Descendante d’esclaves ?
J’ai toujours été intriguée par mes origines, mais mon envie d’en savoir plus s’est accentuée avec la mode des tests ADN il y a cinq ans. Sur YouTube, j’aimais regarder la réaction des gens quand ils découvraient d’où ils venaient. Ça amenait toujours des discussions et des questionnements familiaux. Moi, je me demandais à quels pays appartenaient mes ancêtres.
Dans ma famille, et surtout du côté de ma mère, nos origines ont toujours été un sujet de discorde. Dès que l’on en parle, c’est assez tendu. Nous sommes Guadeloupéens, mais ma grand-mère et mon oncle maternels ont du mal à accepter notre héritage d’esclaves africains. Moi, j’ai toujours trouvé cela évident. Je ne sais pas grand-chose du passé colonial de ma famille, mais je sais que l’on a hérité de l’esclavage. Car aux Antilles et dans des reportages, on parle de ce passé. Malgré tout, c’est un sujet qui reste tabou.
On sait tous que l’esclavage a multiplié les cultures avec les milliers d’importations d’esclaves. Leurs propriétaires ont beaucoup voyagé, ce qui a créé des métissages. Dans ma famille, ce métissage est très présent. La majeure partie est antillaise, mais je sais que ma grand-mère paternelle est indienne. Malheureusement, par manque d’informations et de recherches, remonter dans notre arbre généalogique n’est pas si simple.
Un discours discriminatoire
Ma grand-mère et mon oncle maternels sont persuadés d’appartenir uniquement aux Kalinagos, des populations indigènes originaires du Nord du Venezuela ayant migré vers les Caraïbes. Mon oncle, très passionné par leur histoire, se sent concerné, car il y a certaines similitudes (carrure, peau, cheveux). Il est possible que ce soit vrai, mais il est impossible d’affirmer quoi que ce soit.
Le discours aux Antilles est souvent très discriminatoire envers les Africains. Les Antillais ne veulent pas être confondus ou comparés avec eux. J’ai souvent remarqué cela dans la vie de tous les jours. Ça me donne l’impression qu’il y a une sorte de relation tendue et un sentiment de hiérarchie entre Africains et Antillais.
« Revois tes cours d’histoire »
Le dernier échange qui m’a marquée, c’était au réveillon de l’an 2023. Après le repas de fête, ma grand-mère a parlé de ses souvenirs d’enfance aux Antilles. Puis, on a commencé à aborder la question des origines de la famille.
Quand j’ai suggéré qu’il était possible qu’on soit originaires d’Afrique, ma grand-mère et mon oncle ont commencé à s’énerver. Ils m’ont dit que je devais « revoir mes cours d’histoire », « mieux apprendre en cours » ou encore, « me repentir ». Ils disaient qu’ils ne seraient jamais africains, comme s’ils en avaient honte. C’étaient des paroles qui n’avaient pas lieu d’être, blessantes et qui démontraient leur rejet d’une culture mais aussi de leurs racines.
Continuer à briser le tabou sur l’esclavage
Si aux Antilles on se renseignait plus, ou si à la télévision on parlait plus de l’esclavage, peut-être que ce serait différent. Malgré le fait qu’on a le Mémorial ACTe, un musée sur l’esclavage en Guadeloupe, en France ce n’est pas assez médiatisé, et surtout ce n’est pas suffisant.
Winona a mis longtemps avant d’assumer et d’aimer ses cheveux crêpus, considérés comme « sales et indomptables » pendant l’esclavage. Aujourd’hui, elle porte avec fierté son afro, symbole de son identité.
Pourquoi avoir du mal à accepter le fait que nous soyons descendants d’esclaves africains ? Par honte de ce que nos ancêtres ont vécu ? En réaction à un sentiment d’infériorité, de haine ? Est-ce une volonté de s’émanciper de notre héritage ? Je ne saurais pas l’expliquer moi-même, mais c’est un tabou qui se perpétue, surtout dans les anciennes générations. Je n’arrive pas à le comprendre. Pour moi, un héritage est une richesse, une histoire à découvrir, mais aussi ce qui constitue nos identités.
On remarque que les nouvelles générations aux Antilles et en France se réapproprient leur identité africaine grâce la montée du mouvement nappy (acceptation capillaire du cheveu crépu), mais aussi grâce au style vestimentaire wax. Cela montre que nos générations acceptent de plus en plus leurs origines africaines, leur héritage.
Éloïse, 18 ans, étudiante, Val d’Oise
Crédit photo Hans Lucas // © Riccardo Milani – Conçue par l’artiste Didier Audrat, la statue Solitude est le symbole de la lutte contre le rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe en 1802.
La journée commémorative du souvenir de l’esclavage
En 2001, la loi Taubira inscrit le devoir de mémoire coloniale dans les manuels scolaires.
Pourtant, le chemin est encore long : en 2005, le gouvernement fait passer une loi pour que le « rôle positif » de la colonisation soit mis en avant dans les livres d’histoire. Face aux polémiques, il fait finalement volte-face un an plus tard, et la loi est supprimée.
Peut-être pour essayer de faire oublier cet épisode, le gouvernement instaure une journée de commémoration à partir de 2006. Le 21 mai est retenu, parce que c’est la date à laquelle la loi Taubira est passée cinq ans plus tôt. Depuis, chaque année, des cérémonies commémoratives sont organisées un peu partout sur le territoire.
Pourtant, le travail de mémoire est encore parcellaire en France : la classification « secret-défense » et la destruction de beaucoup de documents pendant les périodes de décolonisation ne donnent accès qu’à une vision tronquée de l’histoire coloniale.