Imane J. 15/02/2023

4/4 Ils nous enlèvent tout, alors on se soutient

tags :

Imane et ses coretenues voient chaque jour leurs droits bafoués. En réponse, elles tentent d’organiser la solidarité.

Je vis depuis dix ans en France. J’ai des certificats de scolarité, des attestations pour avoir travaillé dans des associations, un certificat d’hébergement. Mais tout ça, ils n’en ont rien à faire, ils veulent juste remplir le centre. J’ai passé les fêtes de fin d’année au CRA, ma copine fêtait son anniversaire mais je n’ai pas pu y être… Je viens de Marseille mais j’ai été arrêtée à Paris, à Stalingrad. J’étais avec une copine dans la rue, on s’est fait contrôler. Ils m’ont emmenée au commissariat, en garde à vue pendant 48 heures, juste pour me faire attendre. C’est après qu’ils ont appelé la préfecture et que je suis arrivée ici. Enfin bon c’est la loi, je respecte la loi. Mais il se passe des choses très graves ici, chez nous les filles.

Dans le bâtiment des femmes, la situation s’est tendue ces dernières semaines. Ils nous ont tout enlevé : on ne peut plus s’apprêter, ni se mettre dans les chambres par affinité ; nos proches ne peuvent plus faire rentrer les courses qu’ils nous apportent au parloir, même les gâteaux. Ils ont peur qu’on se suicide… avec un paquet de gâteaux.

En manque d’intimité

Au CRA, il n’y a rien. Tu es enfermée loin de tes copines et tu n’as aucune intimité. Ils ont changé toutes les filles de chambre. Le soir, ils ferment les portes à l’heure qu’ils veulent, ça dépend juste de leur humeur. Normalement c’est 21h30, mais ça peut être 20 heures. Les filles sales se retrouvent avec des propres, des filles qui ne parlent pas la même langue se retrouvent mélangées. Donc ça crée des embrouilles quand on essaie de se ménager un peu d’intimité.

Le CRA, c’est très dur psychologiquement. Alors, prendre soin de nous et discuter, c’est ce qui nous aide. Les crèmes, le maquillage et nos autres affaires, on doit les laisser à la fouille. On y a accès une heure le matin, une heure le soir… s’ils nous laissent y aller. Avant, on avait le droit d’utiliser les sèche-cheveux dans une salle, mais maintenant le policier qui s’en occupe a la flemme. Il y avait une plutôt bonne ambiance entre nous dans le bâtiment, on se soutenait. Là, il n’y a plus rien. Et on se retrouve avec des filles avec qui on ne peut pas parler.

Du bruit en permanence

J’ai une copine, elle avait un lisseur. Ils ont fait un bordel dans sa chambre pour ça. Les policiers entrent quand ils veulent, même quand on y est. Ils fouillent toutes nos affaires. Imaginez, vous laissez votre chambre rangée et, quand vous revenez, tout est renversé… on n’est pas en prison, en fait. Il y a une brigade de policiers qui pose problème, toujours la même, que des hommes. Ils font vraiment chier, excusez-moi pour le mot.

Les douches sont sales. Les toilettes aussi, ils n’utilisent pas de produits, on a toujours des infections. C’est à nous de nettoyer en fait. La nuit, les filles crient au téléphone jusqu’à 3 heures. À 7 heures, le bruit des avions commence, il y a les pistes de Roissy juste à côté. Puis, le monsieur crie au micro pour nous appeler au petit-déjeuner. Dès qu’il se tait, les filles recommencent à faire du bruit, puis c’est les gens qui font le ménage. On ne dort pas.

Malade mentalement et physiquement

Une des choses qui m’inquiète le plus, c’est la situation d’une dame qui est avec nous. Elle a 58 ans, elle est malade mentalement et physiquement. Elle est incontinente, ne peut rien faire seule : ni manger, ni se laver, ni se changer. Elle parle aux murs et ne comprend pas le français. Quand les policiers nous appellent au micro pour aller manger au réfectoire, elle ne comprend pas. Ils la laissent comme ça, alors c’est moi qui la lave avec une copine. Elle a même une infection mais personne ne s’en occupe. C’est une dame qui vivait dans la rue et, plutôt que de l’emmener dans un hôpital, ils l’ont enfermée ici. Ce n’est pas d’enfermement ou d’expulsion qu’elle a besoin, mais de soins !

SÉRIE 1/4 – Tentatives de suicide, violences policières et mauvaise alimentation : Abdelkader raconte la vie dans le centre où il est retenu.

Quatre jeunes hommes regardent la télé dans une petite chambre qui comprends deux lits superposés. Au premier plan, on voit le bras d'un policier, de dos, en train d'entrer dans la chambre. Un des garçons, assis sur une chaise en plastique, le dévisage en fronçant les sourcils.

Ils lui font signer des documents administratifs, des papiers du tribunal, mais elle ne sait pas ce qu’elle signe. Ils lui ont mis 28 jours pour l’instant. Les policiers l’appellent « celle qui pue », « celle qui est tarée ». J’ai essayé d’appeler le SAMU pour leur demander de l’aide, ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire si ce n’était pas quelqu’un du CRA qui leur parlait. Quand j’ai demandé à un policier de leur parler, il leur a dit qu’on n’avait pas besoin du SAMU et qu’on avait déjà une infirmière. Alors que l’infirmière ne peut rien faire pour elle.

Avec la Cimade, on a fait une lettre pour parler de la situation, la direction a refusé de nous recevoir. On a aussi essayé une grève de la faim mais ça n’a pas duré longtemps, on a vite compris que ça ne servait à rien.

Imane, 24 ans, Marocaine enfermée au CRA du Mesnil-Amelot

Illustration © Léa Ciesco (@oscael_)

 

Expulsions à la chaîne

Débattue au parlement cet hiver, la nouvelle loi immigration prévoit de recourir plus souvent aux CRA, en expulsant plus. Les obligations de quitter le territoire (OQTF) seront distribuées encore plus massivement, sans possibilité de recours pour les personnes concernées, et les demandes d’asile seront traitées plus vites. Une situation « plus qu’inquiétante », pour Amnesty International.

Étranger·es, donc soit criminel·les…

Pour défendre sa loi, le ministre de l’intérieur ne fait pas dans la finesse. « On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent », affirme Gérald Darmanin, en usant du raccourci entre immigration et délinquance. Il s’inscrit dans la continuité des ministres de l’Intérieur depuis plus de 30 ans. Rien n’a changé depuis 1997, quand 17 rappeurs et rappeuses chantaient contre les lois racistes : « Mes droits me quittent, vite fait / J’ai compris que l’éthique et l’équité / N’étaient pas les mêmes selon ta provenance et ta te-té. »

… soit ouvrier·es

Pour mieux justifier d’expulser massivement, le gouvernement prévoit aussi d’ouvrir des droits aux travailleurs et travailleuses sans-papiers. Dans les faits, les conditions d’attribution de ces titres de séjour seront strictes et ils ne seront délivrés que de manière temporaire. Dans une tribune, un collectif d’associations et de syndicats dénonce une vision des étranger·es qui les considère « comme une population de seconde zone, privée de droits, précarisée et livrée à l’arbitraire du patronat, de l’administration et du pouvoir ».

Partager

Commenter