L’ASE : « Le pire et le meilleur truc qui me soit arrivé »

« Ton éducatrice n’est pas là, tu veux laisser un message ? » Quand j’appelais l’Aide sociale à l’enfance (ASE), j’avais toujours la même réponse. À la base, j’étais une personne calme qui ne parlait à personne. Mais ça m’énervait tellement que personne ne veuille m’écouter ou m’aider que j’ai décidé de faire en sorte que ça change. 

La seule solution que j’ai trouvée a été de tout faire pour m’imposer. Pour leur montrer que j’avais mon mot à dire, avec les filles qui étaient avec moi au foyer, on a commencé à faire n’importe quoi. J’ai enchaîné les bêtises, du genre foutre le bordel dans une chambre, fuguer ou voler. 

Un jour, un garçon est monté dans notre chambre et il a tout dérangé. Pour se venger, on a décidé de faire la même chose dans la sienne, mais en bien pire. Résultat, les éducateurs nous ont crié dessus, sans savoir que c’était le garçon qui avait commencé. On n’était pas d’accord, alors on a décidé de fuguer après le dîner, vers 20 heures. On est toutes parties dans un grand stade avec deux grands gradins. Les autres filles avaient ramené du shit et une chicha. On a passé la nuit à fumer. 

Livrée à elle-même

Avant nos placements, l’ASE nous avait vendu du rêve, avec des phrases du genre : « On va bien s’occuper de toi » ; « Ton avis est pris en compte » ; « On sera avec toi » ; « Tu seras pas seule » ; « On est là pour t’aider. » Mais une fois séparés de nos parents, ce n’était plus la même. On avait l’impression de ne plus exister. L’ASE n’a jamais été là pour nous.

Il y avait aussi d’autres jeunes avec moi. Ils ne respectaient personne et ils se battaient tout le temps. Quand ils voyaient que tu étais calme et que tu ne te défendais pas, ils s’en prenaient à toi. J’ai rapidement compris que si je ne voulais pas me faire marcher dessus, il fallait que je m’impose, que je leur montre que je savais me défendre. Sinon, même les personnes que je pensais être là pour moi allaient me la mettre à l’envers.

À cette époque, j’avais une éduc’. Sauf qu’elle était de moins en moins là. Je n’avais personne à qui parler. J’avais le droit ni aux appels, ni de voir mes parents. Tous les jours, je demandais après mes parents, je demandais à mes éducateurs pourquoi je n’y avais pas le droit, mais j’avais toujours la même réponse. Même trouver une école était compliqué car, à 13 ans, on ne sait pas comment chercher. Pendant un moment, je n’ai plus eu d’école car j’avais changé de ville. Les éducateurs du foyer me disaient qu’ils ne pouvaient rien faire. 

Enfin écoutée

Malgré ce qui se passait chez moi et la cause de mon placement, j’aurais préféré rester avec mes parents. Il y a des choses que j’ai faites en étant placée que je n’aurais jamais faites chez moi. Je n’aurais jamais touché aux substances illicites. Je ne serais jamais restée toute la nuit dehors. Je ne me serais jamais battue. Je n’aurais pas appris à ne respecter personne et à n’en faire qu’à ma tête pour m’en sortir. L’ASE restera le pire mais aussi le meilleur truc qui me soit arrivé dans la vie. C’est là-bas que j’ai compris que la vie n’était pas toute rose.

Pour se protéger des violences de sa mère, Justine a appelé le service d’aide aux enfants en danger. Depuis ce jour, elle prend conscience de tout ce qu’elle a subi.

Quand j’ai quitté le foyer, je suis partie en famille d’accueil. Elle m’a montré que, malgré tout ce que j’avais vécu, je pouvais m’en sortir. Elle m’a aidée à trouver une école, à maîtriser ma colère et elle m’a laissé plus de liberté. J’ai réussi à me remettre en question et à rester un minimum lucide. Sans un bon mental, certains enfants de l’ASE finissent dans la drogue ou la prostitution. Maintenant, je peux sortir comme je le souhaite, aller voir ma famille. J’ai arrêté toutes mes bêtises.

Clarice, 16 ans, volontaire en service civique, Paris

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