Tuki 25/02/2021

Notre Caddie, c’était des pâtes et du riz

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Quand j'étais enfant, on vivait à sept avec peu de moyens, la peur de ne plus pouvoir manger et d'être expulsé.

L’argent ne fait pas le bonheur ? Ok peut-être, mais le manque d’argent a créé dans mon foyer un ensemble de sentiments négatifs. Le manque de nourriture principalement, mais aussi la peur de l’expulsion due aux loyers impayés ou payés avec retard, les menaces des huissiers…

Étant donné que mes parents ne travaillaient pas, nous payions les différentes factures grâce aux aides, comme la CAF. Je me rappelle qu’une année, nous avons eu du mal à réinscrire mes petites sœurs à l’école car nous avions des dettes auprès de la mairie qui ont ensuite été envoyées à la Sécurité sociale. Ces dettes étaient dues aux impayés de la cantine. Nous faisions aussi des mois sans connexion internet et sans payer nos abonnements télé et téléphone.

À la maison, nous étions sept. Il y avait ma mère, mon père, ma grande sœur, ma petite sœur de 4 ans à l’époque, mes deux petites sœurs (des jumelles) de presque 2 ans, et moi qui avait 11 ans. Cette situation avait commencé un peu avant, mais à cette période, en 2013, c’était le moment le plus dur.

Il a pris de l’argent dans le compte épargne de mes sœurs !

Ma mère était en train d’enchaîner un deuxième arrêt maternité et ne pouvait pas travailler, après avoir exercé son métier de femme de ménage à l’hôpital. Même si ma mère ne le disait pas, je sentais sa colère. Son sentiment d’impuissance. Mais la foi en Dieu (et en nous aussi) lui a permis de garder le moral et le courage de rester positive.

Mon père ne travaillait pas tout le temps étant donné qu’il travaillait au black dans les chantiers. Tout se jouait aux relations. Quand il finissait un chantier, il devait contacter des gens pour en chercher un autre. D’un naturel très froid, il ne laissait paraître aucun sentiment. Mais grâce à ses agissements et aux mots qu’il utilisait lorsqu’il parlait avec des personnes extérieures, j’ai compris qu’il avait décidé de mentir sur sa situation. Je me rappelle qu’un jour, une de ses sœurs lui a demandé de l’argent pour financer son mariage. Il a pris de l’argent dans le compte épargne de mes sœurs et moi en lui faisant croire que cet argent était à lui sûrement par honte de dire qu’il n’arrivait plus à subvenir aux besoins de son foyer ou à demander de l’aide.

« Huit millions de Français, soit environ 10 % de la population, a besoin de l’aide alimentaire pour vivre. » Vincent Destival, délégué général du Secours catholique, explique à Libération les causes d’un tel chiffre, l’impact qu’a eu la crise sanitaire, ainsi que les revendications des associations de lutte contre la pauvreté.

 

Je n’étais pas le seul parmi mes amis à vivre des moments difficiles dus au manque d’argent et ça me rassurait. Je me rappelle que lorsque l’un d’entre nous proposait aux autres d’aller « manger dehors », au fast-food, nous avions tous une réponse identique : « Ah là, ça va être chaud ! » Pour signifier que nous n’avions pas les moyens pour l’instant. Nous mangions très souvent des pâtes et du riz. Et le fait de ne pas savoir quand cela allait se terminer m’effrayait.

Avoir une assiette pleine est une grâce

Face à cette période difficile, deux types de réactions différentes ont fait surface : ceux qui ont décidé de subir cette situation, sortir pour faire passer le temps, prier et attendre que Dieu agisse. Et ceux qui ont décidé d’agir en sortant pour aller faire de l’argent en vendant des produits stupéfiants pour aider leurs parents et s’autosupprimer de leur charge. J’ai opté pour la première option. Je ne sais toujours pas si c’était la bonne, mais cela m’a évité beaucoup d’ennuis, avec la police par exemple.

Grégoire aussi est issu d’une famille avec peu de moyens. Lui a choisi l’illégalité. Malgré les risques, il commet des cambriolages pour arrondir les fins de mois.

Nous, les enfants qui subissions cette situation, avons adopté un sentiment de solidarité et de réconfort entre nous. Depuis cette époque, nous avons pris l’habitude de souvent jouer à des jeux de société pour passer le temps et, surtout, nous nous sommes rendu compte de l’importance de ne pas gaspiller, et qu’avoir une assiette pleine est une grâce.

Aujourd’hui, mes parents sont séparés et nous vivons tous avec notre mère. Dieu merci, elle alterne les travaux à mi-temps, et notre situation est meilleure même si nous ne vivons pas de manière aisée.  Mais nous arrivons à payer nos factures grâce à ça et aux aides de l’État. Cette période a été très marquante pour moi car elle m’a montré l’importance de l’argent. Et que même dans des pays « développés », la souffrance due au manque d’argent existe également.

 

Tuki, 17 ans, lycéen, Pierrefitte-sur-Seine

Crédit photo Unsplash // CC Adrien Delforge

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1 réaction

  1. Juste impressionnant. Moi qui aie toujours vécu dans le cliché de l’enfant gâté je me doutais que la pauvreté existait mais ca fais choc de voir la situation expliquée de l’intérieur.
    J’ai rarement eu des expériences comme celle si, épicerie sociale, parent qui m’empruntent de l’argent, si 1 ans pour moi c’étais long j’ai du mal a m’imaginer une enfance entière.

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