Viol conjugal : tes désirs avant mon consentement
C’est moi qui t’ai envoyé le premier message. Tu me plaisais bien. On n’était pas du même collège, mais je t’avais repéré. On a bien parlé, on s’est tournés autour pendant des mois. Puis on s’est vus, hors cadre scolaire, avant l’entrée au lycée. J’aurais dû comprendre à ce moment-là que tes allusions et exhibitions étaient des appels au secours, tant tu avais besoin de te vider. Ma joie de tomber sur un garçon qui s’intéressait à moi m’a mise des œillères.
La case « plaisir de monsieur »
Un mois après la rentrée, on a voulu manger ensemble, un mercredi midi. J’avais interdiction d’aller chez toi, on a dû manger en ville. Finalement, lors de notre promenade digestive, tu m’as consciencieusement dirigée jusque chez toi. Je n’avais pas le droit, mais on n’allait « quand même pas rester dehors ». Il s’est trouvé que j‘étais contente de toucher un garçon pour la première fois. Toi aussi, tu étais content. On devait certainement avoir l’impression d’être plus que des gamins de 15 ans.
Après cette exploitation de ton plaisir personnel, tu m’as avoué avoir eu l’occasion de faire ta première fois un mois en arrière. Tu ne l’as pas laissée passer, alors qu’à cette période on comptait déjà se mettre en couple. Je l’ai pris à la rigolade.
Dans neuf viols sur dix, la victime connaissait son agresseur, et dans ce cas, une fois sur deux, celui-ci est le conjoint ou l’ex-conjoint. Marie-Claire a donné la parole aux femmes victimes de ces violences, psychologiques et sexuelles, qui constituent le viol conjugal.
Clémentine, alors adolescente, comprend que Maxime, son premier petit-ami, a commis plusieurs fois quelque chose d’anormal, quand elle compare leurs relations sexuelles à celles de ses copines de lycée. https://t.co/HXo62739Fy
— Marie Claire (@marieclaire_fr) April 8, 2021
Les fois suivantes, il n’était plus question de perdre du temps en ville. On se voyait peu, donc la case « plaisir de monsieur » était à cocher à chaque rendez-vous. Tu as quelquefois essayé de me rendre la pareille. Je ne ressentais que du vide. Je n’avais pas envie. Tu aimais le sexe. Tu avais des pulsions à exploiter. Tu m’en demandais beaucoup, ou du moins trop pour moi. Tu n’aimais pas que je te dise non. Mais tu gagnais toujours finalement, que ce soit après avoir fait la gueule dix, vingt ou trente minutes. J’étais gentille, influençable, tu as eu de la chance de tomber sur moi.
« Ça va, je ne t’ai quand même pas violée »
Je ne sais pas à quel moment de la relation tu m’as violée. Je crois que c’était durant le premier mois. On était dans ton salon, puis la tension est montée, et tu m’as conduite dans ta chambre. Tu m’as poussée et je me suis trouvée à genoux, avec le haut du corps sur ton lit. J’étais habillée. Toi, un peu moins. Ça ne t’a pas dérangé. J’ai senti que tu t’étais rapproché, que tu étais dans mon dos. Je n’arrivais pas à envisager que tu puisses faire ce qu’inconsciemment j’avais compris. Tu savais que je ne me sentais pas prête, alors tu as choisi la voie la moins commune des deux. À tes yeux, de cette manière tu ne brisais rien : je restais vierge.
Je n’étais pas d’accord. J’ai dit non. Je n’y croyais pas. Tu es entré et toute force de lutter s’est échappée en fumée. Je n’étais rien à cet instant. Vide, encore une fois. Je n’avais pas envie. Puis, tu as eu la sombre idée de me laisser un souvenir, en finissant en moi. J’étais troublée, j’avais les larmes aux yeux, tu l’as vu. « Ça va, je ne t’ai quand même pas violée. » Ah bon ? D’accord. On est restés ensemble, puisque tu ne m’avais pas violée.
En entendant ma propre voix trembler, j’ai compris
Un soir, environ un an après le début de la relation qui a finalement duré six mois, ma bouche parle. Elle raconte tout à un ami. À ce moment-là, je ne contrôle rien, tout sort sans que je n’ai le temps de m’en rendre compte. C’est à la vue de son visage plein de haine et en entendant ma propre voix trembler que j’ai compris. J’ai compris ce que tu m’avais fait. Je l’avais oublié pendant près de douze mois.
Pendant deux ans, l’ancien compagnon de Mathilde lui a infligé de nombreuses violences sexuelles. Elle raconte la culpabilité, l’amnésie et la peur du contact physique qui ont suivi cette relation, ainsi que la difficulté à mettre des mots sur ces violences.
Maintenant, je me rappelle. Sache que tu es n’importe où, n’importe quand. Quand je me brosse les dents, quand je vais à l’école, quand je m’endors, quand je révise, quand je mange, quand j’écoute une musique, quand je parle, quand je me maquille, quand je regarde un film, quand je vis. Mais est-ce une vie ? Grâce à toi, j’ai souffert, je souffre, je souffrirai.
Louise, 19 ans, étudiante, Lyon
Crédit photo Unsplash // CC Christian Holzinger