Emilie B. 31/03/2025

« Enfant contre-nature ! »

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Issue d'une fécondation in vitro, Emilie a trois parents. En grandissant, elle découvre que son modèle familial est loin d'être accepté de tous.

Je vis le week-end avec mes pères et la semaine avec ma mère. Mes parents se sont rencontré·es grâce à des amis communs. Ma mère était ménopausée précoce et célibataire, et mes pères, qui sont homosexuels, voulaient des enfants. Alors un jour, lors d’un dîner au restaurant, ils ont parlé de comment ils s’organiseraient, pourquoi ils voulaient des enfants, où l’opération se passerait… 

Je suis née grâce à la fécondation in vitro. Jusqu’en 2021, ce mode de procréation n’était autorisé en France que pour les couples hétérosexuels mariés ou vivant en couple, ce qui n’est pas le cas de mes parents. Ils sont donc allé·es en Espagne. Neuf mois plus tard, je suis née en France.

Avec mes pères, j’ai toujours habité au même endroit, alors qu’avec ma mère j’ai déménagé de nombreuses fois. Nous nous rapprochions de plus en plus de l’appartement de mes pères. Nous avons fini par habiter dans le même immeuble qu’eux, à un étage différent, puis au même étage. Actuellement, un simple palier nous sépare. 

Insultes

À 6 ans, j’ai fait ma première Gay Pride. Quand je l’ai annoncé, toute contente, à mes ami·es, j’étais bien étonnée de voir que personne ne savait ce que c’était. 

Tous les ami·es à qui j’expliquais ma vie me demandaient : « Mais alors c’est qui ta maman ? » Je répondais toujours que c’était la personne avec qui je vivais la semaine, même si ce n’est pas son ovule qui a servi à la procréation. Un jour, une « amie » m’a signalé haut et fort qu’elle n’était pas d’accord avec moi : « Mais non c’est pas ta mère, c’est juste une personne qui t’élève. » Cela peut paraître insignifiant, mais la petite fille de 7 ans et demi que j’étais avait été très traumatisée. J’avais confronté ma mère le soir même, en pleurs.

En grandissant, les remarques sur le fait que ma mère n’était pas réellement ma génitrice se sont tues. Mais j’ai pris conscience très rapidement d’une autre différence : mes pères… 

Petite, j’étais la seule à faire deux cadeaux pour la fête des pères. Je me souviens ne pas avoir compris pourquoi la professeure était assez mal à l’aise lorsque je demandais plusieurs papiers pour faire des mots. Au collège, les remarques se sont intensifiées. Je me suis alors rendu compte que les « tapettes » et les « pédés » étaient mes pères. J’étais une des rares à ne pas ricaner bêtement lorsque le professeur nous parlait des homo sapiens. 

« Vous ne méritez pas d’exister »

Une critique m’a marquée à tout jamais. Depuis toute petite, je fais de nombreuses activités, notamment dans un centre d’activités catholique. De mes 5 ans à mes 8 ans, je me vantais d’avoir plusieurs pères et j’expliquais ma situation à qui voulait l’entendre. Jusqu’au jour où une dame assez âgée s’est rapidement approchée de moi. Elle tenait fermement une de mes camarades en lui demandant : « C’est elle ? Tu es sûre que c’est elle ? » 

Ma pauvre amie ne semblait pas comprendre la situation. Je ne me souviens plus bien du long monologue que cette dame m’a fait, juste des bribes. « Vous devriez avoir honte… Vous ne méritez pas d’exister… Vous êtes une enfant contre-nature… Comment pouvez-vous être fière de cela ? » 

Cela m’a tellement traumatisée. Pour être tout à fait franche, je ne sais plus si ce qui s’est passé est la réalité ou un cauchemar. Ma famille est particulière. Ce n’est pas toujours au mieux mais je l’apprécie souvent comme elle est. Je sais que je ne pourrais pas vivre au sein d’une famille « banale ». 

Emilie, 16 ans, collégienne, Île-de-France

Crédit photo Hans Lucas // © Raphaël Kessler – Une enfant à la marche des fiertés. À Paris, le 29 juin 2019.

 

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« Mon père, une mère presque comme les autres », par Myrtille, 14 ans. Elle a perdu sa mère très jeune et a été élevée par son père. Elle a éprouvé à quel point l’absence d’une mère dans la vie de ses enfants est un impensé. Un impensé qui s’est souvent invité dans le quotidien de son père veuf.

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