Être ou non Charlie ? Plutôt être ou non citoyen !
7/01/15. Je suis frappée dans mon être. Parce qu’il y a des morts. Parce que je pense aux enfants dont je m’occupe tous les jours. Parce que je pense à tout ce qui n’a pas été fait et qui aurait pu éviter ça. Parce que je pense à la suite des évènements. J’ai peur. Je pleure. J’ai peur parce que dans un contexte déjà perturbé, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Je pleure parce que je pense que les choses ne vont pas aller en s’arrangeant.
On ne retient jamais la leçon des erreurs du passé
Et je me questionne sur la liberté d’expression. Peut-on tout dire ? Peut-on rire de tout ? Avec qui ? La réponse est floue. Je me sens partagée. Écartelée. Divisée. Et je me dis que de toute façon, elle est bafouée depuis trop longtemps maintenant. Les jours passent. La colère s’installe.
Je suis en colère contre ces hommes politiques prônant l’unité nationale alors même qu’il y a quelques temps, ils ne cessaient de se diviser et de bafouer notre République. Parce qu’il n’y a encore pas si longtemps, les Musulmans n’étaient que des voleurs de pain au chocolat dans des cours d’école. Parce que le peuple se met à applaudir des meurtriers, prêts à faire exploser des bombes sur des femmes et des enfants, et à décimer le peuple palestinien.
Je suis en colère car les gens oublient tellement… Un évènement en chasse un autre. J’entends des gens parler de peine de mort, de guerres, de vengeance… Et je me dis qu’on ne retient jamais la leçon des erreurs du passé. Que la violence engendre la violence, et que ce genre de moment « historique » fait aussi ressortir le pire de l’être humain.
Dans les quartier ces enfants abandonnés depuis des années
11/01/15. Je ne sais pas si je dois aller marcher. Parce que je ne suis pas vraiment Charlie. Je ne l’ai jamais été. Mais je me dis finalement que je dois y aller parce que c’est mieux que de ne rien faire, et que quoiqu’il arrive, le meurtre n’est pas acceptable.
Je rentre et je suis encore plus triste, parce que je sais que tout ça ne sert à rien, que l’unité nationale, ce n’est pas ça. Ce n’est pas 4 millions de personnes qui défilent dans les rues pendant que 62 millions ne bougent pas. Ce n’est pas ça, parce que je sais que les enfants dont je m’occupe sont toujours en colère et que rien n’est fait pour les apaiser. Ils ne seront pas là.
Ces enfants, dans ces quartiers, qu’on a abandonnés depuis des années, qu’on juge, qu’on méprise, qu’on ne considère pas. Ces gosses sont intelligents et l’ont compris. La rage se transforme en amertume. C’est plus profond qu’une caricature. Le refus du dessin n’est qu’un symptôme d’un mal bien plus difficile à combattre. Parce que c’est 40 ans de rejet de leur culture, de leur religion, de leur être à rattraper et que ça ne se rattrape pas comme ça. Ces gosses ont de l’humour bien plus qu’on ne le pense, mais ils n’aiment qu’on rie à leur dépend. Cela fait 40 ans qu’on leur dit qu’ils ne sont pas français, que parler arabe à l’école, c’est mal, que leur régime alimentaire, ça nous complique la vie, que le voile n’est pas républicain. Le rejet provoque non seulement le communautarisme, mais aussi l’extrémisme dans sa forme la plus violente. Nous avons tous besoin de nous sentir appartenir à quelque chose. C’est humain.
La question n’est pas d’être ou non Charlie, mais plutôt d’être ou non citoyen, conscient des enjeux de notre société. Et ce, même si cela ne nous touche pas de près.
La connaissance, le savoir, l’éducation de tous par tous et pour tous, parce que savoir, c’est pouvoir, c’est s’emparer de sa vie et être capable de faire des choix. C’est l’unique moyen de se protéger contre la noirceur de ce monde et les manipulations de tout bord.
Alors « cultivons notre jardin », cultivons ce monde, pour qu’un autre monde soit possible. Un monde où chacun aurait sa place, quelle que soit sa couleur de peau, son origine, ou sa religion.
Morgane, 28 ans, étudiante, Angers
Crédit photo : Flickr CC Matthieu Dandoy