Roxane K. 11/02/2022

L’école en France, mon ticket vers l’indépendance

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À 13 ans, Roxane a quitté la Côte d’Ivoire pour venir à l’école en France et avoir de meilleures opportunités. Aujourd’hui, pour y arriver et rendre ses parents fiers, elle n’a pas le droit à l’erreur.

J’avais 13 ans et ma sœur 9 quand nous avons pris l’avion dans notre beau pays d’origine, la Côte d’Ivoire, à l’aéroport Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan. C’était un vol de la compagnie aérienne Air France pour Paris, celui de 22 h 30. Nos parents avaient décidé de nous envoyer vivre en France pour qu’on fasse de longues études. Ce jour-là, je ne me rendais pas vraiment compte de combien ma vie allait changer. J’ignorais tout de la France, je savais seulement que j’allais vivre avec ma sœur, ma tante et ses filles.

J’avais des sentiments partagés. Ma nouvelle vie m’attendait, loin de chez moi, loin de tout ce que j’avais construit. Je me sentais si mal et en même temps joyeuse de retrouver mes cousines que je n’avais pas vues depuis longtemps, et de découvrir le fonctionnement de ce pays. Tout était nouveau pour nous, à commencer par le climat. Chez nous, il faisait chaud toute l’année et, vers juillet–août, il pleuvait. En France, il y a des saisons tous les trois mois, et il fait très froid l’hiver, avec de la neige. Les plats, la culture, le niveau scolaire… On reprenait de zéro.

L’éducation en Côte d’Ivoire est liée à la situation financière

Je savais bien, avant de venir en France, que c’était une opportunité offerte par mes parents sur un plateau d’argent : peu de personnes et de jeunes dans mon pays ont la chance de pouvoir se déplacer à l’extérieur de la Côte d’Ivoire. Tout le monde n’a pas les mêmes moyens. Le manque d’argent est très fréquent. Si tu n’en as pas, tu peux être quelqu’un dans la société, mais tu ne seras jamais aussi considéré que quelqu’un qui en a. C’est dommage, mais c’est comme ça. Ton destin est lié à ta situation financière.

En Côte d’Ivoire, il y a des taux de chômage et de pauvreté élevés. Le taux de réussite scolaire dépend des villes. Généralement, le niveau est meilleur dans les milieux riches car les parents font plus de suivi. En milieu pauvre ou moyen, ils ont tendance à relâcher leur garde. Ils manquent de moyens pour payer un prof de maison et ne font pas attention au travail scolaire de leurs enfants, qui sont livrés à eux-mêmes.

Il y a des enfants comme moi dont les parents sont très présents, notamment ma mère. Chaque trimestre, elle prenait rendez-vous avec mes profs pour suivre ma conduite en classe et mon niveau scolaire. Pour elle, l’éducation vient de la maison et se poursuit en classe. En plus, j’avais des professeurs particuliers afin de vraiment assurer ma réussite scolaire.

Trois ans déjà sans mes parents

Aujourd’hui, le choix de mes parents de nous envoyer vivre en France nous a éloignés pendant trois ans. On ne s’est pas encore revus. Cependant, grâce à eux et aux choix qu’ils ont fait pour moi et ma sœur, on a grandi en maturité. On a appris à prendre conscience des choses assez vite. On a compris que ce ne serait pas facile pour nous de s’intégrer et qu’il fallait travailler dur. C’est notre objectif premier, pour nous-mêmes et pour rendre nos parents fiers de nous, parce qu’ils nous ont donné une opportunité qu’eux, étant petits, n’ont pas eu.

Penser à ma famille me permet d’être forte et de refuser l’échec, la défaite et les mauvaises notes. On n’a pas tous un but à défendre. Moi, mon but, c’est sortir ma famille de la pauvreté en devenant quelqu’un. Ma famille a un niveau de vie plutôt instable, donc je voudrais gagner beaucoup d’argent pour les aider à subvenir à leurs besoins, afin que mes parents puissent se reposer.

Je ne me suis jamais permise de rater un cours

Je veux et je vais devenir indépendante. Car vouloir, c’est pouvoir, pour moi. Le seul moyen d’y parvenir, c’est d’exceller à l’école, à tout prix. Alors, chaque jour, je fais des choix pour mon futur et mes parents, comme me lever chaque matin, peu importe la fatigue. Rater un cours dans la journée à l’école n’est pas une excuse. C’est un crime grave et je ne peux pas me le permettre. Quel que soit l’état dans lequel je me trouve, je dois supporter. Je suis une élève décidée, assidue, ponctuelle et souriante.

Le fait que je sois venue en France me permet d’avoir plus d’opportunités scolaires, de filières, de métiers biens qui pourraient faire de moi quelqu’un d’influent demain dans la société. Et me faire éviter d’entendre à la porte des entreprises : « Il n’y a pas de travail pour vous, votre dossier est insuffisant, pas assez complet. » C’est la peur de ma vie. Je sais que partout dans ce monde, en France, en Côte d’Ivoire et ailleurs, il y a des gens dans cette situation. Mais le fait que j’ai étudié à l’étranger (avec de très bonnes appréciations de mes professeurs) ajoute un caractère plus performant à mon parcours scolaire et une particularité sur mon dossier.

« Ton premier mari c’est les études »

J’ai eu la chance d’avoir reçu, à l’école primaire et secondaire, des conseils de mes parents et de mes maîtres. Ils me disaient : « Avant c’était dur, j’ai dû me battre, je n’avais rien, mes parents arrivaient à peine à payer mes fournitures scolaires. » De là d’où je viens, la base c’est : à n’importe quelle heure, assise en bas des lampadaires avec un tabouret juste pour la lumière afin de bosser mes cours et sortir de cette pauvreté, mais aujourd’hui j’ai réussi.

Haby a choisi de venir étudier en France pour retourner travailler un jour au Sénégal, son pays natal. À 18 ans, elle rencontre quelques difficultés, mais ne perd pas sa motivation.

Une jeune diplômée est accoudée à un balcon et regarde à gauche, vers l'horizon.

« Pour dire que tout tient qu’à toi et toi seule, et ton premier mari c’est les études et rien d’autre. L’acharnement récompense les efforts quand tu es conscient de ta situation et que tu as un but précis. » Ils avaient tous le même discours, je ressentais leur vécu et j’étais éblouie, passionnée, admirative de leur expérience personnelle. Pour moi, ce sont des modèles purs.

Je ne sais ni comment sera l’avenir ni où je vivrai. La Côte d’Ivoire c’est là d’où je viens, et la France c’est le pays qui m’a le plus apporté. Pour l’instant, je suis en France et ça se passe bien. Je travaille. J’ai des bonnes notes. Si je dois faire un choix, ce sera au moment venu, mais ce que je sais, c’est que je vais réussir ma vie. La plus belle des victoires, ce serait de réussir mes projets d’enfance, et de donner à mon tour à mes enfants toutes les richesses que mes parents m’ont apportées.

Roxane, 16 ans, lycéenne, Nanterre

Crédit photo Pexels // CC Mary-taylor

 

Les élèves issu·e·s de l’immigration

Ils et elles ont moins de chance de « réussir »

En Europe, environ la moitié des élèves né·e·s à l’étranger n’arrivent pas à atteindre le niveau de compétences fixé par l’école à la fin de l’année, contre 28 % pour les autres enfants.

Ils et elles ne sont pas moins motivé·e·s

Pourtant, ces élèves sont plus motivé·e·s que les autres à l’école, et sont plus nombreux·se à vouloir faire des études. L’écart de niveau n’est donc pas une question de volonté.

L’inégalité sociale favorise l’inégalité scolaire

Le fait de ne pas maîtriser complètement la langue du pays freine évidemment certain·e·s élèves. Le principal problème, c’est surtout que ces enfants ont plus de risques de vivre dans des conditions précaires, ce qui impacte forcément leur scolarité.

 

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