Khouloud K. 17/09/2021

« Le social ? Ce n’est pas un travail ! »

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Travailler dans le social, ne pas faire de master, des choix que sa famille n'a pas compris. Khouloud s'est battue pour ce qui lui plaisait.

« T’es sûre que c’est le bon choix ? » Je n’ai pas compté les fois où on m’a posé cette question. Mais je me suis toujours demandé qui répond « oui » à ça. C’est quoi « le bon choix » ? Celui que tout le monde a fait aussi ? Ou peut-être celui qui rendra fier tout le monde, exceptée la personne qui le fait ? Une chose est sûre, si faire le bon choix ça ressemble à ça, alors je n’en veux pas. J’ai 22 ans, je suis étudiante et j’ai fait le choix d’orienter mes études vers le social. Jamais je n’aurais pensé qu’elles feraient l’objet de débats sans fin et, qu’au sein de ma famille, elles deviendraient un sujet sensible.

Depuis mon enfance, je veux me rendre utile, et c’est dans mon projet professionnel que j’ai eu envie de le concrétiser. Certains disaient que c’était honorable, mais c’était souvent tout autre chose que j’entendais. « Tu gagneras quoi ? Le SMIC ? » ; « C’est pas un travail ça en vrai, n’importe qui peut le faire » ; « Ah oui, en gros c’est le truc là où tu te déguises pour faire rire les enfants ? » ; « T’as bien réfléchi ? De toute façon, tu pourras changer si t’aimes pas » ; « C’est dommage, t’as des bonnes notes pourtant » ; « Prends exemple sur N., elle a galéré mais aujourd’hui elle gagne très bien sa vie. »

Challenge : ne rien lâcher

Toutes ces paroles, je les ai entendues de ma famille, de leurs amis et de connaissances. À les entendre, tout était bon à faire, sauf ce que moi, je voulais faire. Je ne comprenais pas. J’étais contente de me lever tous les matins pour aller en cours. Peut-être que c’était ça qui dérangeait ? Pour mes parents, voir réussir leurs enfants autant, voire plus qu’eux, est un objectif. Et apparemment il fallait faire de longues études et avoir un salaire élevé pour réussir sa vie, ce sont les métiers avec ces critères qu’on me conseillait sans cesse.

Deux ans… C’était la durée de mon diplôme DUT carrières sociales, et donc celle de mon challenge : ne rien lâcher, quand bien même le monde entier tenterait de m’en empêcher.

Un plan B pour le reste de l’année

C’était compliqué de devoir systématiquement expliquer ce que je faisais de mes journées. Les études, c’était LE sujet qu’il fallait éviter. Je me retrouvais dans de longues discussions pleines de remarques maladroites ou narquoises. J’assistais constamment à l’interrogatoire de ma sœur qui, elle, faisait ses études en informatique. Elle répondait mieux aux attentes que moi : elle suivait le parcours de mon père, et l’informatique, ça paye bien. C’est sûr qu’à côté de ça, moi j’avais l’air ridicule à ses yeux. Alors, plus le temps passait, plus j’évitais d’en parler de peur de me prendre la tête.

Malgré tout, j’ai obtenu mon DUT. Après cette réussite, j’ai commencé une licence en médiation culturelle mais, quelques mois plus tard, je me suis rendu compte que je n’aimais pas du tout et j’ai décidé d’arrêter. Venant d’une formation où le corps enseignant était très présent et où nous étions super bien encadrés, la fac avec ses grands amphis blindés et ses enseignants qui ne pouvaient pas retenir nos prénoms, ce n’était vraiment pas pour moi. Avant d’arrêter définitivement, j’ai tout de même décidé de trouver un plan B pour le reste de l’année. Je suis tombée sur une mission de volontaire en service civique auprès d’un public en situation de handicap. J’ai postulé et les choses se sont enchaînées assez rapidement.

« Bac +2 c’est rien, pourquoi tu continues pas ? »

J’ai informé mon entourage de mon envie d’arrêter la fac qui, encore une fois, s’est inquiété. « Comment tu vas faire pour reprendre après ? » ; « Bac +2 c’est rien, pourquoi tu continues pas ? » ; « Finis au moins, même si t’aimes pas c’est pas grave »… Quoi que je fasse, on avait quelque chose à me dire. Je me défendais toujours en disant que si je n’aimais pas, je ne fournirais aucun effort.

Peu attirants pour les jeunes diplômé·e·s, les métiers du social ont pourtant de beaux jours devant eux ! Avec le vieillissement de la population, Le Figaro nous explique la stratégie de l’État pour dynamiser ce secteur d’avenir.

 

Peu de temps après, j’ai commencé ma mission de volontaire en service civique, et j’avais bien fait de quitter la fac. Je ne pouvais le cacher à mon entourage et, étrangement, leur ton avait changé. « C’est quoi exactement ce que tu fais ? », « C’est quoi le service civique ? Tout le monde peut le faire ? », « C’est bien, comme ça tu vois ce que c’est de travailler aussi »… On commençait à s’intéresser à moi. Ma motivation, mon implication et ma réussite ont fini par les convaincre. Il faut dire que me voir me débrouiller par moi-même et être sûre de ce que je faisais, ça a dû être rassurant.

Une crise sanitaire pour se rendre compte que les métiers du social ont leur importance

J’étais fière de moi et de montrer que ce que je faisais était utile. Sentiment qui se ressentait davantage avec le virus qui arrivait à grands pas. Travaillant avec un public fragile, je savais que, tôt ou tard, les choses allaient se bousculer. J’ai continué ma mission à distance pendant le confinement et ai été très sollicitée. Je me sentais fière car j’avais un rôle important à jouer. D’un coup, les regards sur les métiers du social ont changé. Dans mon entourage, mais surtout à plus grande échelle. « Heureusement qu’il y a des gens qui se mobilisent » ; « C’est important ce que tu fais, il faut garder le lien avec les gens » ; « Merci pour ce que vous faites. » Il a donc fallu une crise sanitaire pour se rendre compte que les métiers du social ont leur importance ?

Je ne sais pas pourquoi les remarques qu’on me faisait ont complètement changé. Mais avec un peu de recul, j’ai compris que c’est souvent le doute et la peur qui prennent la parole dans ce genre de situation. Je sais que ça aurait rassuré mon père s’il avait pu m’aider dans mes études, mais il ne connaissait pas les matières que j’étudiais. Me voir prendre un chemin qu’il ne connaissait pas du tout a été frustrant et inquiétant pour lui.

Faire des longues études assurent de moins en moins l’accès à un emploi et à un revenu confortable. Les diplômé·e·s d’un bac + 5 peinent à entrer dans le monde du travail, à l’image de Condo qui a cherché partout et trouvé… nulle part.

Cette expérience m’a poussée à m’accrocher encore plus à mes envies malgré les embûches et m’a fait réaliser que le plus important dans tout ça, c’est de s’attacher à ses propres choix. Il n’y a pas besoin de souffrir, de faire de longues études, ni d’avoir un salaire élevé pour appeler ça un travail.

 

Khouloud, 22 ans, étudiante, Montreuil

Crédit photo Hans Lucas // © Nicolas Guyonnet

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2 réactions

  1. Je suis très touchée par le témoignage de khouloud. Réussir sa vie c’est être en accord avec ses choix et les assumer. Rien que pour cette force mentale Khouloud a un bel avenir devant elle.
    C’est grâce à elle et d’autres, bien sûr, que notre société tient debout.
    Merci à toi.

  2. L’article est bien, la réorientation est importante et la fac n’est pas le parcours le plus évident, ça ne plaît pas à tout le monde. Par contre il est bon de nuancer, dans le social aussi il y a des études longues (Master, bac +5) pour être chargé de mission / projet / chef de service / responsable… Et ces métiers sont payés sur des hauteurs supérieures que les métiers de terrain (DE, BTS, DUT..) avec des postes de cadres. Aussi, les gens peuvent monter d’échelon en interne, c’est important d’y penser pour la suite. Commencer moniteur éducateur, et arriver chef de service c’est possible.

    J’ai vu des BTS à 40 étudiants alors que dans ma Licence 3 développement social nous étions 12, 3 ans plus tard en M2 les profs nous connaissent tous, par nos noms et prénoms alors qu’on est 35. La réorientation est importante mais n’oubliez pas de tenter les filières, vous pouvez avoir des surprises 😉

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