Marwa J. 21/03/2022

Saoulée par le dress code de mon quartier

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Dans son quartier, d'après Marwa, la liberté vestimentaire n’existe pas. Elle rêve de Paris : être dans une grande ville, anonyme, et explorer son style.

Porter des jupes. Plusieurs bagues. Se maquiller à l’américaine avec du contouring, du rouge à lèvres mat. Avoir la peau bronzée. Mettre des couleurs tape-à-l’œil. Porter de vraies chaussures et pas des Nike… Bref, m’habiller librement, j’en rêve. Mais étant une fille de quartier je ne peux pas. Car les « codes du quartier » m’en empêchent. Chez moi, ça veut dire s’habiller « comme une fille bien », de manière respectable.

La fille bien, elle ne doit pas attirer l’œil. Elle n’a pas le droit à la fantaisie dans ses habits, ne doit pas se démarquer des autres. Sauf que moi, j’ai pas envie de leur ressembler, à toutes ces filles biens qui, pour la plupart, sont forcées par leurs parents de s’habiller « convenablement ». Ce sont des copies conformes, partout dans le quartier. Je me rappelle qu’à une période, toutes les filles avaient la même chemise rose de chez Zara. C’était ridicule. Dans la classe, on pouvait en trouver au moins trois comme ça, avec les mêmes vêtements.

Fille de quartier, le jugement des mères

Pourtant, les filles de mon quartier n’ont pas le choix : il faut suivre ces règles afin de ne jamais se sentir jugées ou en danger. Jugées d’abord par les mamans. Ce sont celles qui discutent devant les écoles primaires et qui te scrutent du regard comme si elles lisaient ton âme, dans le but d’avoir des potins à raconter à leurs amies.

Plus tu t’approches d’elles, et plus tu sens l’atmosphère se tendre. Dès que tu passes à côté, un silence s’installe jusqu’à ce que tu finisses par les dépasser. Là, elles reprennent leurs discussions. Soit sur leurs sujets habituels, soit sur la manière dont tu t’es habillée aujourd’hui. Elles n’oublient d’ailleurs jamais de mentionner le nom de ta mère pour te faire comprendre qu’elles la connaissent et qu’elles pourraient aller lui parler. Qu’elles pourraient aller dire : « Ta fille n’a pas honte de vouloir se faire remarquer ? » Quand elles me voient, je les entends parfois dire « la fille de Fatima ».

Avec les garçons, ça passe ou ça casse

Le danger, il vient aussi des groupes de jeunes hommes de 18-19 ans, voire plus, qui se posent dans le stade en bas de chez moi. Ou à n’importe quel endroit où ils n’ont pas le droit d’être. Avec eux, ça passe ou ça casse. Ils peuvent venir t’aborder, comme t’agresser ou encore t’ignorer. En général, je les évite toujours, peu importe la longueur du détour que je dois faire. Je suis obligée si je veux survivre.

Une fois, je n’ai pas pu m’échapper. Je rentrais des cours et ils étaient devant la porte de mon bâtiment. J’ai commencé à prier dans ma tête pour qu’il ne m’arrive rien. Je baissais les yeux. Prenais un air froid. Ne souriais pas car il ne faut jamais leur sourire, ce serait une grande erreur. Je m’apprêtais à ouvrir la porte et l’un d’eux m’a arrêtée pour me demander mon Snap tout en faisant rire ses copains.

J’avais très peur et je voulais m’enfuir le plus vite possible. Je n’ai rien laissé transparaître car ça leur aurait donné trop de pouvoir. Je m’apprêtais à répondre une chose dans le genre « je rentre à la maison, je reviens du collège­ » en insistant sur le fait que j’étais une collégienne pour qu’ils me lâchent la grappe. Mais mon père est miraculeusement arrivé. Il leur a très calmement dit que s’ils ne déguerpissaient pas tout de suite, ils auraient des problèmes. Ils ont pris peur et sont partis en nous insultant.

Paris, un autre monde à portée de RER

Depuis ma banlieue, je rêve de Paris. De vivre comme une Parisienne. Dans une ville animée, pleine de mode, et de découvrir des endroits plus incroyables les uns que les autres. On ne doit pas s’ennuyer dans une ville pareille. Il y a beaucoup de magasins de luxe, de friperies, d’écoles de mode et tout ce qui est lié de près ou de loin à l’art de se vêtir.

Moquée parce qu’elle n’avait pas de vêtements de marque, Karina a découvert les friperies. Ça lui a permis d’affirmer son propre style.

L'image reflète l'intérieur d'une fripe. La problématique qui se dégage est celle du style vestimentaire..

À Paris, je ne serais plus celle qui sort du lot. Je me fondrais dans la masse si je vivais là-bas. Les tenues parisiennes les plus originales (pour les gens de chez moi) sont très banales dans la capitale de la mode. Je l’ai constaté la dernière fois que j’y suis allée. Je voyais bien que les filles de mon âge s’habillaient différemment. Plus librement que moi. Et les garçons… ils portaient des jeans. Des jeans ! Croyez-le ou non mais, chez moi, ils ne portent que des joggings.

C’est grand Paris. Ce qui veut dire que personne ne peut te reconnaître, sauf exception. Finies les mamans qui connaissent tes parents et vont leur rapporter tous tes faits et gestes. Finis les groupes de jeunes qui t’agressent dans la rue, du moins dans certaines parties de la ville. Je sais bien qu’une femme n’est en sécurité nulle part, peu importe la manière dont elle s’habille. Mais la différence, c’est qu’en banlieue, le groupe de jeunes en bas de chez toi est là tous les jours. Je sais très bien que si je veux évoluer, je vais devoir tout quitter et me détacher de ce quartier qui me retient. Et de ces codes qui m’étouffent.

Marwa, 14 ans, collégienne, Bondy

Crédit photo Pexels // CC cottonbro

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