Pirater des films m’a aidé à trouver ma vocation
On accuse souvent les pirates de « coûter » des milliards d’euros. C’est une manière de les culpabiliser. Ce serait un « manque à gagner » pour les auteurs… Mais les films que je pirate sont souvent des films que je n’aurais jamais pensé acheter, même si j’avais les moyens de les payer ! Le cinéma et les séries, c’est une culture que ta famille et tes amis te transmettent. Moi, je n’ai pas eu la chance de découvrir les films de Godard à 12 ans.
Mes grands-parents m’emmenaient voir des blockbusters au multiplex situé entre mon village et la ville. Je regardais parfois des films à la télé, des classiques de la comédie française populaire avec eux. Entre mes 7 ans et mes 15 ans, je ne m’étais pas ouvert à d’autres types de cinéma. C’était une forme de divertissement comme une autre pour moi.
J’ai commencé à pirater à 14 ou 15 ans. Je téléchargeais de temps en temps des films qui me plaisaient. Des films américains, des blockbusters, mais aussi mes premiers films plus « d’auteur » : Tarantino, Kubrick, Fincher… Et des séries américaines aussi, comme Breaking Bad ou Mad Men. À l’époque, il n’y avait pas Netflix et la VOD sur la télévision coûtait cher (5 euros le film en mauvaise qualité, sur la télé familiale). Le vidéoclub de mon village avait fermé, les films à la télé ne me plaisaient pas et on n’avait pas les moyens de se payer des DVD à 10 ou 20 euros. Grâce au piratage, je pouvais regarder ce que je voulais, quand je le voulais.
En Chine, j’ai commencé à élargir ma culture ciné
Il y a trois ans, en deuxième année à Sciences Po, j’ai commencé à m’intéresser de plus en plus au cinéma. J’ai pratiqué la photographie et réalisé des courts-métrages en m’inspirant des films que je piratais. Un de ces petits films a été vu plus de 60 000 fois et a été relayé par des médias nationaux ! Alors j’ai commencé à vouloir élargir ma culture cinématographique. J’ai pris un cours optionnel sur le cinéma et j’ai compris un peu mieux ce qu’était la mise en scène, le montage et l’aspect artistique d’un film.
Puis, pour mes études, j’ai vécu un an en Chine. Là-bas il n’y a que des films chinois ou des blockbusters américains qui sortent au cinéma. Pas de DVD en anglais ou en français. Alors j’ai passé en revue les listes de films sur Wikipédia ou des sites de critiques cinéma et j’ai commencé à télécharger des films de réalisateurs méconnus de tous les pays. Ou même des réalisateurs français plus connus : à 19 ans je ne connaissais pas Godard ou Truffaut ! J’ai commencé à regarder leurs films et j’ai adoré. Ça a réveillé mon côté créatif et ça m’a donné envie de travailler dans le cinéma.
Je continue à pirater
Aujourd’hui, à Paris, je paye un abonnement mensuel de 18 euros pour avoir accès au cinéma en illimité. L’année dernière déjà, j’ai commencé à aller régulièrement au cinéma, en payant ma séance autour de 6 euros, parfois plusieurs fois par semaine. Je suis allé au Festival Lumière de Lyon et j’ai payé 70 euros pour voir une dizaine de films en une semaine. C’était un gros budget pour un étudiant. J’achète aussi souvent des livres et des revues sur le cinéma : j’en ai environ cinquante et je les paye tous. Des fois, je ne trouve pas un film en téléchargement qui m’intéresse vraiment, alors je l’achète ou je le loue sur un site comme La Cinetek.
Même si je paye une offre légale, je continue à pirater ! Je me suis constitué une petite cinémathèque sur des disques durs, environ 500 films dans la meilleure qualité possible. J’en pioche un presque tous les soirs et je le projette sur le mur de ma chambre pour avoir un écran de 3 mètres, presque comme au cinéma. Il n’y a pas de service légal qui me permettrait, pour un tarif raisonnable, d’avoir accès à autant de films différents, voire rares, dans une aussi bonne qualité et sans être en streaming. Alors pourquoi ne pas continuer à pirater ?
Maintenant, je veux travailler dans le cinéma en étant directeur de la photographie, m’occuper de la lumière ou du cadre sur le tournage. Sans le piratage de films, je n’aurais jamais eu cette idée de carrière. Je ne connaîtrais sans doute pas l’importance de ce métier. En voyant autant de films différents, je me suis créé une vraie culture cinématographique. Je n’aurais sans doute jamais développé ce regard sans la richesse qu’offrent les sites de téléchargement. Alors oui, je suis un pirate, et j’assume.
Hugo, 22 ans, étudiant, Paris
Crédit photo © Peter Kramer/USA Network // Mr. Robot (série 2017)
Analyse très juste.
Je pense qu’il n’y a pas de honte à être pirate, même si la culpabilisation par l’industrie et certains médias est forte. La réalité, c’est que les recettes sont très inégalement réparties entre ceux qui ont contribué à la production du film. La réalité aussi, c’est que l’accès à la culture est encore très inégal et qu’il est important de pallier ce problème.
La problématique est un peu la même que dans le monde de l’édition.
On n’a pas les moyens de s’acheter à un article scientifique à 30$ ou de prendre un abonnement annuel à 500€. Il est donc plus rationnel de se tourner vers des sites spécialisés dans le piratage d’articles.
Je pense que s’il doit y avoir un sujet de polémique, c’est la façon dont les éditeurs restreignent l’accès à l’information et rémunèrent leurs auteurs.