Euro 2021 : l’équipe de France, c’est ça ma France
De Zidane à Henry, de Pogba à Kanté, ils m’ont tous aidé à me sentir mieux accepté par la France, en ayant une représentation visuelle très limitée dans les autres secteurs. Je ressens quand même une forme de gêne quand on qualifie l’équipe de France d’équipe « d’Afrique », expression popularisée par un talk-show américain, mais reprise par les partisans du RN car ça renvoie à l’idée que les joueurs noirs et arabes ne seraient pas français.
Considérés coupables avant d’être jugés, descendus par les politiques, blâmés par la presse… Ce traitement est toujours en direction des « mecs de quartier ». D’Anelka à Ribéry, de Benzema à Nasri, ils sont tous considérés comme des caïds et des racailles. Je m’identifie à ces joueurs parce qu’ils viennent du même milieu social que moi, on rêvait dans notre quartier de réussir comme eux, et on voit que malgré leur réussite, ils sont toujours mal vus et jugés.
Indirectement, ça me renvoie à l’idée que malgré tout ce que je peux accomplir dans ma vie, on ne me verra que comme une potentielle racaille.
Anelka, Benzema, Ribéry : beaucoup d’encre dans les journaux
En tant que jeunes de quartier, nos exemples sont le plus souvent dans le sport ou la musique. Comment se sentir accepté en France quand les gens qui te représentent et qui te ressemblent sont systématiquement sujet à des calomnies et à de l’acharnement médiatique ? L’article du journal L’Équipe sur Nicolas Anelka et l’acharnement qui s’en est suivi, la vidéo montage de Benzema qui « crache sur la marseillaise », la polémique sur le steak en or de Franck Ribéry. Ces histoires qui ont fait couler beaucoup d’encre dans les journaux français me confortent dans l’idée que, selon d’où l’on vient, nous ne sommes pas traités de la même manière.
Les polémiques autour de l’équipe de France ressurgissent au rythme des compétitions sportives. Comme le souligne Libération, le retour de Benzema n’est que la dernière en date, sur fond d’extrême-droite.
Sur Benzema, l’extrême-droite tente la polémique https://t.co/4WRENBFnaB
— Libération (@libe) May 19, 2021
Originaire de l’archipel des Comores (ex-colonie française), arrivé à 6 ans, je me suis rarement senti français et, en grandissant, je ne me sentais pas forcément comorien non plus. Le fait de grandir en tant qu’étranger ici et de retourner en tant que « Français » là-bas m’a mis dans cet entre-deux gênant, surtout en 2019 lors d’un voyage quand on m’a demandé à l’aéroport : « Qu’est-ce que vous venez faire en France ? », à la présentation de mon passeport. Je me rappellerai toujours de mon hésitation à ce moment, le fait de ne pas avoir su quoi répondre alors que depuis enfant, la France, c’est chez moi.
Malgré le fait que j’ai construit toute ma vie ici, je ne me suis jamais senti accepté. Le racisme, je le vis jusqu’à aujourd’hui : se faire dévisager, se faire suivre par les vigiles tout le temps, se faire contrôler par la police à 12 ans… Tandis que mes connaissances typées européennes n’ont parfois jamais été contrôlées de leur vie. Le seul domaine où je me suis toujours senti représenté, c’était le football.
France-Allemagne au Stade de France, le jour des attentats
L’exemple de l’équipe de France est parlant pour moi car c’est l’une des choses qui rassemble le plus de monde dans ce pays. Le premier match de foot que j’ai vu dans un vrai stade, c’est France-Allemagne au Stade de France en 2015, le jour des attentats. Je ne me suis jamais senti autant français que ce jour-là. Je me souviens du déroulé du match comme si c’était hier, l’atmosphère dans le stade, la communion entre les supporters, les holàs partant d’un virage jusqu’à l’autre, les visages souriants dans le stade.
En 2016, la France devenait championne du monde de foot pour la seconde fois. Mais cette victoire a-t-elle fait oublier les discriminations raciales ? Spoiler : non. Slate revient sur les injustices et le racisme subis par les joueurs non-blancs de l’équipe de France.
De Zizou à Mbappé, la victoire des Bleus masque une France tendue par les discriminations raciales https://t.co/K1Skzg8vKt pic.twitter.com/dp82CQyALK
— Slate.fr (@Slatefr) July 18, 2018
J’étais là sans être là, je me voyais vivre ce moment. L’explosion de joie sur le but de Giroud juste avant la mi-temps avait même dissipé les doutes sur l’explosion et les informations concernant un potentiel attentat. Après la fin du match, nous avions rejoint la pelouse sur ordre des services de sécurité du stade. Fouler la pelouse du Stade de France, m’asseoir sur le banc de touche… J’étais à la fois dans un rêve et un cauchemar, au vue du contexte et de l’événement.
Observé quand je sortais en qamis
Sur place, les gens étaient très soudés et nous avons pu évacuer. Mais j’ai l’impression qu’après ces événements, les choses ont empiré. Le regard des gens se faisait plus insistant, je me sentais observé quand je sortais en qamis [habit long majoritairement porté par des hommes musulmans, ndlr]. Malgré tout ça, j’ai espoir qu’un jour on saura vivre au-delà des clichés du racisme et de l’islamophobie, même si j’avoue qu’en ce moment, c’est chaud !
Aulnay-sous-Bois a mauvaise réputation. Le fait qu’Aya Nakamura et Moussa Sissoko viennent de sa ville inspire également Paul : lui aussi, il aimerait devenir un modèle de réussite.
J’aimerais voir des personnes qui me ressemblent dans d’autres contextes que le sport et la musique. Qu’à compétences égales, on puisse tous avoir la même chance sans distinction de nom, d’adresse et de couleur de peau, mais on en est encore loin.
Je serais évidemment devant mon écran pour supporter la France durant l’Euro, en espérant une victoire qui nous rassemblera tous comme en 2018 !
Akim, 23 ans, volontaire en service civique, Villetaneuse
Crédit photo Unsplash // CC Khamkéo Vilaysing