Emma D. 06/01/2021

Sourire, se tenir droite et être sexualisée, c’est ça mon job ?

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J'ai été hôtesse d'accueil pour des événements sportifs. Le jour où j'ai accueilli ce groupe de vingt supporters, tous des hommes, m'a dégoûtée du métier.

« Vous avez un très beau rouge à lèvres Mademoiselle. » Je sens son regard insistant sur moi, je commence à stresser, j’ai du mal à lui mettre son bracelet. J’entends l’homme d’à côté dire à Laura* : « Vos mains sont super douces ! Attention aux ongles de tigresses par contre ! » Mais on ne peut rien faire. « Le client est roi. » On ne m’avait pas prévenu, mais c’est ça aussi le travail d’hôtesse.

Première mission en tant qu’hôtesse d’accueil. Début d’après-midi, direction le stade pour un match de foot. J’ai déjà mal aux pieds à cause de mes bottines à talons mais tant pis, il faut que je tienne jusqu’à ce soir. Je vérifie ma tenue : rouge à lèvres rouge, vernis à ongles rouge, les cheveux tirés en queue de cheval. Pas de bijoux, mais une montre est autorisée. Un jean slim et un col roulé noir épousent les formes de mon corps. On nous prête un manteau rouge. C’est la tenue d’hiver. En été, nous portons une robe, des collants noirs et des escarpins. Je suis prête, je me sens bien, je me sens belle. Je rejoins mes collègues, majoritairement des filles. Nous nous retrouvons à trois derrière une table haute, décorée aux couleurs du stade.

On ne peut rien dire, rien faire

Je suis avec une fille et un garçon, Laura et Hugo*. Ils m’expliquent les détails de notre « mission » : attribuer les loges aux clients et leur remettre des bracelets pour qu’ils puissent circuler librement dans le stade. On me dit de sourire, de rester droite, de bien dire « bonjour Madame, bonjour Monsieur », d’être polie et disponible. C’est l’heure, les premiers supporters arrivent par les escalators en face de nous. Je souris, je me tiens droite, « bonjour Madame, bonjour Monsieur », je leur accroche leur bracelet au poignet et leur indique la direction de leur loge. Le processus se répète.

France 24 rassemble les témoignages de plusieurs hôtesses d’accueil qui racontent leur quotidien, entre conditions de travail difficiles et harcèlement sexuel.

 

 

Un groupe d’hommes arrive, ils doivent être une vingtaine. Ils rigolent et parlent très fort, on comprend tout de suite qu’ils n’ont pas bu que de l’eau. On vérifie leur loge et on leur donne un bracelet chacun. Un homme me touche la main intentionnellement lorsque je lui attache. Je ne m’y attendais pas et pourtant je la retire délicatement, sans réagir. On ne peut rien dire, rien faire… Un autre homme arrive, il me regarde d’abord dans les yeux quand son attention se porte sur mes lèvres. Intimidée, je prends un bracelet et baisse les yeux vers son poignet pour lui accrocher. Je commence à me sentir toute petite face à lui et le sens supérieur à moi. J’entends un commentaire sur mes lèvres habillées de rouge. Je sens son regard insistant sur moi. Je le remercie. Je stresse. J’ai du mal à lui mettre son bracelet. Une deuxième remarque à côté est destinée à Laura. Il parle de ses mains et emploie le mot « tigresse ». Il rigole.

Nous sommes des femmes sexualisées

J’ai l’impression que nous ne sommes rien d’autre que du divertissement pour eux. Lorsque j’arrive enfin à venir à bout de ce bracelet, je relève la tête et le vois qui me fixe toujours. Ma tenue est censée être professionnelle, pourtant elle attire certains regards. Je lui souhaite un bon match, je souris et me tiens droite. Il ne me répond pas et part en rigolant avec ses amis. Un des hommes essaie de s’excuser maladroitement face au comportement de ses camarades, pourtant il en rigole aussi. Nous sourions, nous nous tenons droits et leur souhaitons un bon match. Après l’agitation, c’est le silence complet. Un silence ? Plutôt un malaise. Pourtant, d’autres supporters arrivent et nous reprenons, comme si de rien n’était.

Plus tard dans la soirée, on nous demande d’amener un chargeur de téléphone dans la loge du groupe d’hommes. Nous n’avons pas envie d’y aller, nous avons presque peur. Hugo se dévoue pour y aller et nous évite une autre vague de regards intenses et de commentaires. Laura me dit que ce n’est pas la première fois que ce genre de choses lui arrive. Je me rends vite compte que la plupart des hôtesses ont déjà été dans le même cas que moi. Et on ne comprend pas.

Adélaïde aussi a été confrontée au sexisme dans son entreprise. Alors maintenant elle se bat, parce que, non, « jeune et jolie » ne fait pas partie de ses compétences.

Pendant cinq mois, j’ai continué à venir aux matchs, à accueillir les clients, à sourire, à me tenir droite, à dire « bonjour Madame, bonjour Monsieur », à être polie et disponible. De temps en temps, je croise des regards insistants, des commentaires qui ont l’air de compliments, mais me mettent mal à l’aise. Nous sommes des femmes bien habillées, nous venons en aide aux clients, nous les conseillons et les guidons, de manière professionnelle. Mais nous sommes aussi des femmes sexualisées.

 

Emma, 22 ans, étudiante, Boulogne-Billancourt

*Les prénoms ont été modifiés

Crédit photo Unsplash // CC Angel Gonzlez

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