Kévin E. 07/02/2025

13 ans, premier contrôle au faciès

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Kévin vit dans l’un des quartiers les plus défavorisés de Marseille. Racisé, il a subi des intimidations et des violences verbales et physiques de la part de policiers. S’il refuse de les mettre tous dans le même panier, il préfère tout de même les éviter.

Un vol de vélo qui tourne mal. C’est ma première « connerie ». À 13 ans, je suis arrêté et emmené au commissariat pour la première fois. Les policiers essaient de me convaincre de devenir une balance. Je refuse. Je sais que c’est dangereux pour moi. Ils le savent aussi… Ils sont pourtant censés me protéger, être là pour moi, comme pour tous les citoyens.

Face à ce refus, un policier me dit : « Ah les bicots du 3e arrondissement ! On va parler, toi et moi. » Il m’emmène dans une salle toute noire, avec des vitres teintées et des ordinateurs. Et là, il me lance : « Si tu veux partir d’ici plus vite, tu vas m’aider à trouver quelqu’un. Si tu nous donnes les bonnes infos, on te laissera sortir. » Moi, évidemment, je refuse. Ma garde à vue dure plus longtemps, mais je sais que c’est le bon choix.

À cette époque, je vois aussi des gens de ma famille se faire frapper sous mes yeux par des policiers. Je ne peux rien faire. C’est impossible que je bouge, sinon je me fais casser la bouche à mon tour.

« Singe »

Une autre fois, toujours à 13 ans, c’est un contrôle au faciès. On est un petit groupe, et les policiers nous disent : « Allez, rentrez dans le bâtiment, on va vous fouiller. » Ça finit assez vite en insultes du genre « singe »… On est en hiver. Ils me demandent d’enlever mes chaussures et chaussettes. Ils me fouillent. Ils n’oublient pas mes parties intimes. L’un d’eux regarde dans mon caleçon comme s’il ouvrait son frigo à la maison. À ce moment-là, j’ai vraiment l’impression qu’ils m’enlèvent toute ma dignité.

Quelques mois plus tard, c’est reparti. Cinq voitures de policiers municipaux s’arrêtent près de nous. Ils sortent tous d’un coup, nous intimident puis commencent à nous gazer. Tout ça pour un mot sorti de la bouche de mon collègue : « Les mouettes ! » On les appelle comme ça dans le jargon des jeunes de quartier. Ensuite, ça part en cacahuète total. Ils nous frappent tous.

Parole contre parole

Je subis aussi un piège bien connu des policiers. Comme ils n’arrivaient pas à m’attraper, ils récupèrent une sacoche de résine de cannabis dans un autre quartier. Ils essaient de me la « coller sur le dos » alors qu’elle ne m’appartient pas. Bien sûr, ils ne font pas de test ADN pour savoir s’il y a mes empreintes dessus. Une fois au commissariat, comment me défendre ? C’est ma parole contre la leur. Et un jeune de 16 ans ne fait pas le poids face à quatre policiers.

Si un jour je me fais arrêter pour vente de stupéfiants, ma peine sera plus élevée que celle d’un violeur. La justice n’est pas juste à 100 %. Pas dans toutes les situations en tout cas.

Aujourd’hui, je ne m’adresse plus aux policiers, par peur de ce qu’ils pourraient me faire subir et parce que je ne veux pas communiquer avec eux. Pourtant je sais qu’il existe des bons policiers. Mais vu mon parcours, je préfère régler mes problèmes par moi-même, plutôt que de faire appel à la police.

Kévin, 21 ans, en formation, Marseille

Crédit photo Unsplash // CC Eddie Junior

 

« Les injures à caractère raciste et les humiliations morales, ce sont des pratiques courantes »

Selon Michel Kokoreff, professeur de sociologie et auteur de l’ouvrage Émeute, paru en janvier 2025 aux éditions Anamosa, on constate une rupture du lien entre police et population dans les quartiers populaires. 

Le témoignage de Kévin résonne-t-il avec les conclusions de la recherche ?

Il est révélateur de l’état des relations, dans les quartiers populaires dits « sensibles », entre des policiers et des jeunes descendants de l’immigration, plus ou moins marginalisés, déscolarisés, impliqués dans la délinquance.

Ce que décrit Kévin, les injures à caractère raciste et les humiliations morales, ce sont des pratiques courantes. La manière qu’a ce policier de regarder dans son caleçon par exemple ou la façon dont, parfois, les fouilles à corps se déroulent. 

Les policiers se constituent, très tôt, une sorte de clientèle policière. Des profils qui vont être régulièrement contrôlés, dans l’idée qu’à un moment, « ils auront bien quelque chose à se reprocher ». Cela attise, de l’autre côté, le ressentiment, l’agressivité ou la « haine anti-flic ».

Le lien entre police et population doit normalement être placé sous le signe de la confiance, du respect des droits des citoyens. Dans ces zones urbaines en particulier, ce lien est cassé. Les habitants, et les jeunes en particulier, ont le sentiment d’être des ennemis des policiers, et et il y a une logique d’escalade entre les uns et les autres.

Et ailleurs, ça se passe comment ?

Chez certains de nos voisins européens, il y a des polices qui vont au contact des populations en uniforme « normal », ce qui facilite le dialogue. Ils essaient d’établir un contact avec la population à des fins de prévention.

En France, cette expérience de police de proximité avait donné d’assez bons résultats dans les années 90. Mais cette fonction préventive a été balayée par Nicolas Sarkozy. La tendance d’une police répressive à la RoboCop – armée comme une « armée d’occupation » – l’a emporté. Kévin l’évoque. 

Il y a aussi cette double contrainte à laquelle sont soumis les habitants de quartiers populaires. D’un côté, ils subissent la pression de la police. Par leurs interventions, leur harcèlement, leurs incitations à « donner des noms », à parler. D’un autre côté, ils sont soumis aux pressions des équipes de dealeurs qui sont sur le terrain ou de la petite bande du coin. Ils sont pris dans une mâchoire, par le haut et par le bas. Dans le cas de l’appel à la délation, on peut imaginer ce que font ces rumeurs. La solution c’est de ne rien dire, de ne pas s’en mêler. 

Et qu’est-ce qui se passe quand quelqu’un va témoigner ? il ne profite d’aucune protection particulière. Ses propos ne sont pas systématiquement anonymisés. Donc la rumeur peut très bien courir. En sachant que la rumeur joue un rôle fondamental dans les quartiers populaires. C’est-à-dire qu’il ne suffit pas que ça soit vrai, il suffit qu’on le dise.

Ce à quoi ils sont soumis, les habitants des quartiers populaires, c’est à l’absence de protection ou aux risques qu’ils peuvent prendre à révéler des faits et l’implication de tel ou tel. Quand on dit qu’ils sont soumis à l’omerta, c’est-à-dire à la loi des mafieux, c’est un peu rapide. Ça c’est Netflix !

 

Propos recueillis par Lena Debray-Deschodt

 

 

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