Covid-19 : sans emploi, ma dépression s’installe
En mars 2021, c’est le fracas. Alors que je m’épanouissais dans mon taf en tant qu’intervenant artistique, je le perds pendant deux mois pour « faute grave ». Je ne comprends pas. J’étais cas contact d’une de mes collègues et avec « l’euphorie ambiante » autour du virus, mes patronnes me suspendent jusqu’à nouvel ordre. Je pensais reprendre le travail après ma période de quarantaine et un test négatif. Mais rien n’y fait : elles en profitent pour ne pas me faire revenir.
Quand on est un jeune diplômé et qu’on a été un élève modèle, on pense sans cesse à l’indépendance, à s’épanouir socialement et professionnellement. Je n’aurais jamais envisagé un tel fracas après des études réussies avec brio, et une vie sociale plus que remplie.
D’octobre 2020 à février 2021, l’année se révèle assez productive et heureuse. Après un diplôme en arts appliqués, je me lance en auto-entrepreneur, en sachant que cette année sera compliquée pour rentrer dans le sacro-saint salariat. J’en profite pour découvrir de nouveaux métiers : illustrateur, artiste peintre, art-thérapeute en institution psychiatrique, tout en gardant un job de baby-sitter pour arrondir les fins de mois.
Je perds mon travail
Mais en mars 2021, mon statut d’auto-entrepreneur ne me garantit pas de sécurité financière. Je ne touche ni aides ni chômage. J’arrive à m’en sortir grâce à quelques économies et à mes parents. Mais j’aurais préféré garder cet argent pour des projets, et ne plus être un poids pour ma famille.
En parallèle, la personne que je date depuis quelques mois part dans le Sud pour un service civique. La relation à distance s’essouffle avec les interdictions de circuler. Avec du recul, je réalise que j’ai certainement perdu l’une de mes plus belles relations à cause du virus.
Tout se met à tourner
Les confinements et les couvre-feux trop sagement respectés me poussent à un isolement social fatal. Depuis le premier confinement, ma vie sociale était réduite à son minimum. Plus d’anniversaires, plus de crémaillères, plus de fêtes de diplôme, plus de verres pour refaire le monde après le taf, plus de soirées pour suer en dansant. Alors, après un an sans voir personne, j’attrape le tournis. Je déréalise car le monde réel est confiné. Il ne reste que les réseaux sociaux pour essayer de retrouver la chaleur des relations humaines.
Mais c’est un échec et je m’essouffle dans cette spirale infernale. Je glisse alors vers un état inconnu et étrange où tout devient terne. Je perds pied avec la réalité. Je me réfugie dans le noir car les journées se ralentissent et je dors pour les raccourcir. Je dors aussi pour ne pas être tourmenté, et pour fermer les yeux sur mon quotidien morne.
Je sombre dans la dépression
Je prends un rendez-vous en mai 2021 chez un psychiatre qui pose un nom sur ce fracas : la dépression. Il me prescrit le premier médicament qu’il a sous le bras, sans me connaître. Aux yeux du monde et de moi-même, je deviens un déchet, une loque, une merde. Je n’arrive à rien faire, tout s’écroule, et j’ai honte, car je la connais, la réputation de la dépression. Et ça ne m’aide pas à m’en sortir.
En juin 2021 : sieste de trop, pensées trop noires. Clap. Deux heures plus tard : j’atterris aux urgences psychiatriques. Deux semaines d’internement, beaucoup trop de médicaments, de nombreux examens pour checker mon cerveau, rencontrer ma famille, raconter sans fin ce qu’il s’est passé. Pendant mon hospitalisation, les mesures sanitaires s’assouplissent et mes amis en profitent pour me rendre visite.
Prozac, escitalopram, trazodone, Xanax. Mes amis se trimballent aussi une sacrée pharmacie. Et c’est enfin là qu’on prend conscience de l’importance de notre santé mentale. On se dit ensemble qu’on n’a peut-être pas eu ce qu’on attendait de la vie, qu’on sent un peu notre jeunesse gâchée, qu’on a l’impression d’être dans une impasse mais qu’il faut dorloter notre psyché et l’écouter un peu plus.
Face à une nouvelle vague
Aujourd’hui, je ne pense plus être en dépression, mais je suis encore un lourd traitement qui me contraint et m’amoindrit au quotidien. Tremblements, migraines nauséeuses, spasmes, somnolence et difficultés à rester concentré. Du côté personnel et professionnel, rien n’avance vraiment et je le vis comme une hécatombe. Une centaine de candidatures en deux mois, sans grand résultat. Même si ce n’est pas un monde merveilleux, je souhaite toujours vivement rentrer dans le sacro-saint salariat pour entrevoir un avenir plus stable. Surtout dans le « design produit » qui me passionne depuis toujours. Pour le personnel, les médicaments me donnent une sorte d’insensibilité qui rendent difficiles les retrouvailles, et les nouvelles rencontres moins évidentes qu’avant.
La crise sanitaire a mis un coup d’arrêt à la vie de fêtarde de Charlie. Mais pour elle, c’est une très bonne chose : elle a arrêté de se perdre dans des soirées trop arrosées.
Maintenant, si on me demande de penser à l’avenir, j’ai beaucoup plus de mal à me projeter. J’ai l’impression d’être moins idéaliste, moins ambitieux et moins déterminé. Peut-être que c’est à cause des médicaments et de la dépression, du contexte actuel ou de moi-même. La seule chose dont je suis certain, c’est qu’il faut du temps et que l’on se doit d’être indulgent avec soi-même.
J’essaie de faire en sorte que les choses rentrent dans l’ordre. Je travaille pour m’occuper, sans forcément gagner de l’argent… et je vois tranquillement une nouvelle vague qui arrive, sans savoir à quoi m’attendre de nouveau.
Vianney, 23 ans, en recherche d’emploi, Paris
Crédit photo : Pexels // CC Andrew Neel
La santé mentale des jeunes
Elle s’est dégradée depuis la crise sanitaire
Le nombre de syndrômes dépressifs a doublé chez les 15-24 ans depuis la crise sanitaire. Aujourd’hui, 20 % d’entre elles et eux ont des troubles psy. Cette augmentation est surtout liée au manque de vie sociale, à la peur de transmettre le virus à ses proches et à la perte de repères.
Le Covid est le révélateur d’un mal profond
La coupure du monde extérieur a obligé les jeunes à se replier sur elles et eux-mêmes, et à être confronté·e·s au mal-être qu’ils et elles ressentaient avant le Covid. L’augmentation des troubles psy était déjà significative avant la crise : le nombre de jeunes admis·es en pédopsychiatrie a doublé en vingt ans.
Le rapport aux autres a été fortement impacté
Les phobies sociales et scolaires sont les troubles qui ont le plus augmenté depuis le premier confinement et la mise en place des cours à distance. Les risques d’addiction (aux écrans, psychotropes, etc.) ont aussi largement augmenté.