Goran L. 20/06/2018

Kurde d’Iran, voilà comment j’ai fui mon pays

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À pied, en voiture, en train, en bus, en bateau... Depuis l'Iran jusqu'à la France, j'ai traversé bien des frontières. Aujourd'hui en CAP à Limoges, j'ai confié mon parcours à mes camarades de classe, qui nous le font aujourd'hui partager.

Je suis un Kurde d’Iran. J’habitais à Sardasht dans une ville de soixante-mille habitants dans une région montagneuse et froide. Ça fait deux ans que je suis en France, avec ma famille. Pour faire le voyage on a utilisé des voitures, des trains, on a marché, pris un bateau : en tout, on a fait dix-sept jours de route. J’avais 16 ans quand j’ai quitté mon pays car c’était difficile pour nous les Kurdes.

On est partis en voiture pour la Turquie, avec un passeport de tourisme, et on est directement arrivés à Istanbul. On y est restés une quinzaine de jours et une personne est venue nous chercher pour aller en Grèce : le passage s’est fait en bateau. Arrivés dans un village on est montés dans un bus pour aller à Athènes. Il y a eu un contrôle de police dans le bus, il manquait un visa sur les passeports, la personne nous avait donné un papier qui n’était pas légal, on nous a fait descendre du bus, il y a eu une fouille au corps et on nous a fait monter dans un fourgon. Et on nous a renvoyés en Turquie.

On était dans un village, mais on ne savait pas où exactement. On a marché jusqu’à un autre village, à quatre ou cinq heures de route. On est entrés dans un café car on était mouillés à cause de la pluie. Et à nouveau, la police est venue nous chercher et nous a mis en prison (on pense que ce sont les gens du café qui l’ont appelée). Au bout de trois jours, ils nous ont relâchés parce qu’on a menti en disant qu’on était Syriens. La police nous a ramenés à Istanbul en bus et à Istanbul, on a pris contact avec une personne qui nous attendait. On a attendu deux ou trois jours l’arrivée d’Afghans, de Syriens et d’Iraniens. Et nous avons voyagé pendant la nuit avec pour objectif de traverser la mer Égée.

A pied, en train, en bus…

On nous a conduits en bus jusqu’à une petite plage au bord de la mer Égée. On s’est cachés dans une forêt, quatre ou cinq personnes sont arrivées avec des bateaux gonflables. Ils ont fait monter une quarantaine de personnes dans deux bateaux. Après une heure en mer, le premier bateau s’est retourné et a coulé. Nous étions sans doute à une centaine de mètres de lui, je ne sais pas si tous les gens se sont noyés ou s’il y a eu des survivants. Nous avons vu un hélicoptère au-dessus, peut-être que certaines personnes ont pu être secourues, je ne sais pas. Notre bateau avait aussi des problèmes, le moteur s’arrêtait, il redémarrait, s’arrêtait et redémarrait encore. Finalement, on est arrivés en Grèce, sur une île.

Ebrima aussi a fait un long voyage avec son frère. Il est arrivé jusqu’en France mais pas son binôme… Parti de Guinée avec mon frère, il s’est noyé en Mer Méditerranée.

On a été très surpris car il y avait des journalistes de la BBC et d’autres médias, et la police. Il y avait des gens, des médecins, qui nous ont accueillis et demandé si tout allait bien… On nous a donné des papiers pour deux ou trois jours, pour aller en ville, sur l’île. Il y avait des Afghans, des Syriens, des Iraniens… Tout le monde voulait aller à Athènes. On a pris un ferry pour y aller.

Ensuite, on a acheté des billets de bus pour aller en Macédoine et on est passés en Serbie à pied en deux ou trois jours, puis on a passé la frontière en train pour aller en Hongrie. Après, on a continué à pied, en train, en bus et on est arrivés en Autriche, à Vienne, où quelqu’un nous attendait et nous a accompagnés en train jusqu’en Italie, à Milan.

Là on a pris un billet pour Paris et à Paris, un billet pour aller à Limoges. On a été accueillis par une personne qui nous connaissait, un Kurde installé depuis longtemps en France.

Mon frère aîné est resté dans l’armée kurde, il combat l’avancée de Daech. Il me reste un oncle là-bas et peut-être dix personnes que je connais. Les amis, la famille sont partis en Angleterre ou en Allemagne. Bien sûr, j’aimerais revenir un jour dans mon pays mais, pour l’instant, ce n’est pas possible. J’aime mieux ma vie de maintenant, j’aime bien la classe où je suis, les Français sont gentils. Pour l’instant, je suis ici…

 

Goran, 19 ans, apprenti en CAP, Limoges (témoignage recueilli par Aynur, Magalie, Océane et Faiza, 16 ans)

Crédit photo © Jafar Panahi // Taxi Téhéran (film 2013)

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