Clotilde G. 16/06/2022

Lettre à ma mère

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Très tôt, Clotilde a dû apprendre à s’occuper de sa mère dépressive et dépendante. Elle lui adresse ce message.

Maman, est-ce que tu te souviens de quand tu avais pris trop de médicaments  à cause de ta dépression ? Tu avais déliré toute la nuit, tu étais tombée et tu t’étais mise à saigner. J’avais dû appeler les urgences, et nettoyer tout le sang qui avait coulé de ma chambre à la salle de bain… Car c’est dans ma chambre que tu étais tombée.

Est-ce que tu te souviens de ce jour où tu avais bu et où tu t’étais disputée avec « … » ? Tu étais partie en voiture pour aller je ne sais où, et tu ne me répondais pas quand je t’appelais au téléphone. Je m’inquiétais énormément.

L’impression de ne pas te connaître

Est-ce que tu te rappelles ces soirs où tu rentrais très tard, souvent ivre, et que je n’avais aucune nouvelle de toi ? Tu me sortais toujours des excuses qui n’avaient aucun sens. Est-ce que tu te rappelles la période quand j’avais 10 ans ? Là, tu ne sortais pas, sauf pour aller faire des courses et travailler une fois de temps en temps pour ne pas être renvoyée. Est-ce que tu te souviens de tous ces jours passés dans ton lit, dans ta chambre dans le noir créé par tes rideaux fermés et où tu ne faisais rien. Où seulement tu pensais ?

Chaque conversation qu’on a, chaque fois que nos regards se croisent, tout ce que je vois, c’est que les pensées de ma maman sont vides. Quand je te pose des questions, tu ne me réponds pas, ou alors tes réponses sont les plus courtes et les plus sèches possibles. Quand je te raconte quelque chose comme ma journée en cours, j’ai l’impression que tu ne m’écoutes pas. J’ai l’impression de ne pas connaître ma maman. Je n’ai pas le sentiment de pouvoir te parler comme je parlerais à un membre de ma famille. J’ai l’impression de vivre avec une inconnue.

Jouer le rôle de mère… à ta place

J’ai toujours imaginé que les autres filles de mon âge avaient un lien positif avec leurs mères, et j’ai toujours envié ce genre de relation. Je ne parle jamais de notre situation à mes amis, car je pense que j’ai honte de ne rien savoir sur toi, de ne jamais pouvoir te parler. Ça me fait très mal de voir que tu souffres et que tu n’as pas l’air de vouloir que ta dépression ne change. Même si tes addictions à l’alcool et à la cigarette se sont quand même améliorées.

Éloïse a longtemps souffert de l’alcoolisme de sa mère, au point d’en venir aux mains. Séparées, elles ont pu se reconstruire et de nouveau s’apprécier.

Une main tient un verre presque vide posé sur une table, sous une lumière bleue.

Ta dépression m’impacte beaucoup, je n’ai pas l’impression que tu aies une présence maternelle envers moi. J’ai l’impression que tu ne joues pas ton rôle de mère, que tu ne t’es jamais vraiment occupée de moi, en tout cas pas dans mes souvenirs.

J’ai plutôt l’impression que c’est moi qui joue ce rôle. C’est toujours à moi de m’inquiéter pour toi, parfois même de te surveiller. Pour moi, en tant qu’adolescente souffrant d’angoisse, tous les petits problèmes ont l’air importants. Et je trouve ça assez triste que beaucoup d’adolescents doivent s’occuper de leurs parents. Je vis seule avec toi. Même si mon père essaie de m’aider, de me donner des conseils, il n’a jamais vraiment agi. Je suis seule à gérer cette situation.

Clotilde, 15 ans, lycéenne, Colombes

Crédit photo Pexels // CC cottonbro

 

Les jeunes aidant·es

Ils et elles sont nombreux·ses et jeunes
Un·e jeune aidant·e, c’est un·e enfant ou un·e adolescent·e qui aide au quotidien un membre de sa famille qui a des problèmes de santé. Elles et ils sont environ 700 000 en France, et ont en moyenne 16 ans.

Elles et ils y consacrent beaucoup de temps
Dans 73 % des cas, la ou le jeune aidant·e consacre au moins une heure par jour à la personne malade. 36 % des jeunes dans cette situation y passent plus de deux heures quotidiennes. L’aide est principalement morale et ménagère.

Ce statut a un impact sur l’enfant
Dans 34 % des cas, la ou le jeune est obligé·e d’être en retard ou absent·e de l’école. 75 % d’entre elles et eux se sentent fatigué·es et ont des douleurs physiques liées à cette aide. Enfin, plus de la moitié estime que leur statut les empêche de profiter de leur jeunesse.

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1 réaction

  1. Les témoignages sur Zep sont très souvent bouleversants. Je salue votre courage Clotilde, j’ai 55 ans je n’ai pas d’enfant et j’ai eu une adolescence heureuse et… Banale . À travers votre récit, on sent que vous avez de grandes qualités humaines. Les adultes devraient vraiment écouter les jeunes, mieux et plus souvent. Merci à Zep d’ouvrir ce canal d’information, qui peut-être ouvre aussi nos cœurs.

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