Famouste M. 12/11/2021

Excision : j’ai enfin pu en parler à un psy

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Famouste a fui l'excision et le mariage forcé programmés pour elle en Côte d'Ivoire. En France, des psys lui permettent de se reconstruire.

Les psys, je n’en avais jamais entendu parlé dans mon pays. Je ne savais même pas ce que c’était. En Côte d’Ivoire, ça n’existe pas trop. Enfin, c’est un pays qui est grand donc je pense qu’il y a des psys, mais même si ça existe je sais que les gens se cachent pour les voir, pour ne pas être critiqués.

Quand je suis arrivée en France, je suis tombée malade et l’hôpital m’a envoyée à la Croix-Rouge. Puis la Croix-Rouge m’a envoyée dans un foyer à Clignancourt car je n’arrivais pas à dormir ni à parler. Là-bas, les éducateurs ont cherché un psychologue pour moi. Quand ils m’ont dit ça, j’ai pensé que c’était parce que j’étais folle.

Le psychologue, c’est comme un docteur

Je ne voulais pas y aller, parce qu’à chaque fois que je parlais de mon histoire, ça me mettait en colère. Ils m’ont dit d’essayer d’en parler quand même, que ça allait me faire du bien. Ils m’ont dit que les gens qui ont des problèmes, qui ont vécu beaucoup de choses et qui n’arrivent pas à oublier, bah le psychologue, c’est comme un docteur pour eux. Du coup, j’y suis allée.

Le lieu de la consultation, c’était dans un foyer, le Comité parisien de l’ACSJ, l’association catholique des services de jeunesse féminine. L’endroit était très joli, on était assis dans le bureau comme si c’était un restaurant. En face de moi, il y avait une femme et un monsieur. Ils se sont présentés, ils m’ont dit comment ils s’appelaient, le travail qu’ils faisaient et qu’ils travaillaient pour le foyer.

Moi aussi, je me suis présentée. J’étais stressée parce qu’ils étaient deux, mais le monsieur m’a dit : « Tu peux parler de ton histoire, il n’y a pas de problème, nous, on veut juste t’écouter et t’aider. » J’ai dit ok. Ils avaient l’air gentils, ils n’ont pas trop parlé, ils m’ont juste dit : « C’est toi qu’on écoute, si tu as envie, tu nous parles, si tu n’as pas envie, tu n’es pas obligée, mais ça va te faire du bien. » Ça m’a mise en confiance.

Le monsieur ne voulait pas d’une femme pas excisée

Du coup, je leur ai raconté mon parcours. Je leur ai dit que je n’étais pas à l’aise chez moi, en Côte d’Ivoire. Mes parents étaient séparés et je vivais avec mon père qui avait décidé que j’arrête l’école parce qu’il voulait que je devienne une femme. Je me suis dit : « Une femme n’a pas le droit d’aller à l’école ou quoi ? » Il m’a dit : « Pour devenir une femme, tu dois te marier. » J’étais là-bas, j’étais stressée, je n’avais pas de solution. J’étais maltraitée comme si ce n’était pas mon propre père.

Après, il m’a présenté un monsieur avec qui je devais me marier. Il était venu plusieurs fois à la maison. Je ne sais pas quel âge il avait, mais il était âgé. Le monsieur a su que je n’étais pas excisée et a dit qu’il ne voulait pas d’une femme pas excisée. Moi, j’avais entendu que ça faisait très mal. J’en avais parlé avec des amies qui l’avaient déjà fait et elles m’avaient dit qu’elles ne pouvaient plus aller aux toilettes, que ça pouvait créer des problèmes de santé. Je ne pensais plus qu’à ça et je me suis dit que je ne voulais pas faire ça.

« On est venues pour toi, on va t’exciser aujourd’hui »

Mais, dans mon pays, c’est obligé. Toutes les femmes doivent le faire. Un jour, j’étais là, je devais aller vendre de l’eau comme tous les jours après l’école et mon père m’a dit : « Aujourd’hui, tu restes à la maison. » Je suis restée et j’étais très contente, car je pouvais enfin me reposer et jouer avec mes amis. Mais je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas, car trois vieilles femmes sont rentrées chez nous. Elles m’ont dit : « On est venues pour toi, on va t’exciser aujourd’hui. » J’étais dans la maison, je ne pouvais pas m’enfuir ni crier parce que mon père était très sévère, personne ne pouvait venir m’aider.

J’ai dit que je ne voulais pas, je voyais des choses comme des ciseaux. Les dames ont dit que, si je ne restais pas tranquille, ça allait être compliqué. Mais je n’avais pas l’intention de rester tranquille. Mon père était très fâché, je ne sais pas si c’est parce que je n’obéissais pas, mais il a pris une des lames que les dames avaient apportées et m’a fait des marques sur la poitrine et dans le dos. Ça a fait de grosses cicatrices.

Le lendemain, je devais aller vendre avec mes blessures, ça faisait très mal. J’étais très en colère. Je suis sortie et je ne me suis plus retournée, je ne suis plus revenue chez mon père. J’ai fait un long voyage et je me suis retrouvée en France.

Je parlais et c’est comme si la fumée sortait de mon corps

Aux deux psychologues, je leur ai raconté tout ça dès la première séance. Comme ils m’écoutaient, je ne voulais pas m’arrêter. Au fur et à mesure que je parlais, c’est comme si la fumée sortait de mon corps. Je ne pouvais pas arrêter de pleurer, de penser… J’ai raconté et, à un moment, le monsieur m’a dit de me calmer et de penser aux moments les plus beaux de ma vie. Je me suis rappelée que depuis que je suis arrivée en France, j’ai la paix dans le cœur. Même si les blessures sont là, ça va.

Ils m’ont dit : « Tout est fini maintenant, plus rien ne peut t’arriver en France. » À la fin, j’ai été surprise. Je me sentais tellement bien, soulagée. Et j’avais un sourire qui venait directement dans mon cœur. J’ai un autre rendez-vous bientôt, je suis contente d’y retourner, parce que je sais que, cette fois-ci, je vais être plus à l’aise que la première fois.

Coumba a été traumatisée par son excision. Elle veut retourner un jour au Sénégal pour lutter contre cette pratique et aider toutes celles qui, comme elle, ont été mutilées.

Silhouette d'une femme noire, cheveux courts, de profil, devant un fond gris.

Les gens dans mon pays pensent que c’est pour les fous, alors que ça n’a rien à voir avec le fait de perdre la tête. Maintenant que j’ai été voir un psy, je trouve que c’est très très important, parce que ça soulage. Je trouve que c’est important de parler des choses qui nous sont arrivées. Il y a beaucoup de gens dans mon pays qui auraient besoin d’être soulagés, surtout des jeunes comme moi. C’est difficile quand tu es jeune là-bas, parce que les parents, à un moment, ne peuvent plus te garder et tu vends dans la rue. Il y a des garçons, des hommes et, en tant que fille, tu peux te faire agresser, plusieurs fois…

Au début, je ne me voyais pas parler de mon histoire parce qu’à chaque fois que je raconte, ça me met très en colère contre moi-même. Je me disais que si ma mère avait été avec mon père, il aurait eu un peu plus de sentiments pour moi. Mais maintenant je me dis que c’est la faute de personne, que c’est Dieu qui choisit. Je suis très contente d’être ici, d’avoir accepté l’aide des personnes du foyer qui m’ont acceptée telle que je suis. En Côte d’Ivoire, personne ne se préoccupait de moi. Ici, c’est le contraire.

Famouste, 18 ans, en formation, Monaco

Crédit photo : Pexels // CC Bruno Feitosa

 

L’excision

Chaque minute dans le monde, six filles sont excisées 

Au total, 200 millions de femmes en vie aujourd’hui ont été excisées. L’excision est encore une pratique courante dans 31 pays du monde, alors qu’elle est internationalement reconnue comme une violation des droits humains.

 

60 000 femmes excisées vivent en France

L’excision est interdite en France depuis 2006, mais certaines familles la pratiquent encore. Dans la plupart des cas d’excision, les jeunes filles subissent cette mutilation durant des séjours dans leurs pays d’origine.

 

Le nombre d’excision risque d’augmenter

À cause de la croissance démographique, plus d’une fille sur trois va naître dans l’un des 31 pays où l’excision est pratiquée d’ici dix ans. Malgré l’augmentation des actions internationales pour lutter contre les mutilations génitales, le risque d’être exposé à ces pratiques s’accroît.

 

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