Yannick J. 26/06/2018

Dans mon quartier, je veux être à la fois bourgeois et du ghetto !

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J'habite dans le 10e arrondissement de Paris, entre deux univers. D'un côté, je "subis" la mode cité. De l'autre, j'essaie de m'exprimer mieux que les jeunes d'autres quartiers. Pour me la raconter...

L’été dernier, je suis parti dans le quartier de mon cousin à Marx Dormoy dans le 18ème, pour passer les vacances. Là-bas, il y a de tout : des Noirs, des Arabes, des Asiatiques, quelques Blancs. C’est un peu ghetto. Moi, je suis noir. J’ai vu que c’était pas le même délire que dans mon quartier. Je viens du 10ème arrondissement, entre Belleville et Goncourt. On appelle mon quartier « le quartier des morts ». C’est un ancien cimetière.

Niveau langage, on n’utilise pas les même mots pour dire certaines choses et côté ambiance, dans le 18ème, ils sont plus sociables entre eux. Tous les groupes se considèrent, tout le monde peut parler avec tout le monde. Dans mon quartier et dans ma classe, ça ne fonctionne pas comme ça : même si on se connaît, dans certaines situations, on ne se calcule pas.

On fait des punchlines, on parle bien français

Nous, les jeunes du 10, on essaye de mieux s’exprimer que les gens des autres quartiers. On cherche à être plus éloquent. Comme ça, on ne passe pas pour des incultes. En mode, on veut prouver que notre lexique est développé. Quand tu parles avec quelqu’un, tu sors un mot qu’il ne connaît pas. Un mot bien français. Au lieu de dire «pour toi», on va dire «à ton effigie». On fait des punchlines. C’est mieux de parler bien français, comme ça on peut se la raconter.

Dans mon quartier, c’est une ambiance de Français, en mode petit verre d’alcool à la terrasse d’un bar. Tranquille, posé à la cool. De mon côté, il y a plus de blancs que chez mon cousin du 18. Les jeunes blancs (on les appelle parfois des « fuck boys ») font des trucs bizarres. Par exemple, ils vont s’asseoir par terre pour fumer près du canal, alors qu’ils ont des bancs à côté d’eux. Dès le vendredi soir, le quartier est envahi. Pour rentrer chez nous, on doit se faufiler. On ne peut pas passer sur les trottoirs tellement il y a de monde. Nous, les gens de la cité, on reste dans notre quartier.

J’habite la cité, mais je suis un gars de la ville

Ces jeunes Blancs mettent des baggys, des jeans jusqu’au nombril, pattes d’éléphants. Ils ont une dégaine négligée alors qu’ils peuvent s’habiller mieux que ça. Nous, on n’a pas les moyens, mais on fait attention. Eux, quand ils sont vulgaires, ça passe bien. Pour l’instant, j’ai pas de style, moi je fais avec ce que j’ai. Si j’avais de l’argent, je m’habillerais comme les vrais bourgeois. Petit haut, chemises et polos Ralph Lauren. Comme un vrai jeune de Paris. Là, je subis la mode cité. Je suis en jogging, que des Nike, c’est plus décontracté.

Notre quartier est donc bizarre : à la fois ghetto et bourgeois. Au collège, il y avait des filles qui avaient des manières. Par exemple, pour répondre à une demande de cigarette, si on n’en a pas, on dit : « Non j’ai pas. » Mais elles vont dire : « Non je suis navrée, je n’en ai pas. » En fait, je me rends compte que je me suis inspiré du langage de ces filles, puisque j’aime les beaux mots. Mais d’un autre côté, j’habite la cité et je ne m’identifie pas à ces jeunes Blancs. Je suis un gars de la ville. Je suis un urbain chic. Comme mon quartier : j’aspire à être à la fois du ghetto et à être un bourgeois.

 

Yannick, 15 ans, lycéen, Paris

Crédit photo AdobeStock // © Yalana

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