Bilal O. 13/01/2023

3/4 Deux ans et des kilos à rattraper

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Solitude et douleurs rythmaient le quotidien de Bilal à l’hôpital. Depuis sa sortie, il n’a qu’une idée en tête : rattraper le temps perdu.

Huit mois alité, quinze kilos perdus. On m’a nourri avec une perf. La vie à l’hôpital, c’est nul. J’y ai passé une bonne partie de mon adolescence. Perfusions, opérations, allers-retours. Ma pathologie, c’est une maladie qui survient à l’adolescence.

En mars 2020, on m’a transporté à la clinique Floréal à Bagnolet. On m’y a opéré en urgence. On m’a gardé un mois et demi. Les médecins disaient qu’ils ne pouvaient rien faire. J’ai donc été hospitalisé à Saint-Antoine à Paris où je suis resté plus de huit mois.

Les quatre premiers mois, on me réveillait vers 5 heures du matin pour prendre ma tension. Ensuite, l’infirmière me donnait un morceau de paracétamol, et elle disait « bonne nuit ». Déjà que la nuit, je n’arrivais pas à dormir à cause de la douleur alors, là, c’était sûr que je n’allais pas réussir à me rendormir. La meuf, t’as juste envie de l’insulter.

Seul face à la maladie

Je voyais beaucoup de monde dans ma chambre. Médecins, infirmières, famille. Au début, il y avait même mon père, et parfois ma mère qui restait avec moi parce que j’étais mineur.

À mes 18 ans, j’ai demandé à ne plus avoir de visites. Ma famille parlait à ma place, ils disaient n’importe quoi. Je pensais : « C’est pas vous qui vous faites taillader et qui criez de douleur pendant des mois ! » En réalité, je pense qu’ils en profitaient pour poser des questions parce qu’ils avaient peur d’attraper la même chose que moi.

Ma famille est hypocondriaque. Ils pensent être malades H24. J’avais horreur de ça, quand je me sentais mieux et que j’oubliais même le fait que j’étais malade, ils me demandaient toutes les deux secondes : « Ça va ? » Quand j’évoquais mes projets futurs et qu’ils me disaient « quand tu seras guéri… » ça me rendait fou. Mais putain ! Qu’est-ce qu’ils n’ont pas compris dans « maladie incurable » ? Je me sentais incompris, seul.

Les joues creusées à la sortie

Le jour de ma sortie, j’ai fait des efforts pour ne plus avoir l’air malade. Dans la salle de bain de ma chambre d’hôpital, je me regardais dans le miroir et je me disais : « C’est moi ça ? » La première fois que j’ai recommencé à marcher, j’ai tenu dix minutes avant de m’asseoir.

J’étais choqué parce que j’étais sec, je n’avais plus de graisse. J’étais vraiment maigre. Je ne me suis pas reconnu. J’avais toujours la tenue d’hôpital avec un pyjama et on m’avait déposé des habits que je n’ai pas mis. J’avais du flow de ouf en pyjama, peignoir et chaussons.

Ma famille ne m’a pas reconnu non plus, je n’avais plus le même visage, mes joues étaient vraiment très creusées, les côtes apparentes, les bras très fins et j’avais le teint très pâle. Mon frère m’avait dit : « Ils ont bu ton sang, c’est pour ça, tu es pâle. » 

Après être sorti, je me prenais pour Rick Grimes dans The Walking Dead. Je marchais le teint pâle, et je titubais. J’ai repris mon poids en deux semaines.

Reprendre sa vie à 1 000 à l’heure

À l’hôpital, je n’étais en contact qu’avec le personnel soignant, donc niveau vie sociale c’était le néant ! Pour les cours, pareil ! Je ne pouvais pas travailler parce que j’étais bloqué à l’hôpital. J’avais le seum parce que je ne pouvais pas passer le bac. Une fois sorti, j’ai pris conscience de ma nouvelle réalité : j’avais deux ans de retard. Mes amis avaient évolué d’un point vue scolaire, social, religieux. Je me souviens marcher avec un ami qui me racontait sa vie. J’étais comme ailleurs, j’étais là sans être là. Je réfléchissais déjà à un plan pour rattraper mon retard.

J’ai pris ces deux ans en plein visage. Les jours qui ont suivi, tous mes souvenirs de l’hôpital ont refait surface d’un coup. Sans m’en rendre compte, je me suis levé et j’ai pris une douche gelée. Depuis, je ne prends que des douches gelées. Je pense que c’est ce qu’il me fallait.

SÉRIE 4/4 À 15 ans, Mounir subit opérations, chimiothérapie, séjours à l’hosto, la totale. La guérison de son cancer a changé sa vision de la vie.

Illustration série. On est dans la cafétéria d'un hôpital. Au fond à gauche, une vitre donne sur la chambre d'un garçon assis sur son lit, adossé à un oreiller. Il a des nattes collées et porte un T-shirt manches longues violet. Derrière lui, le poster d'un boxeur est affiché, et des gants de boxes blancs sont suspendus juste à côté. À droite de son lit, une poche de sang est accrochée à un piquet. Au milieu de l'image, dans la cafétéria, les deux battants de la porte sont ouverts. Une personne de dos est en train de sortir vers le couloir. Elle porte une combinaison bleu très clair, avec une capuche, et des chaussures de la même couleur.

J’ai commencé à sortir de ma zone de confort, à lire énormément de livres sur le développement personnel, je voulais reprendre ma vie en main. Maintenant, je travaille, et je n’ai plus de temps pour mes hobbies, comme la boxe. Je commence tôt et je finis tard. J’étudie à côté pour valider une équivalence pour faire des études supérieures. C’est dur parce que faire du sport soulage les fatigues chroniques dues à ma maladie. J’essaie de trouver le temps pour étudier ma religion.

L’hôpital m’a gâché deux ans de ma vie. Le fait de voir mes anciens amis faire des études supérieures est toujours une source de souffrance, mais j’ai appris à vivre avec. Je me dis que ces années étaient un test, une épreuve à surmonter. J’ai longtemps pensé que je ne pouvais pas m’en sortir. J’avais perdu espoir mais aujourd’hui, j’ai réussi à me relancer. J’ai retrouvé des amis et une femme qui partage les mêmes centres d’interêt que moi.

Bilal, 18 ans, en recherche de formation, Bagnolet

Illustration © Léa Ciesco (@oscael_)

 

L’école à l’hôpital…

Chaque année, environ 11 000 élèves sont obligé·es de suivre leur scolarité à l’hôpital. Elles et ils sont suivi·es par près de 800 professeur·es affecté·es par l’Éducation nationale, pour éviter le décrochage scolaire. Des associations comme l’École à l’hôpital et des dispositifs comme le Cned viennent en renfort.

… et à la maison

Pour les jeunes malades obligé·es de rester chez eux, il existe aussi un service d’assistance pédagogique à domicile : des enseignant·es volontaires leur permettent de ne pas perdre le fil de leurs études.

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