnostiquées plus tôt… 

Si les filles étaient diagnostiquées plus tôt, elles n’auraient pas à vivre des vies d’errance. Comme si on en chiait pas assez comme ça, les femmes ! Y a un million de trucs à faire. Les filles ont l’habitude de s’adapter à la société dans laquelle elles vivent. On apprend à s’habiller, à se tenir, à se comporter par rapport à ce qu’on attend de nous. Et là encore on est dedans. Les femmes autistes sont moquées, souvent abusées, victimes de relations toxiques. Elles sont traitées d’hystériques ou de coincées. On les traite pour dépression parce qu’après tout, elles ne sont « jamais contentes », elles se « prennent la tête » pour rien, elles font « toujours la gueule » !

On ne se posera jamais la question d’un homme qui peine à s’organiser avec ses enfants par exemple, qui se sent débordé. Ou qui a besoin de s’isoler, d’être seul ; on dira de lui que c’est un « loup solitaire », un artiste, un romantique. La place des femmes est à faire en société, l’homme y est déjà chez lui.

Fin 2018, Emilie a lu un livre où le personnage, Marguerite, présente un trouble du spectre de l’autisme. Emilie s’est identifiée à elle et s’est reconnue dans son vécu. Depuis, elle s’interroge : « Suis-je une Aspergirl ? »

Au sein de notre communauté, il y a une souffrance inouïe ; quasi à chaque fois des dépressions, plein de troubles associés mais aussi des suicides. Des personnes se tuent de ne plus pouvoir s’adapter ou se faire comprendre. Je n’ai jamais attenté à ma vie mais je me suis déjà mutilée. Pour sentir physiquement la souffrance que j’avais dedans. Vu que je suis décorrélée de mon corps. Ce qui me rend ouf, c’est que ça pourrait être « évité », juste en faisant mieux connaître le sujet ! C’est dingue quand on y pense… Mourir de ne pas se sentir appartenir à ce monde… C’est horrible ! 

Pour l’autisme, s’il y a un doute, il faut impérativement le lever

La grande difficulté est que l’autisme est associé à ce qu’on appelle des comorbidités du style hypersensibilité, troubles de l’attention, troubles moteurs, dyslexie, tocs, etc. Il y a donc des points communs avec d’autres troubles. D’où l’importance d’un diagnostic réel et sérieux. Pas d’auto-diag, jamais ! C’est en discutant avec une Femme qui avait été détectée adulte que j’ai commencé à avoir des doutes. J’ai donc interrogé ma mère sur mon enfance, puis un psychiatre. Il faut se faire aider, taper aux portes et ne rien lâcher ! Voir un psy, déjà, qui orientera vers un spécialiste si besoin.

Le TSA est un trouble neurologique, c’est un fonctionnement global, total, différent, pas juste des « différences ». Avoir des problèmes de vue ne fait pas de toi un aveugle ou être essoufflé après une course ne te permet pas de dire que tu sais ce que c’est d’être asthmatique par exemple. C’est pareil pour l’autisme. S’il y a un doute, il faut impérativement le lever. Ne pas avoir d’attente particulière si ce n’est la recherche de la vérité.

J’ai eu la chance d’avoir une mère, un entourage formidable qui m’ont littéralement sauvée la vie. On peut avoir une vie en étant autiste ! On peut être heureux même si c’est hardcore ce qu’on vit et même si on est différents ! Je rêve d’un peu d’optimisme… C’est mon combat aujourd’hui de faire connaître le TSA, souvent diabolisé ou glamourisé comme si c’était le dernier truc à la mode.

 

Carlotta, 43 ans, salariée, Paris

Crédit photo Unsplash // CC Sharon McCutcheon

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5 réactions

  1. Bonsoir à tous vos messages sont touchant… Je suis la compagne d’un homme que je soupçonne d’autisme aussi, son comportement, ses paroles peuvent changer en un claquement de doigts, quand il est dans une de ses activités il est dans sa bulle et en oublie tout son entourage, tout ce qu’il dit il en fait le contraire, aucune empathie, il a des paroles et des actes blessant et ne s’en compte que quand je lui fait remarquer après des heures de conversation car il est dans le déni total et quand il arrive à prendre conscience enfin
    … Il réitère quelque jour après les mêmes erreurs je ne sais plus ni quoi faire actuellement ni comment réagir ??? Je suis perdu et ça détruit mon couple à ce jour cette situation….

  2. Merci de ton partage je suis une femme de 42 ans qui as eu beaucoup de coup bas .je n’ai pas de caractère je me laisse piller dessus on m’a dit que j était t.p.l.mais sérieusement moi qui as toujours travaillé depuis mes 12 ans toujours eu un gros entourage et que après un accident j ai capoter sur le fait de rester forte et souriante. Ma fait vivre un enfer du diable. Plus tard on m’a dit que j’ était moins intelligente mais que j ai su le cacher. Ouff !sa fait mal .je n ‘ai j amais été autant seule malgré que je suis toujours en couple depuis plus de 25 ans ,deux garçons qui m aiment bien je croit, mais des parents qui sont déçu, je me sens trop petite et inutile pas capable de parler de moi donc pour se qui est du social tout est nulle. Se qui est vraiment pas normal pour moi et ma famille .merci

  3. Bonjour, Moi j’ai un diagnostic d’autiste, euh non 2 diagnostics car j’ai passé une réévaluation et je me sens pas du tout autiste. J’ai passé le 1er diagnostic a une période compliquée de ma vie, rupture, locataire qui part avec dégâts dans la maison et loyer impayé, chat d’un autre bien et annonce d’aune restructuration au boulot avec déménagement a plus de 50 km d’au je travaillé. Bilan diagnostic confirmé vous ma détresse a ce moment la, soutien , mise en place d’aménagement raisonnable, je m’occupe pas vraiment de ça et travail a résoudre mes soucis personnel. Au final ça ne va plus du tout, je n’ai pas toutes ces difficultés, on me fait passer pour un abrutis et un handicapés aux boulots, mon employeur arrive même a percevoir une prime pour mon handicap. Comble de l’absurde alors que je travaille depuis 2001 c’est comme si mon poste et ce diagnostic n’allais pas ensemble et ne parlons même pas d’une promotion de grade. Je décide alors d’expliquer la situation au centre de diagnostic qui ne veut rien comprendre pour eux je suis autiste point barre, je décide donc de réclamer mon dossier ce j’obtient seulement 1 an après et surtout de mettre fin aux aménagements raisonnables que je n’ai pas besoins ce qui ne sera compris par personnes . Ce diagnostic est absurde, pas de consultation de mes parents, interprétations surréalistes, je contacte manifestement que ce qui est écrit c’est pas moi certes un ou l’autre comportement sont bien réel mais pas les explications qu’ils donnent. je décide de repasser un autre bilan car j’ai besoin de comprendre, ceux ci ne comprennent pas ma démarche, Il confirme le diagnostic de TSA mais disent que je n’ai pas de difficultés, pas de stéréotypies ni d’intérêts restreint. Je suis en colère car ce diagnostic va détruire ma carrière, pour ma hiérarchie je dois admettre que j’ai des difficultés et qu’ on remette en place des aides, alors que justement j’ai pas assez de boulot et aucune difficultés. On me dit que c’est pas normal d’être en colère contre des gens qui veulent m’aider mais qui en réalité font tout le contraire. Je ferai tout ce que je peut faire pour enlever ce diagnostic mais le plus aberrant c’est que les professionnels ne m’écoute même pas.

  4. Bonsoir ,
    Je suis la compagne d’un homme , que je soupçonne fortement d’être autiste , et qui semble être dans un déni absolu , ne supportant pas que nous abordions le sujet . J’ai l’impression qu’il a mis toute son énergie à camoufler sa différence jusqu’à oublier qu’il il est !! Il peux m’arriver maladroitement de pointer une de ces particularités , sa réaction est souvent disproportionnée , Quel paradoxe !! alors que je l’accepte et l’aime tel qu’il est , lui ne s’accepte pas ……

  5. Bonjour. Je suis un homme de 33 ans et je me retrouve dans ce témoignage. J’ai nagé toute ma vie à contre-courant et viens à peine d’envisager l’autisme comme une possibilité de mon comportement. Cependant en lisant cet article et un autre juste avant, le doute s’amenuise. Merci.

    Je ne sais par contre pas quelle direction prendre maintenant …. et j’ai bien peur de devoir dépenser des fortunes en diagnostique etc.

    J’ai envie de m’isoler, de rester enfermé chez moi, mais je ne peux pas, ce n’est pas sociable ce n’est pas comme on me l’a appris !!!

    Je ne sais pas où aller …

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