Je fais aujourd’hui le métier de mes rêves
Mes souvenirs de scolarité font maintenant sourire dans ma famille, celle-ci ne laissait pourtant rien présager de brillant pour mon avenir. Quand je repense au primaire, je me rappelle principalement des maitres et maitresses désabusés par mes grandes difficultés de concentration et des résultats plus que moyens.
Après le stade de «désabusés», les professeurs du collège ont commencé à perdre patience et à se dire que quelque chose ne tournait pas rond. Un élève avec des résultats très moyens peut être toléré, mais si il commence à semer le désordre, il faut faire quelque chose. En cinquième et quatrième, je passais la grande majorité des mes samedis matins dans une salle de classe à purger mes heures de colle récoltées la semaine précédente.
À l’époque, ma mère m’avait appris un mot : monomaniaque. C’est ce que j’étais à propos de la Formule 1. Je ne pouvais rater aucune course et rêvais de travailler un jour sur ces voitures uniques. Avoir une passion est une chance, mais j’étais incapable de m’investir dans quelque chose qui n’y était pas lié, de près ou de loin. Et malheureusement, le programme d’histoire de quatrième ne parlait pas du sacre d’Alonso en 2005 !
Trouver un établissement, un vrai challenge
Étant douloureusement arrivé jusqu’en seconde avec un brevet en poche et sans passer par la case redoublement, j’ai dû faire face à une évidence : mon dossier était trop faible pour obtenir le passage en première S. J’avais le choix entre le redoublement ou une filière technologique. Cela a été vite fait : pourquoi refaire un an de seconde, quand je peux étudier la mécanique et l’électronique en préparant un bac technologique STI [actuel STI2D] ? Ce choix semblait évident du point de vue de l’élève que j’étais. Mais parents et professeurs considèrent qu’il est nécessaire d’obtenir un bac général pour réussir en France. Absurde.
Grâce à mon entourage, faire ce choix n’a pourtant pas été la partie la plus difficile. Trouver un établissement qui allait m’accepter a été le vrai challenge et j’ai enchaîné les entretiens avec les principaux jusqu’à quelques semaines avant la rentrée de première.
J’ai heureusement été accepté au Lycée Richelieu à Rueil-Malmaison (92) et me suis rendu compte que le choix du technologique aurait dû être le premier sur ma liste, bien avant S. J’ai inconsciemment cessé de m’asseoir au dernier rang de la classe et suis passé au premier. J’ai arrêté d’essayer de faire rire mes camarades et ai commencé à poser des questions aux professeurs. Deux ans plus tard, je me retrouvais accepté en prépa TSI [Technologies et Sciences de l’Ingénieur, réservée aux bacs techno], avec un bac mention très bien en poche. Sans une seule heure de colle.
Motivé par mon rêve de Formule 1, j’ai tout donné pendant deux ans de prépa et ai été admis à Centrale Paris. J’ai décidé de rejoindre Centrale Lyon pour son écurie de Formula Student et son lien plus étroit avec l’industrie automobile et la mécanique.
Malgré ce que l’on entend souvent, les trois ans d’écoles n’ont pas été de tout repos. Ils le sont peut-être quand on vient des classes préparatoires des lycées Ginette ou Henri IV, mais pas quand on a fait TSI à Rueil-Malmaison. Sur une promotion de 400 élèves, nous étions cinq à provenir de TSI et seulement trois à être diplômés.
On essaye de se convaincre qu’on comprend
Avec du recul, je ne pense pas que le rythme de classe préparatoire technologique soit moins élevé qu’en filière classique, mais il faut admettre que l’on part de plus loin. Lorsque je faisais mes TP d’automatique ou de productique en STI, les terminales S étudiaient déjà les lois à densité et les niveaux de confiance. Il était impossible de rattraper ce retard par rapport aux meilleurs élèves de France en deux ans. Mais heureusement, des places sont réservées aux filières technologiques. Deux à Polytechnique et dix à Centrale Paris en 2011, lorsque j’ai passé les concours.
Une fois l’école intégrée, il ne fallait surtout pas baisser les bras. Le plus difficile était les mathématiques. J’avais l’impression d’être dans un cours d’Italien LV1 après avoir fait dix ans d’espagnol : on essaye de se convaincre qu’on comprend, mais en fait, on est complètement perdu. Le premier semestre a été un choc et je me souviens avoir minoré la promo avec un 1.5/20 en probabilités et statistiques. Je n’avais jamais étudié ni l’un ni l’autre au lycée ou en prépa, contrairement à tous mes camarades.
Après deux ans au sein de l’école, le jury a décidé de se séparer de moi car mes résultats étaient trop faibles. Il faut avouer que je préférais passer du temps à travailler sur ma propre voiture de Formula Student plutôt qu’à réviser les partiels. J’ai réussi à les convaincre que j’y méritais ma place et ai obtenu gain de cause et le droit à un redoublement pour valider mes matières manquantes.
Paul aussi a eu un parcours très atypique, et une série de succès à la clé. Décrocheur scolaire hier, diplômé d’un double diplôme international aujourd’hui : sur les bancs de l’école, il y est retourné quand il a pu étudier ce qui lui plaisait.
En parallèle de ma dernière année, j’ai suivi un master de mécanique structurelle avec l’université Lyon 1. J’ai effectué mon stage de fin d’études dans une écurie de Formule Renault à Toulouse ; puis j’ai gagné la finale européenne de l’INFINITI Engineering Academy qui m’a ouvert les portes de l’écurie Renault Sport Formula One Team. Au terme de ce programme d’un an en Angleterre, je suis parvenu à obtenir un CDI au sein de l’écurie où je travaille maintenant sur les systèmes d’hybridation du moteur de Formule 1 à Paris.
Le système scolaire français dispose d’énormément de combinaisons et possibilités pour essayer de répondre au mieux aux besoins et intérêts de chacun. Malheureusement, la tendance c’est de former le plus possible les élèves et étudiants à rentrer dans le moule perçu comme étant celui du succès. Dans mon cas, c’était le bac technologique plutôt que général et Centrale Lyon plutôt que Centrale Paris. Ces deux choix allaient à l’encontre de l’idée « d’excellence académique » que la méritocratie latente des études supérieures scientifiques s’accroche à promouvoir. Pourtant, ils m’ont permis d’arriver où je suis aujourd’hui et montre qu’il n’y a aucun meilleur choix que le sien.
Damien, 25 ans, salarié, Paris
Crédit photo © Infiniti Engineering Academy