Pas besoin de parler français, tu parleras avec tes gants
Quand je suis arrivé en France, les autres rigolaient de moi parce que je ne savais pas parler français. Au collège, je me battais tout le temps. Mes parents en avaient marre de moi : dès que quelqu’un me disait quelque chose, je répondais avec mes mains. J’avais 11 ans. J’arrivais de Turquie pour le travail de mon père, et on recommençait tout à zéro. J’étais à la fois heureux et très seul.
Un jour, j’étais dehors pour retrouver un pote, et une dame a ouvert sa fenêtre. Elle était de la même origine que moi, turque. Elle m’a regardé et m’a proposé un truc chaud pour que je mange, parce que dehors il faisait froid. Elle m’a alors raconté que son fils était mort mais qu’avant, c’était un boxeur célèbre (une salle de boxe dans ma ville porte son nom).
« Si tu te bats encore dehors, tu ne viens plus à la salle »
Elle m’a amené dans son ancienne chambre : rien n’avait changé. J’étais la première personne qui rentrait dedans. Elle m’a parlé de la boxe et, grâce à elle, j’ai rencontré l’entraîneur de son fils. Quand je suis entré dans la salle de sport, la première chose que j’ai vu, c’était les gants de boxe. Je suis tout de suite tombé amoureux de ces gants.
La première fois que j’ai vu l’entraîneur, j’ai fait le mec avec lui : « Je vais pas vous frapper, vous êtes vieux. » Il m’a répondu : « Vas-y, essaie de me mettre par terre, tu verras ce qui se passe. » Et c’est moi qui me suis retrouvé par terre. On en a rigolé, mais au fond j’avais un peu honte. On s’est entraîné, je n’y arrivais pas mais il voyait bien que je faisais beaucoup d’efforts et on a développé une relation forte. Au bout d’un certain temps, on a commencé à s’appeler « papa » et « mon fils » et il m’a donné un surnom : « champion ». Il m’a appris des choses qu’il n’a jamais apprises à ses autres élèves. Il me disait : « Si tu te bats dehors, comme avant, tu ne seras plus mon fils, tu ne viendras plus à la salle. »
J’ai appris des termes en français : « gauche, droite, élégant… »
Un jour, un gars m’a dit qu’il fallait que j’apprenne d’abord à parler avant de boxer. L’entraîneur m’a dit : « T’as pas besoin de parler français, c’est les gants qui vont parler pour toi dans le ring. » Il m’a donné la force mentalement. On a fait un combat d’entraînement avec l’autre gars, et j’ai gagné.
Avec le temps, on s’est bien entendus et on s’est mis à parler de boxe ensemble. On se disait comment s’améliorer, comment travailler nos mouvements. On a créé un lien sportif. La boxe m’a aidé à parler français. Grâce aux phrases de boxe, j’ai appris des termes en français que je ne connaissais pas : « gauche », « droite » , « élégant »…
Le sport comme levier d’intégration à la société et au monde du travail ? À Avignon, France Bleu a suivi l’Agence pour L’Education par le Sport. Ils proposent une formation de six mois afin de « transférer les valeurs du sport dans leur démarche de recrutement ».
À l’école, je ne me battais plus. Dehors non plus. J’ai appris que les problèmes, on peut les régler autrement que par la baston. Utiliser ses mains, c’est la dernière chose pour se protéger. Quand j’ai grandi, la boxe m’a aidé à me détendre. On peut dire que j’ai eu mon diplôme au lycée grâce à elle : ça m’a aidé à mieux réfléchir, à ne jamais baisser les épaules. J’avais déjà beaucoup d’amis, mais plus je devenais fort à la boxe, plus les gens s’intéressaient à moi… surtout les filles !!
Dans ma famille, ils ont vu que je suis devenu un gars mature, et respectueux à la maison. Il y a moins de problèmes : je n’écoute pas ce que les gens disent de moi et je ne réagis pas si on m’embête.
Les deux pays font partie de mon sang
Quand mon entraîneur est tombé malade et n’est plus venu à la salle, j’ai continué pour le rendre fier. Dans la vie, parfois, c’est galère d’être tout seul. Parfois, des gens te font sortir d’une galère : pour moi, ce fut mon entraîneur. Ça m’a aussi donné envie d’aider les gens. Si un jour je deviens un grand boxeur, je donnerai mon argent à ceux qui n’en ont pas, qui sont en galère.
Après son départ d’Italie pour la France, Hanae s’est retrouvée seule dans sa nouvelle ville. En s’inscrivant à l’athlétisme, elle s’est fait des amis et a pu améliorer ses performances sportives, de quoi garantir une bonne intégration !
Quand je retourne en Turquie, je me sens parfois comme un étranger. Je ne peux pas rester plus de trois mois là-bas, parce que ma vie est ici maintenant. Mais je n’oublie pas d’où je viens ; les deux pays font partie de mon sang. Aujourd’hui, je me sens français. Je veux faire ma vie, ma famille et mes enfants ici. À force de m’entraîner en France, je me suis rendu compte que je me battais aussi pour la France, qu’elle aussi m’avait fait grandir.
Loup, 21 ans, en recherche d’emploi, Rennes
Crédit photo Unsplash // CC Dan Burton