Pamela D. 09/07/2021

Mes années lycée dans un centre d’hébergement d’urgence

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Pamela logeait dans un centre d'hébergement d'urgence avec sa famille. Malgré le lycée, elle s'est battue pour trouver un logement.

Une voiture avec un chauffeur et cinq places vides nous attendait devant la porte d’entrée de la dame française qui nous hébergeait depuis notre arrivée en France. Il faisait nuit. On devait chacun préparer un petit bagage à main. C’était la consigne de l’opérateur 115, on n’avait pas le choix.

On nous avait conseillé de contacter ce numéro d’urgence que seuls les gens en galère connaissent. Après plusieurs tentatives et jours d’attente, on avait fini par avoir le service au téléphone. Je m’en rappelle comme si c’était hier. Je venais de rentrer après l’école.  On m’a annoncé qu’on allait nous prendre en charge et qu’on aurait un logement. Je n’imaginais pas que c’était le début d’un grand combat entre ma famille et l’État. 

Premier logement : des vieux bureaux

Je suis arrivée de Bulgarie en 2010, à 14 ans. J’avais les yeux remplis d’espérance et des rêves à réaliser. Une dame française, de laquelle ma famille sera toujours reconnaissante, nous a aidés à commencer notre vie en France, notamment à m’inscrire à l’école. Puis, on a dû quitter le lieu.

C’est un centre d’hébergement du 8e, à Paris, qui nous a accueillis. On comprenait à peine ce qu’ils étaient en train de nous dire. Ils nous ont accompagnés jusqu’au « deux pièces à vivre ». C’était en réalité d’anciens bureaux pas très propres et mal équipés. On ne comprenait toujours pas bien mais on n’avait pas le choix, on devait rester. 

Selon les estimations de la Fondation Abbé-Pierre, 100 000 logements sociaux de moins auraient été affectés l’année dernière à cause du Covid-19.  Explications par Libération.

On a attendu de bonnes explications, un conseil, quelque chose quoi. On a demandé à avoir un traducteur pour qu’il puisse nous expliquer la suite des démarches et avoir des réponses à toutes nos questions. Une fois que le traducteur nous a expliqué, on a enfin compris ce qu’était réellement le 115 et où on était. Pour avoir un logement social, on devait faire les démarches nécessaires. Une longue attente était prévue : entre sept et dix ans ! Je me suis sentie seule, faible, petite, impuissante, désespérée.

Le centre, moins pire que la rue

Le centre d’hébergement, c’était mieux que rien pour des familles qui n’avaient pas la chance d’être hébergées. C’était mieux d’être là qu’à la rue. Ce n’était pas le meilleur endroit pour faire ses devoirs, réviser ses cours ou même se doucher. 

C’était le bordel, tout le monde faisait ce qu’il voulait, des heures d’ouvertures à la fermeture. On n’avait pas le droit de manger dans nos chambres parce que le centre disposait d’une cantine. Il fallait aussi faire le ménage une fois par semaine dans l’ensemble du centre, mais la majorité ne le faisait pas. 

Ce qui m’a le plus marquée, c’était le manque d’informations, le manque d’accompagnement… Nos droits étaient limités. Avec le temps, j’ai su qu’on avait des droits d’allocations, droits de demande de logement ainsi que le droit au logement opposable (Dalo). J’ai appris ça par moi-même, grâce à mes recherches sur différents forums ou bien par des élèves de ma classe.

Le documentaire Un jour ça ira suit Djibi et Ange, deux ados résidant à l’Archipel, un centre d’hébergement d’urgence (CHU) innovant du 8e arrondissement de Paris. À travers le chant et l’écriture, ils expriment leurs rêves et leurs aspirations, loin des tourmentes du quotidien.

Je devais m’engager à sortir ma famille de cette situation et de ce cercle vicieux, qui avait duré assez longtemps, car j’étais la seule qui avait des bases en français. Sauf qu’au lycée, ce n’était pas toujours facile pour moi de gérer les matières qui semblaient si faciles pour les autres.

J’ai imprimé toutes les informations qui m’ont paru importantes. J’ai rempli tous les formulaires liés d’une façon ou d’une autre à ma famille : caisse d’allocations familiales (CAF), dossier d’assurance maladie, le Solidarité Transport, dossier de bourse nationale. Il y avait aussi la demande de logement. Et j’ai écrit une lettre à la main avec notre parcours, puis je l’ai déposée dans toutes les mairies les plus proches. J’étais plus occupée par des affaires administratives que par mes études et ma vie d’ado.

Cinq dans vingt mètres carrés

En 2015, les Syriens sont arrivés au centre. Je rentrais des cours, la halle du centre d’hébergement était bondée d’hommes entre 15 et 40 ans. Ils avaient leurs sacs à dos au sol, allongés, leurs visages fatigués et énervés. Je ne comprenais rien, il n’y avait même pas la place pour entrer. J’ai dû appeler ma mère pour venir me chercher.

Le directeur du centre dans la cantine d’immeuble nous a tous convoqués. Ils nous ont informés que nous devions quitter le lieu dans un délai de dix jours et que toutes les familles seraient accompagnées vers un autre centre. Heureusement, moi et mon frère étions scolarisés à Paris. Le jour suivant, le matin, on était tous déjà prêts à libérer les « chambres » et à laisser la place aux nouveaux locataires, qui attendaient toujours en bas dans leurs sacs de couchage.

Le nouveau centre d’hébergement : une chambre pour cinq personnes, environ vingt mètres carrés. C’était petit et ça sentait mauvais, mais ce n’était pas loin du lycée. C’était toujours mieux que rien. On devait faire avec. Je passais une grande partie de mes journées dehors, au lycée ou avec des amis, et je rentrais juste pour me doucher et dormir. Je me suis habituée à aller en cours sans réviser ou faire mes devoirs. C’était devenu mon quotidien. De toute façon, je n’avais pas le choix.

Le centre m’a éjectée

En 2017, j’ai voulu passer mon permis. J’ai eu l’idée de rentrer dans mon pays pendant les vacances et de le passer là-bas. Ça m’a pris plus de temps que prévu et c’est là que tout a basculé. Le centre m’avait autorisé trente jours d’absence et j’ai pris le risque de rester en Bulgarie pour finir ce que j’avais commencé. Mais quelques jours après mon délai posé par l’association, j’ai eu un appel. C’était la directrice. J’ai eu droit à un long discours comme quoi il n’y avait plus de place disponible et que ça ne servait a rien de revenir en France. Je n’avais plus le droit d’être hébergée dans son centre. Même mon inscription dans un établissement scolaire pour l’année scolaire 20172018 ne faisait pas l’affaire.

Melodias s’est retrouvé à la rue avec son père. Après avoir frappé à toutes les portes pour avoir une place dans un centre d’hébergement d’urgence, ils ont du se résigner à vivre dans leur voiture.

Je n’avais pas le choix : je suis restée dans mon pays et j’ai géré de là-bas les affaires administratives de la famille. Je gardais l’espoir que tous les efforts que j’avais fait pendant ces sept ans et tous mes sacrifices allaient payer un jour. Qu’un jour, je n’aurais plus à m’inquiéter du lieu dans lequel j’allais habiter, que j’aurais la liberté de rentrer et manger quand je veux, d’avoir un espace à moi.

J’ai finalement réussi à revenir en France et, en 2021, on a enfin eu un logement social. Je profite des moments que je rêvais d’avoir un jour avec ma famille. C’était mon combat et j’ai gagné. Onze ans après.

Pamela, 24 ans, en formation, Bagnolet

Crédit photo Hans Lucas // © Thomas Morel-Fort (Série photo : « Centre Covid Vaires-Sur-Marne »)

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2 réactions

  1. Un témoignage poignant qui ne nous laisse pas indifférent.
    C’est un combat de tous les jours et rien n’est acquis.
    Il suffit d’un grain de sable , d’une poussière , d’un formulaire pour que les portes , toutes les portes se ferment.
    J’ai beaucoup d’admiration pour toutes ces personnes qui ne lâchent rien et en particulier pour Pamela.
    C’est une personne attachante et qui mérite largement de réussir.
    Votre volonté trouvera un jour le chemin de l’apaisement.
    Je vous le souhaite de tout mon cœur.
    Bien sincèrement.
    Pascal.

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