Tandina H. 04/08/2018

J’ai dû fuir ma ville à l’arrivée des djihadistes à Tombouctou

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Quand Boko Haram a débarqué à Tombouctou, au Mali, j'ai fui. Mon amie Badji n'a pas eu cette chance. Un an plus tard, je l'ai aidée à s'en sortir.

Le 13 avril 2012 reste la date la plus sombre de ma vie. Ce jour-là vers 8h du matin, ma grand-mère m’a réveillée pour écouter le silence qui régnait sur Tombouctou, au Mali. Ce qui était étonnant car à 8h la ville était toujours animée. C’était le genre de silence qui annonce un malheur. Je me souviens encore du bruyant traumatisme de la première explosion. Nos maisons étant en argile, elles tremblaient. Partout des coups de feu ont résonné. La ville était comme une scène de théâtre. Les rues étaient inondées des militaires avec leurs familles cherchant des cachettes. Dès lors, on a su qu’on était à la merci des djihadistes.

Le troisième jour de leur arrivée ils ont changé toutes nos constitutions. Ils ont rédigé une série de lois : les femmes devaient se voiler, elles ne devaient pas conduire ni aller au marché toutes seules. Nous étions interdites d’école, de copains, de liberté. Les femmes étaient traitées comme des robots. De jour en jour, leur loi devenait de plus en plus hostile. Ils ont fouetté un couple fiancé parce qu’ils discutaient avant leur mariage ! J’ai assisté au jugement d’un homme accusé de vol. Les djihadistes lui ont coupé la main parce qu’il a volé des médicaments pour sa fille malade !

La fille d’un collègue de mon père s’est vue mariée de force, ils l’ont mise enceinte puis délaissée à sa famille. Une voisine a reçu une balle perdue, ils lui ont dit que c’était de sa faute. Tous ces gens étaient des amis que j’ai vu torturés, humiliés et tués. C’était devenu invivable. Ma famille a décidé de quitter la ville pour le Sud du pays, pour Bamako. J’avais 18 ans.

Mais nous ne savions pas que pour quitter la ville, il fallait l’autorisation des djihadistes. Mon père a dû passer la journée à négocier le départ en prétextant une urgence à Bamako. Ils nous ont laissé partir une fois qu’on avait tous signé un certificat dans lequel on renonçait à faire partie des « Azawadiens ». On a renoncé à notre identité.

Coupable d’être partie, j’ai voulu aider

Des centaines d’autres familles sont restées sur place faute de moyens. À Bamako, j’ai commencé une nouvelle vie, j’avais des nouveaux camarades de classe. Je pensais que tout le monde avait quitté la ville. Mais, un an plus tard, j’ai été invitée là-bas pour le mariage de ma cousine. Les djihadistes avaient été chassés de Tombouctou. J’ai trouvé ma ville, autrefois si peuplée, vide, déserte, toutes portes fermées. Les visages ne m’étaient plus familiers. J’ai même pensé que je m’étais trompée de ville avant de croiser Badji vers la Grande Mosquée.

Elle était la première de ma classe depuis la primaire jusqu’au lycée. Elle fait partie de ces personnes qui ont un don naturel pour tout. C’était la meilleure : en français, en grammaire, en dictée, en sciences et même en anglais ! Heureuses de cette rencontre, on a commencé à discuter. « Alors Badji t’es venue aussi pour les vacances ? » Sa réponse m’a bouleversée. Elle n’allait plus en cours. Une jeune fille aussi intelligente et passionnée par les études se retrouve privée d’éducation, faute de moyens pour échapper aux djihadistes.

Aya aussi a fui son pays ravagée par le terrorisme et la guerre. Réfugiée syrienne en France, elle veut devenir avocate !

Victime de mes privilèges, chargée de culpabilité, on est allées chez elle et j’ai persuadé ses parents de la laisser venir avec moi à Bamako, pour les études. J’ai appelé mes parents pour l’héberger. Ils étaient d’accord. On a quitté la ville deux semaines plus tard. J’ai encore eu l’impression d’abandonner ma ville à son sort. Il y restait tellement de gens, de proches, que je ne pouvais pas aider. J’avais et j’ai toujours ce sentiment de culpabilité qui me ronge. Après une semaine chez moi, Badji a reçu une aide de l’État pour poursuivre ses études. Elle a eu son master et elle est retournée à Tombouctou pour enseigner dans notre ancien lycée.

 

Tandina, 23 ans, étudiante, Nanterre

Crédit photo © Arches Films // Timbuktu (film)

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