Salife C. 04/03/2022

L’inégalité des chances, je vais l’éclater

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Salife a grandi en Seine-Saint-Denis : il sait qu’il n’a pas eu les mêmes opportunités que d'autres né·e·s ailleurs. L’égalité des chances ? Il n’y croit plus.

J’ai vraiment commencé à avoir des difficultés scolaires au décès de mon père ; déjà que je n’étais pas intéressé par l’école. C’est à ce moment-là que j’ai relâché mes efforts pour faire le con. Je n’avais pas conscience que je jouais directement avec mon avenir.

En plus du manque de mon père, on avait plein de galères d’argent. Ma mère a dû tout faire pour que ma sœur, mes deux frères et moi grandissions normalement, pour pas qu’on « dérive » du chemin qu’elle souhaitait pour nous. Elle devait aussi fournir plus d’efforts parce que l’un de mes frères est atteint d’autisme sévère. Lui aussi a été énormément atteint par l’accident. Très jeune, j’ai donc dû me comporter comme un adulte vis-à-vis des choses qu’on devait régler à la maison.

On n’a pas tous le même départ

Par exemple, j’ai eu un accident. Une moto m’a cartonné, une dent s’est pétée et les quatre de devant se sont déplacées. J’ai dû aller chercher moi-même un dentiste pour avoir un appareil dentaire. À 13 ans, c’est chiant de devoir chercher partout des informations pour savoir comment faire.

Je pense que toutes ces situations ont entravé mon apprentissage. Je n’avais plus de figure paternelle, et ma mère a dû tout gérer et nous éduquer de façon à ce qu’on se débrouille seuls. Puis, elle ne gagnait pas beaucoup d’argent et d’autres personnes ont tous les outils, tout l’environnement et tout l’entourage qui peuvent leur donner l’envie d’étudier. Je dis qu’on n’a pas tous le même départ, surtout quand à côté de nous, d’autres personnes avec les mêmes histoires décident de faire de l’argent facile pour « aider » ou pour se mettre « bien ».

Une école à double vitesse

Au départ, tout va bien, mais juste le fait d’être dans une école banale en Seine-Saint-Denis avec toutes les péripéties (embrouilles, vols, agressions, problèmes, drogue, la police beaucoup trop présente, et tous les petits problèmes) fait qu’on aura de plus grandes chances de faire autre chose que de travailler. Abandonner l’école pour faire de l’argent facile ou, tout simplement, arrêter les études tôt pour travailler et aider à la maison.

Durant ma scolarité, j’ai été confronté à des profs absents très peu remplacés, ce qui fait qu’on prenait beaucoup de retard par rapport au programme de l’année. Le manque de matériel qui impactait ma productivité, ou tout simplement le fait qu’on ne pouvait apprendre dans de bonnes conditions… Un jour, ce sont des gens qui s’infiltrent dans le lycée pour tabasser un élève, du coup, bah on regarde. Une autre fois, c’est l’alarme incendie qui sonne et on perd trop de temps pour reprendre le cours. Quand ce n’est pas le prof qui disparaît, c’est un blocus sorti de nulle part ou des gens qui s’embrouillent. Plein de petits problèmes quotidiens qui font surface régulièrement et qui m’ont empêché d’apprendre.

Dans les classes, la priorité n’est pas d’étudier mais de vite passer le cours. Parce que le prof nous lit des polycopiés, les gens s’embrouillent, embêtent les autres ou bavardent. Je ne vais pas mentir : je bavardais beaucoup pour vite passer le cours.

Mon déclic : un cours de français

Lors d’un cours de français, ma prof a pris l’initiative de nous expliquer pourquoi le français était compliqué. J’ai alors compris que ce n’était pas que moi qui avait du mal. Ça m’a rassuré parce qu’encore aujourd’hui, j’ai du mal avec l’orthographe. Par la suite, grâce au cours d’histoire-géographie de mon prof en seconde et première, j’ai commencé à aimer les débats sans m’en rendre compte. C’est quand on m’a dit que je « parlais bien », alors que pour moi c’était normal, que j’ai pris conscience que j’aimais vraiment les débats.

C’est aussi à ce moment-là que j’ai compris comment il fallait faire pour être bon dans un domaine. Il fallait faire exactement comme dans un jeu vidéo. C’est-à-dire le découvrir, apprendre à l’aimer, persévérer quand on perd, établir des plans, réussir. Et surtout, prendre du plaisir à apprendre.

Cette inégalité des chances, je m’en suis rendu compte au lycée. J’ai alors décidé de viser le top même si je peux emprunter d’autres chemins beaucoup plus « sûrs ». Ce que j’appelle les « chemins sûrs » sont toutes les voies menant à un métier où l’on est certain qu’on va avoir un travail. Parce que la demande dans ce secteur est énorme, mais je ne veux pas me contenter de ça. Les chemins moins « sûrs », c’est par exemple la voie de l’entrepreneuriat. Autrement dit, je vise la lune pour tomber sur les étoiles.

La détermination : une arme indispensable

Malgré ces conditions, je sais qu’en travaillant deux fois plus que ceux qui ont plus de chances, je peux les devancer. Ces situations ne sont peut-être pas justes, mais ça permet de grandir et d’être déterminé jusqu’au bout. Malheureusement, je suis persuadé que si j’avais eu de meilleures conditions d’apprentissage, j’aurais atteint mes objectifs immédiatement tout en fournissant les mêmes efforts.

Jézabel, qui a tout pour réussir, est très consciente de ses privilèges. Elle a peur de ne pas être à sa place : « À côté de mon amie, j’ai eu l’impression d’être prise par chance. La seule explication que je trouvais à mes meilleurs résultats, c’était nos origines sociales différentes. »

Capture d'écran de la miniature de l'article "Privilégiée, j'ai peur de reproduire les injustices sociales". Une jeune femme, bien habillée et à l'apparence bourgeoise, marche en direction d'un grand bâtiment.

Ma mère, mes amis, et les profs qui aimaient vraiment aider, ont tout fait pour que je tienne bon. Je dois dire que toutes ces personnes ont changé ma vie et ont participé, quelque part, à m’éduquer.

Concernant mon projet professionnel, je souhaite travailler dans le domaine de l’informatique. L’avenir me semble clair, mais je reste vigilant car on ne sait jamais quand un imprévu peut survenir ! Scolairement, j’ai réussi à rattraper énormément de choses. Grâce aux profs qui m’ont boosté moralement et aussi grâce à ma détermination. La seule chose que je dois faire, et c’est primordial, c’est améliorer mon orthographe !

Salife, 20 ans, volontaire en service civique, Saint-Denis

Crédit photo Pexels // © Katerina Holmes

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