Kimora A. 12/10/2022

Elles sont devenues mes sœurs d’exil

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Kimora a fui son pays pour une vie meilleure. Pendant sa traversée, elle a rencontré des femmes, sans qui elle n’aurait jamais tenu le coup.

Je suis née en Côte d’Ivoire, dans un petit village. Je suis partie parce que j’étais maltraitée par des camarades de classe. J’avais mal au pied, je boîtais et on se moquait de moi à cause de ça, même chez moi. J’étais bouleversée, j’étais fatiguée, je voulais juste partir de là.

Je n’avais pas de sous, mais j’ai décidé de quitter cet endroit malgré tout. J’ai appelé ma mère une fois partie. Elle m’a dit de revenir, mais moi je ne voulais pas. Elle a compris que je ne changerai pas d’avis. Elle m’a envoyé des sous pour les passeurs. J’ai donc entrepris mon trajet. On était beaucoup.

Une balle dans la jambe

Je suis passée par le Mali, l’Algérie et enfin la Libye. C’est là-bas que j’ai perdu ma jambe à cause d’une balle perdue. Un soir, la police est venue, les passeurs nous ont dit : « Levez-vous, levez-vous. » Ça tirait partout, il y avait des bandits, et là j’ai reçu une balle.

J’ai marché deux jours avec la balle dans ma jambe, j’étais toute seule, je me suis débrouillée. J’ai ensuite perdu connaissance, je me suis réveillée à l’hôpital. Après l’amputation, j’ai dû rester un mois et apprendre à marcher avec des béquilles. J’ai alors appelé mon passeur, qui m’a dit que, si je restais là-bas, ils allaient sûrement me renvoyer au pays. Donc, une fois la nuit tombée, il est venu me chercher. Je voulais absolument quitter la Libye.

Des aides précieuses

Sur mon chemin, j’ai rencontré des filles qui venaient aussi de Côte d’Ivoire. Elles sont devenues mes amies. On était toutes solidaires, elles m’ont aidée pendant le voyage. Il y avait des fois où on devait marcher toute la nuit dans le désert. Même quand j’étais fatiguée, elles me disaient « lève-toi, ça va aller » et elles restaient avec moi. Nous sommes arrivées dans un campo, c’est une grande salle avec des matelas partout, tu mets juste un drap dessus et tu te couches.

Une fois au campo, on est restées enfermées pendant longtemps. Les passeurs ne nous laissaient pas sortir, on voyait la lumière du jour par la fenêtre. Pendant toutes ces journées, avec mes copines, on restait couchées. Je refusais d’être seule, être avec elles m’empêchaient de penser ou de pleurer.

Ce qui me dérangeait beaucoup, c’était la douche qui n’était pas propre. On ne se lavait jamais seules, toujours à cinq ou six filles en même temps dans la même douche. Ça m’a vraiment aidée d’avoir mes amies avec moi : je ne pouvais pas faire grand-chose seule à cause de ma jambe, comme prendre de l’eau dans le seau pour la douche. Elles m’aidaient toujours.

Les Libyens du campo, eux, étaient vraiment méchants. Ils nous criaient dessus, nous frappaient. Ils étaient tous pareil, il n’y en avait pas un de gentil. Par exemple, quand tu leur donnais de l’argent pour qu’ils t’achètent de la nourriture, ils revenaient sans rien mais gardaient l’argent, bien sûr. Ou alors, ils ne ramenaient jamais ce que tu avais demandé.

Une amitié à toutes épreuves

Les passeurs ne voulaient pas qu’on soit amies, ils voulaient qu’on soit seules et silencieuses. Mais on est quand même restées ensemble. Parfois, avec l’une de mes amies, on restait sous le drap toute la journée et on chuchotait en dessous, on riait sans faire de bruit, elle était trop forte pour ça, elle !

On ne pouvait pas parler comme on voulait. Si tu voulais parler, il fallait parler doucement pour ne pas que les gens de dehors nous entendent. On était près d’une route, donc il ne fallait pas faire de bruit, parce que si on nous attrape en Libye, c’est la prison. Je suis restée un mois au campo.

Depuis qu’il vit en France, Touramakan garde le contact avec ses amis et s’occupe de sa famille à travers WhatsApp.

Miniature de l'article : "Mes amis veillent sur moi depuis la Côte d'Ivoire".

J’ai ensuite traversé la Méditerranée sur un petit canot avec mes copines. Lors de la traversée, au moins, personne n’est tombé malade, tout le monde est arrivé en vie. On a été secourus par un bateau. Les majeurs devaient aller d’un côté et les mineurs de l’autre. J’étais la seule mineure. Avec mes amies, on a été séparées. On s’est dit au revoir dans le bateau de sauvetage, on s’est serrées dans les bras. Plus tard, j’ai réussi à avoir des nouvelles de certaines sur WhatsApp, je suis contente de ça. Aujourd’hui encore, on s’appelle, on papote. Elles seront mes amies à vie.

Kimora, 16 ans, en formation, Paris

Crédit photo Hans Lucas // © Mehdi Chebil – Des femmes migrantes dans la queue pour la distribution alimentaire après l’incendie qui a détruit le camp de réfugié·es de Moria sur l’île de Lesbos en Grèce. 13 septembre 2020.

 

 

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