Louise M 18/11/2020

Covid-19 : les mineurs isolés étrangers voient leur avenir entravé

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Recherches d'emplois suspendus, formations en stand-by... A l'épreuve de la crise sanitaire, l'intégration des mineurs isolés étrangers que Louise accompagne est menacée. Et leurs 18 ans approchent sans qu'ils puissent s'y préparer.

Les phobies nocturnes de Seidou ont recommencé. L’audience pour sa demande d’asile, prévue en avril, a été reportée à une date ultérieure dont on attend toujours la communication. Tout s’opère désormais en vidéoconférence et tout est encore plus lent : obtenir un rendez-vous avec l’avocat qui coïncide avec celui avec le médiateur culturel et l’assistant social –, c’est quasi impossible parce que tous sont sous l’eau. Et comment fait Seidou pour raconter les horreurs qu’il a subies, devant un écran, hésitant parce qu’il entend à peine le médiateur et le juge, qui se coupent la parole ?

Près de deux ans que je suis éducatrice dans le nord de l’Italie auprès de ceux que le système appelle des « mineurs étrangers non accompagnés ». Ce soir, je fais la nuit au centre, mes jeunes dorment. Une vingtaine de vies d’Égypte, de Tunisie, du Sénégal, de Gambie, de Somalie, du Nigeria, du Mali, d’Albanie. Je les suis depuis un printemps, un été, un automne, un hiver. Puis le coronavirus a fait disparaître les saisons.

Quand le virus est arrivé, les éducateurs ont encaissé et continué parce que, pour les jeunes dont on s’occupe, la course contre l’horloge des 18 ans qui signifie la fin de la prise en charge et l’arrivée contrainte dans une vie d’adulte est repartie de plus belle. Il faut à tout prix continuer de leur faire apprendre la langue, leur trouver des contrats d’apprentissage, préparer leur demande de protection internationale. Mais comment dans ce contexte ?

Comment trouver travail et formations à des jeunes mineurs isolés dans ces conditions ?

Comment font les jeunes pour apprendre une langue sans interactions, seulement sur leur petit téléphone dans la chambre ? Comment penser à l’intégration professionnelle et sociale d’un jeune quand écoles et centres de formation fonctionnent pire qu’au ralenti ? Deux bars dans lesquels on avait trouvé un contrat d’apprentissage pour Djonis ferment à cause de l’année difficile, on doit recommencer les recherches. À Gênes, les hôpitaux croulent sous les cas positifs et ont reporté la plupart des opérations, dont celle de Mahmoud, atteint d’un lourd pied bot qui l’empêche de se déplacer et de stationner debout : comment lui trouver un travail ou une formation dans ces conditions ?

On a tous des jeunes dont on est référents, mais entre les tests obligatoires et les périodes d’isolement, notre équipe aussi est touchée. C’est parfois difficile de suivre tous les morceaux du parcours d’un jeune quand ce n’est jamais le même éducateur qui s’en occupe…

« Le centre du monde » est une série Binge Audio de six podcasts. Son réalisateur, Julien Cernobori, a passé six jours dans un centre d’accueil pour mineurs isolés étrangers créé par Médecins Sans Frontières. À travers les histoires de ceux qui y travaillent et le fréquentent, il nous plonge dans la vie de ces jeunes migrants.

 

Jusqu’à présent, le virus s’est toujours cogné bien fort contre notre grand portail vert sans réussir à entrer. Des cas positifs, on n’en a pas (encore). Des frayeurs, tous les jours. Je suis bien consciente qu’un jour ou l’autre ça nous tombera dessus, malgré toutes nos précautions. La plupart des jeunes, eux, ont encore du mal à se sentir vraiment vulnérables face au virus. En même temps, ils ont traversé le Sahara ou le Bayouda…

Je voudrais retrouver mon métier d’avant : éduc’, pas robot

Cela fait des mois qu’avec les collègues, on est obsédés par le nettoyage, partout, tout le temps, qu’on rabâche encore et toujours l’importance du masque, de la distanciation, des gestes barrières. Moi la première, j’ai eu beaucoup de mal à agir comme ça. Et je suis fatiguée. Je suis une éduc’, pas un robot qui doit sans cesse répéter les mêmes gestes, les mêmes phrases. Venant de l’extérieur, pour mes jeunes qui vivent tous ensemble, je suis un danger potentiel. Mais je n’arrive plus à les repousser quand ils viennent pour une accolade, à tenir le masque douze heures d’affilée, à en isoler un ou deux dans leur chambre le temps qu’on ait le résultat du test, à prendre des températures de tous les côtés. Je n’ose m’imaginer en visière et combinaison quand on aura le virus à nos trousses. Alors, hauts les cœurs et j’essaie.

Je voudrais retrouver mon métier d’avant, celui où je passais des heures à parler avec mes jeunes de leurs projets d’avenir en essayant de les concrétiser avec eux, celui où je faisais des kilomètres dans toute la ville pour les emmener aux cours d’italien, au stade de foot, à la piscine, celui où le soir, quand tout le monde était rentré, on mangeait les pizzas qu’on avait à peine cuisinées, sur cette table infiniment étendue d’où émanaient rires et injures dans toutes les langues.

Pendant le premier confinement, Lena était en service civique à Utopia 56, une association qui aide les mineurs isolés étrangers. Elle raconte comment elle a continué à assurer sa mission à distance.

Gros plan d'une personne avec un masque pour se protéger du coronavirus. Photo noir et blanc, devant une fenêtre.

La plupart de mes jeunes auront 18 ans d’ici la fin de l’année et, à cause du virus, ils entreront brutalement dans une vie d’adulte dont la préparation a été lourdement avortée. J’espère que quand on reparlera de tout ça on se souviendra aussi que, dans les lieux oubliés comme celui où je travaille, les jeunes ont encaissé, sans broncher, faisant preuve d’une résilience exemplaire.

Première ou deuxième vague, on n’a pas été emportés. On rame, on rame, mais je suis sûre qu’on arrivera là où on a pied.

Louise, 25 ans, éducatrice, Gênes

Crédit photo © Louise // Les jeunes mineurs isolés assis du foyer de Louise après un match de foot

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