2/2 Il y a deux vies dans ma cité
J’ai eu deux vies à la cité. La première en arrivant, en 2011. C’était comme à Montfermeil : il y avait tout le monde dehors. Il y avait deux tours où les gens faisaient du trafic de stup. Mais ils ont fini par les casser. Les CRS rodaient tout le temps. Il y avait des hélicoptères. J’avais 8 ans, mais j’étais conscient de tout ça.
En arrivant au Gros Saule, tout le monde me regardait parce que j’étais le petit nouveau. Je galérais. Il n’y avait rien à faire, j’étais tout seul et je restais en bas de chez moi, ça me saoulait. Puis, je suis allé à l’école Louis Aragon. J’ai commencé à avoir des potes. On sortait, on jouait : foot, police-voleur (les policiers coursent les voleurs, quand ils en attrapent un, ils le fument), chasse à l’homme (deux équipes : les chasseurs et les hommes, dès qu’on les attrape, BAM ! Ça tape). C’étaient des jeux violents, mais j’aimais bien ça. Même quand on se faisait taper, c’était marrant. C’était pas pour de vrai. J’aimais bien cette vie.
C’est soit « porte tes couilles » soit tu cours
Mais j’ai grandi. C’est plus la même chose quand t’habites à la 6T (cité) et que t’es grand. C’est une autre vie. Les inconvénients arrivent. Les keufs qui contrôlent pour rien. Il suffit d’être à Shweit… C’est une grande ligne au milieu de la 6T, il y a tout le monde qui se pose là-bas. Les flics y débarquent toujours. Ils nous contrôlent tout le temps quand ils galèrent. Après il y en a qui se mettent dans l’argent sale. Trafic de stup. Ils font de tout : weed, shit, coc’, etc.
Puis, t’as les embrouilles. Ça m’est même arrivé de me faire mêler par des gens d’autres quartiers. Je suis revenu avec les mecs de ma 6T, et on leur a fait la fête. Les embrouilles de 6T quand tu grandis, c’est la guerre. Ils prennent des battes de baseball, du mortier, des extincteurs, des matraques, des tasers. Ça se trouve partout. Pour les pistolets à blanc ou les pistolets à plomb, faut aller à l’armurerie, du côté de Gare de l’Est, ou à Clignancourt, ou dans le 77. C’est pas à côté, mais si t’ajoutes dix balles, on te demande pas ta carte d’identité et tu peux prendre n’importe quoi.
Les auteurs ont la vingtaine et vivent dans une banlieue parisienne. Dans le livre « Nous, la cité », ils documentent leur quotidien banal, brutal, joyeux… complexe. Chroniquant leur rapport à la police, leurs soirées dans les halls d’immeuble, leurs galères avec la justice. Des fous-rires à l’ennui, ils racontent leur territoire à travers le prisme de leurs vies. Des récits incarnés aux éditions Zones.
Après, ça part en bagarre générale. On est tous en groupe et c’est soit « tu portes tes couilles » soit tu cours. Sur le moment, tu ressens de la haine envers la cité rivale. T’as le cœur qui bat, mais t’as pas peur. Si t’as peur, tu veux faire quoi ? Dès que la police rapplique, tout le monde se met à courir.
Un lac avec une eau bleu turquoise
Il y a que l’été qu’on retrouve un peu la vie d’avant. C’est la trêve. Tout le monde revit. Tout le monde est dehors. On fait de la moto. On s’amuse. On va à Nointel-Mours. C’est le seul contact qu’on a avec la nature. C’est un lac avec une eau bleu turquoise. On part à dix – quinze. On prend des serviettes. On se baigne. C’est un peu la plage pour nous… et puis là-bas, on se fait jamais contrôler. On est excités en y allant car on y reste toute la journée. On ramène à manger : gâteaux, pizzas, boissons, grecs… C’est des bons délires. Là, on attend qu’une chose : l’été prochain. Qu’est ce que vous croyez, à la 6T, c’est pas tout le temps la guérilla !
Karim, 15 ans, lycéen, Aulnay-sous-Bois
Crédit photo // Capture d’écran du clip « 21 » de GS CLAN