Lisa R. 25/11/2024

Être née quelque part

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De son groupe d’amis d’enfance, Lisa est la seule à être partie loin de son village pour étudier. Tandis que leur amitié est restée authentique, elle s’interroge sur le fossé qui s’est creusé entre leurs vies et la sienne.

Quatre plaques de tôle froides et rouillées hâtivement assemblées. Notre arrêt de car. Partout à l’intérieur, sont inscrits au marqueur blagues, dessins et prénoms. Baptiste, Éloïse, Justine, Léopold, Marin et Lisa. Comme les preuves qui scellent une amitié qu’on voudrait intangible.

Juillet 2016. Le village est sans bruit. Les seuls sons qui me parviennent sont ceux d’une voiture sur « la grande route », à 300 mètres. Dans la cour de chez mes parents, j’allume mon scooter : un MBK Booster noir. Je laisse le moteur chauffer. Il fait chaud. C’est les vacances d’été. J’ai 15 ans et je viens de passer le brevet. Comme chaque jour, je rejoins mes amis.

Dans notre village de 2 000 habitants, il n’y a rien. On se rejoint à l’arrêt de car, dans le garage de Baptiste ou sur les bancs devant la piscine municipale. Ce jour-là, on choisit la piscine. Ouverte du 1er juillet au 31 août. Tous les jours sauf le mardi. On y était tous les jours. On détestait les mardis.

La fin des années collège

De notre petit groupe, nous ne sommes que trois à aller en lycée général à Angers. C’est la ville la plus proche de chez nous, à 30 km. Aujourd’hui, huit ans plus tard, Baptiste est commercial et Eloïse travaille à Super U. Justine, elle, est devenue aide-soignante après avoir été coiffeuse.

J’ouvre le portail et je pars. La route est bordée de vignes. Aucun de nous n’habite dans le bourg. Le bourg, c’est la place du château avec autour la pharmacie, l’épicerie et le PMU qu’on appelle « Chez Yann ». Il y avait aussi une boulangerie, mais elle a fermé.

En scooter, je dépasse Marin qui ne roule qu’à 35 km/h avec son vieux Peugeot. Après le brevet, il commence un bac pro en chaudronnerie. Puis, il a très vite trouvé du travail. Derrière moi, j’entends la 50cc de Léopold. Le bruit aigu d’un moteur qu’il a mal débridé. Léopold a commencé son CAP boulangerie-pâtisserie en quatrième. Il nous a souvent fait des tartes au citron pour le goûter.

Aujourd’hui, ils ont tous un métier, pas moi. J’ai fait des études de droit, puis de journalisme. Une partie à Paris, l’autre en Allemagne. À 11 ans, j’étais obsédée par l’idée de parler plusieurs langues et de partir.

J’arrive devant la piscine. On s’installe sur les bancs en bois. Léopold se roule une clope, Justine aussi. On trinque dans des verres en plastique. « À la fin du collège ! » Et déjà, je me demande ce qui explique que nos destins annoncés soient si différents.

Comme des frères et sœurs

De nous tous, je suis la seule qui a fait un bac général. Un bac littéraire. J’ai toujours adoré lire. Avec mes frères, on avait un abonnement au magazine Le Monde des ados. On adorait attendre la factrice le mercredi midi pour recevoir notre exemplaire. À la maison, on a une grande bibliothèque dans le salon. Les soirs d’été, mes parents lisent sans bruit sur la terrasse. Je les rejoins. J’aime ces moments.

Plus jeune, quand j’allais chez Baptiste, il y avait souvent la télé allumée. Le JT de TF1 en arrière-fond quand je dînais chez eux. Mes parents n’ont jamais voulu qu’on ait une télé dans la cuisine. J’enviais terriblement Justine aussi, qui avait Disney Channel et des écrans plats dans chaque chambre.

J’étais et je suis toujours « l’intello » du groupe. Celle qui sait parce qu’elle aime l’école. On en rigole souvent, comme si ça rendait absurde notre amitié. Pourtant, je suis la moins dégourdie de nous tous sur les aléas du quotidien. Je ne sais pas m’occuper de factures. Je ne sais pas lire une fiche de paie. Moi, je sais analyser un poème de Desnos écrit sous hypnose.

Pourtant, nos divergences d’intérêts n’ont jamais été une question entre nous. On se comporte comme des frères et sœurs. Comme si notre amitié avait été imposée par ce petit village. On ne s’entendrait pas si on se rencontrait aujourd’hui. Ce n’est pas un tabou entre nous. On se réjouit des réussites des uns et des autres, même si on ne les comprend pas toujours.

« Je reviens quelques fois par an, l’été surtout »

Après le brevet, on ne s’est plus retrouvés devant la piscine. Comme si ce lieu avait été celui du deuil de nos années communes. À 20 ans, Léopold achète une maison dans les Deux-Sèvres avec sa copine. Une maison des années 70, sur un terrain en pente à la pelouse desséchée par deux immenses pins. Ils viennent de faire un emprunt pour installer un poêle à bois. Je n’ai jamais fait de devis. Je n’ai jamais contracté de prêt.

À 20 ans, je suis en droit. Je vis dans une résidence étudiante sur un campus en Allemagne, près de Berlin. J’ai une petite chambre dans une coloc à trois. J’ai un lit, un bureau, une chaise en épicéa clair. J’ajoute quelques affiches pour rendre la pièce plus conviviale, mais je ne m’encombre pas. Je ne vais pas rester longtemps ici parce que je poursuis mes études à Paris. Mes parents m’aident chaque année à déménager de coloc en coloc. Ils m’aident aussi financièrement.

Je reviens quelques fois par an, l’été surtout. Dès que je rentre, j’envoie systématiquement un message à Justine. Je passe chez elle pour boire un café. Elle vit dans une maison, dans notre village. Eloïse aussi habite ici, avec son copain. Baptiste et Marin ne sont pas très loin non plus. Ils habitent ou ont tous déjà habité en couple. Moi non et c’est très bien comme ça. Mes parents m’ont toujours appris à étendre ce temps sans attache, sans grande responsabilité.

Quand on se voit, rien n’a changé. On boit une bière, ils s’allument tous leurs clopes. J’en gratte une. Comme à chaque fois, tout le monde s’étonne que je fume et me demande si j’ai enfin terminé mes études. La plupart pensent que c’est le présage d’un avenir financier prospère. J’explique que la majorité des journalistes ne gagnent pas bien leur vie. Que c’est un « métier passion ». Ils ne comprennent pas le lien entre « passion » et « salaire de merde ». Et moi non plus. « Mais alors pourquoi tu fais tout ça ? » Silence. On a 23 ans. Ils ont tous un CDI, sont propriétaires ou songent à le devenir. Rêvent d’enfants avant 30 ans. Moi, j’attends de savoir si je vais avoir une bonne note pour mon mémoire, je passe ma vie à faire et défaire des cartons.

Chacun a sa voiture maintenant. Quand on se rejoint chez Justine, on passe tous devant l’arrêt de car, celui où nos vies ont pris des directions différentes. Celles de nos destins scolaires, professionnels. Les tôles rouillées ont été remplacées. Aujourd’hui, il est en bois vernis avec un petit banc. Il n’y a plus de prénoms au marqueur à l’intérieur.

Lisa, 23 ans, volontaire en service civique, Paris

Crédit photo Unsplash // CC Krišjānis Kazaks

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« Je suis déjà nostalgique de mon village », par Nathan, 16 ans. Cette année, le lycéen est entré en terminale. Dans un an, il quittera sûrement son village, ses amis et ses repères. Un plongeon dans l’inconnu vécu par un grand nombre de jeunes des territoires ruraux.

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