Politique : la perméabilité nécessaire des luttes
Il y a quelque temps, je me suis rendu compte d’un truc qui m’a laissée pantoise. J’ai réalisé que la personne la plus réac’ que je connaissais (du genre à dire que les homos sont contre nature, que l’avortement c’est mal, que les hommes sont génétiquement plus enclins à la réussite que les femmes et que lesdites femmes feraient mieux de ne pas sortir le soir sous peine d’être violées), ce réac, donc, n’était pas une personne âgée, bourgeoise, blanche et catholique, mais une jeune étudiante immigrée et arabe. Tout s’écroulait !
Il me semblait pourtant que, logiquement, presque mécaniquement, quelqu’un qui vivait au quotidien une discrimination (en l’occurrence un racisme systémique basé sur l’origine ou l’apparence) serait du coup plus enclin à compatir à la souffrance d’autres groupes discriminés. Mais en fait, badaboum, non.
Comment comprendre le 20h ?
Quand on veut commencer à se mêler de politique, c’est comme à chaque fois qu’on s’intéresse à un nouveau domaine : on est d’abord noyé sous les références, les renvois (implicites) au passé, la complexité des données, et on se perd dans les méandres d’un monde qui ne nous a pas attendus pour avancer. Il faut alors peiner pour comprendre petit à petit comment les choses se nouent et font finalement système. Une fois cette première et douloureuse étape dépassée, on peut enfin penser plus loin.
Quand j’ai commencé à lire les journaux à l’adolescence, je n’y comprenais rien, même si les caricaturistes (dont plusieurs sont aujourd’hui malheureusement disparus) me faisaient bien marrer. J’ignorais tout de la fondation du Front National, du maccarthysme, de l’éclatement de la Yougoslavie et du conflit israélo-palestinien. C’est bête, mais sans connaître tout ça un minimum, comment comprendre vraiment ce qu’on nous présente tous les jours au 20h ? Impossible.
Ensuite, je me suis intéressée aux luttes des minorités (ou des groupes définis comme tels) : le féminisme, la lutte pour les droits des LGB et des personnes transgenres, l’antiracisme. Au-dessus de tout ça, bien sûr, il y avait la lutte des classes qui, dans son surplomb, a bien souvent oublié que les oppressions pouvaient avoir plusieurs origines et ne pas uniquement se limiter à celles perpétrées par les élites financières et intellectuelles. Les luttes sociales oublient généralement (ou feignent de le faire) que la pauvreté touche en majorité des femmes, des personnes victimes de racisme, quand il ne s’agit tout simplement pas de femmes victimes de racisme. Je lis régulièrement les propos de militants sourds et aveugles aux problèmes que rencontrent ceux ne font pas partie de leur groupe. Malheureusement, les inégalités se recoupent, se répondent et s’ignorent. La faute au capitalisme et au libéralisme qui transforment les ouvriers organisés en employés isolés, mais la faute aussi à celles et ceux qui ne veulent pas entendre parler de la convergence des luttes. Statistiquement, être une femme en France n’est déjà pas une sinécure, mais cela prend des proportions beaucoup plus inquiétantes si vous sortez encore plus du cadre. Ce n’est pas non plus un hasard si on retrouve davantage de noirs ou d’Arabes dans les quartiers populaires que dans les quartiers bourgeois. Argent, pouvoir, genre et couleur de peau s’assemblent bien souvent selon une même combinaison.
Lutter, ensemble
Que valent la lutte antiraciste et le féminisme sans la lutte sociale ? Qu’à la place de vieux hommes blancs, ce soient des femmes ou des personnes victimes de racisme qui licencient des ouvriers pour délocaliser dans un pays où on ne paie pas de cotisations sociales, qu’est-ce que cela change ? Pour les travailleuses et les travailleurs qui perdent leur boulot, pas grand-chose. On a vu ce que donnaient des avancées citoyennes déconnectées du reste : les femmes françaises ont dû attendre 1944 pour obtenir le droit de vote et les colonies ont perduré jusqu’au début des années 80. Si ces constats n’invalident pas les conquêtes sociales obtenues, elles mettent en revanche en lumière leur partialité.
La gauche est aujourd’hui traversée de luttes internes et il est difficile de se retrouver, de se positionner. La question écologique, primordiale, est souvent éludée. Pourtant, la non-exploitation de l’être humain (par le travail, la domination genrée ou ethnoraciale) passe aussi, philosophiquement, par la reconnaissance d’une importance propre aux animaux, par la conscience de la responsabilité collective d’un environnement commun. Lutter politiquement pour une société meilleure signifie pour moi être de tous les combats : l’écologisme, le féminisme, l’antispécisme, l’antiracisme et l’anticapitalisme me semblent indissociables. Cela fait beaucoup de mots en « isme » pour résumer un objectif de société simple : plus d’équité et moins de souffrance pour toutes et tous.
Mademoiselle Rhubarbe, 24 ans, volontaire en service civique
Crédit photo Flickr CC Bradey Tulk