À Mayotte, notre scolarité caillassée
Je n’allais pas à l’école, mais à la guerre. Au lieu de stresser pour mes devoirs, je stressais pour la violence. Nous, les élèves, on se faisait caillasser au moins une fois par semaine. Des jeunes venaient devant le lycée et nous lançaient des gros cailloux. Dès qu’on arrivait, on avait peur, on rentrait le plus vite possible à l’intérieur pour être en sécurité. Mon année de terminale, au lycée polyvalent Gustave Eiffel de Kahani, à Mayotte, a été très difficile.
Les agresseurs, c’étaient des bandes de jeunes hommes, ils avaient 18-20 ans. Ils étaient cagoulés, on ne voyait que leurs yeux. Ils étaient encore plus présents avant les vacances. Les élèves criaient d’angoisse et de peur, certains pleuraient. Un jour, la CPE a été touchée à la tête. Elle s’est évanouie sur le coup. Elle a été traumatisée : le lendemain, le lycée était fermé. Mon prof de français aussi a été touché à la tête. Il a été absent plus d’une semaine.
Une grève pour réclamer plus de sécurité
Dans ma classe, on avait créé un groupe Messenger au nom de la classe et on textait. Est-ce que les agresseurs allaient être là ? Les élèves ont décidé de faire une grève. L’appel est parti des réseaux sociaux, avec comme mot d’ordre « être en sécurité ». Le jour J, ils se sont réunis dans la cour avec des pancartes. Le proviseur est intervenu et les a fait sortir à l’extérieur. C’était risqué, car les grévistes pouvaient être caillassés. Moi, je n’ai pas osé suivre le mouvement, j’avais peur d’être sanctionnée et même blessée. Le soir, à 19 heures, sur Mayotte La Première, il y a eu un reportage sur la grève des lycéens. Ça a fait le buzz !
Quelques jours plus tard, les gendarmes étaient là, devant le lycée. À la porte, dès le matin et pour toute la journée, tous les jours. Quand les agresseurs venaient, les gendarmes lançaient des gaz lacrymogènes, histoire de les faire fuir, mais ils étaient plus résistants que nous car ils avaient des cagoules. Nous, on n’arrivait pas à respirer, et finalement les agresseurs étaient toujours là.
Mes périodes de stages, c’était un soulagement. J’étais très contente de ne pas avoir à affronter les caillassages.
Les bus caillassés, tous à l’abri
Pour aller au lycée, je prenais le bus tous les matins. Très souvent, il se faisait caillasser sur la route. Beaucoup de jeunes devaient faire escale dans mon établissement pour prendre un autre transport scolaire afin de se rendre dans d’autres lycées. Mais, malheureusement, ils ne pouvaient pas y aller à cause des caillassages. Comme nous, ils étaient obligés de courir se mettre à l’abri à l’intérieur.
Malgré tout ça, j’ai atteint mon objectif et j’ai obtenu mon bac pro avec mention assez bien. Ça n’a pas été le cas pour la majorité des élèves : la moitié de ma classe n’a pas eu son diplôme. Aujourd’hui, je poursuis mes études en métropole, à Brest. Je suis soulagée d’avoir quitté ce climat de violence.
Il y a 11 ans, le décès d’un jeune homme lors d’un règlement de comptes a profondément marqué les habitant·e·s d’Acoua, à Mayotte, dont Saïndou. Des violences presque quotidiennes, exacerbées par la précarité.
Dans le groupe Messenger de ma classe de terminale, une de mes camarades nous a écrit que les caillassages continuent. C’est toujours pareil. La situation actuelle à Mayotte, c’est qu’il y a de plus en plus de violences, et ça continue. Je pense que la situation de tensions au lycée de Kahani, c’est par rapport à des conflits intercommunautaires et inter-villages. Certains jeunes sont jaloux, aussi, du fait que nous on est scolarisés, et pas eux.
Dhoim, 18 ans, en formation, Brest
Crédit photo Hans Lucas // © Marion Joly
Que se passe-t-il à Mayotte ?
Depuis plusieurs années, l’île connaît une escalade de violence : rixes, vols, cambriolages, meurtres… et caillassages entre jeunes de bandes rivales.
L’école et les bus scolaires sont souvent des lieux d’affrontement, d’une part parce que c’est là que les jeunes se trouvent, et d’autre part parce que ce sont les symboles de l’abandon des Mahorais·es par l’État français. Les écoles manquent de classes, de moyens, et beaucoup d’enfants ne vont pas à l’école parce qu’ils et elles vivent dans des conditions très précaires. Et pour cause…
77 % des Mahorais·es vivent sous le seuil de pauvreté.